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Full text of "L'Israël des Alpes"

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1 L' 1 s R A Ë L DÉS ALPES. . 

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h PBSmÂlE 

eWTOniE C^MHPEÉTE 

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ViVDOIS DU PIÉMONT 

BT pE LEI)B8 COLONIES, 



COMPOSÉE SR GBikMDB PARTIE 8UB DES DOCUMENTS INEDITS , 
AVEC l'INDIGATIOII DES S0UBCE8 ET DES AUTOBITÉS : 

suivie d'une 




des ouvrages aneient et modernes qui traitent des Yandoit, et des 
■aonscrits, en lanfoe romane, où ils ont eipoié lenrs doctriues ; 

PAR 

ALEXIS MUSTON, 

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DMtMr en tliéologie. 



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UBRAIRIE DE MARC DUGLOUX, 

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L'ISBAEL DES ALPIS. 

fflSTOmE DES VAUDOIS. 



tmwÊÊm I. — Pranièfe Partie. 



aiPRIMERIE DE BIARG OUCXiOOX ET GOIffAGNIE^ 



L' ISRAËL DES ALPES. 

■I0TOIRÊ COMPftiÉTE 



FiUDOIS DU PIÉMONT 

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GQVOSiB KM GBAKDB PARTB 8im DIS DOCUMBH» OIÉDITS, 
AVEC L'INDIGATIOH DES SOURCXS KT DES AUTOUTÉS : 

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te o u ffigc t uieieiii et modemct qai traitent dei Yaudoie, et des 
■auMritf» en langne romane, oùJU ont expoié lean doetrinei ; 

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ALEXIS MUSTON, 

Doetear en théologie. * . * • - '. , - • ' • . 



TOME PREMIER. 



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PARIS, 

LIBRAIRIE DE HARG DUGLOUX, 
na Tronehet, S. 

4 864. 



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PREFACE. 



«De tous les peuples modernes, dit Boyer, il n'en 
« est aucun qui offi« plus d'analogie avec l'ancien 
« peuple juif, que les Vaudùis des Alpes du Piémont: 
«nulle histoire n'a eu plus de prodiges que la leur, 
« nulle Église pftis àd martyi's. » 

Ces lignes suffisent à expliquer le titre de cet ou- 
vrage: r Israël dès Alpes (1). En voici maintenant 
l'origine et le but. 

Depuis plus de quinze ans, je me suis occupé d'as- 
sidues recherches sur VHistoire des Vaudois. Mon 
intention était de reprendre le volinne publié en 
iS34, et de poursuivre ce travail en des proportions 
qui lui eussent donné une étendue de huit à dix vo« 
lûmes in-8*. 

(i) Uoa inteiilioa, n'était pas, d'abord, de donner ce titre à un ouvrage 
défioitif kur les Yaudois ; il ue devait être que celui d'un simple résumé 
hittoriqae. Mais ce résumé étant devenu l'ouvrage définitif , le titre lui 
«t resté. 



— II — 



Mais un ouvrage aussi considérable, ne pouvait ré- 
pondre aux besoins actuels du public. Je voulus alors 
publier séparément les Sources de F histoire des Vaudois, 
avec les principaux documents qui s'y rattachent, et 
un exposé rapide mais complet des événements his- 
toriques. 

D'un côté , j'ai dû renoncer à la publication des 
Sources, empêchée par les événements ; de l'autre, 
j'ai reconnu qu'un résumé complet de Thistoire des 
VaudoiSj ne pourrait être contenu en un seul volume : 
vu que la partie inédite de cette histoire était aussi 
considérable, si ce n'est même plus étendue, que la 
partie déjà connue. 

La question de l'origine des Yaudois, et de l'orga- 
nisation de leur Église, antérieurement à la Réforma- 
tion, nécessitait un nouvel examen. Le caractère pri- 
mitif de leurs doctrines n'avait pas été complètement 
déterminé, faute de documents. L'histoire particu- 
lière des Yaudois du Queyras, de Barcelonnette, de 
Yallouise et de Freyssinières, ne se trouvait nulle 
part traitée avec ensemble; celle de Mériudol et de 
Cabrières avait été souvent écrite et jamais éclaircie ; 
une nouvelle étude des pièces judiciaires qui précé- 
dèrent et suivirent l'exécution de l'arrêt du 18 no- 
vembre 1540, prononcé par la cour d'Aix, devenait 
un devoir pour l'écrivain : et nul, que je sache, ne 
l'avait accompli. 

Les faits de détail, relatifs aux martyrs vaudois, se 
trouvent ici réunis pour la première fois. L'histoire si 



— III — 

intéressante des Églises de Sahices était presque 
inconnue, et forme ici la moitié d'un volume. 

n y avait une lacune entre l'époque où s'arrête la 
chronique si abondante de Gilles, et celle où com- 
mence l'histoire documentaire de Léger. Une nou- 
velle lacune s'étendait entre Léger et Arnaud; et de- 
puis ce dernier écrivain, jusqu'à nos jours, aucune 
réunion importante de documents nouveaux ne se 
présentait plus. 

Un très grand nombre d'histoires des Vaudois, gé- 
nérales ou particulières, étendues ou résumées, avaient 
cependant été écrites. Chacune d'elles renferme quel- 
ques faits, ou quelques aperçus intéressants; mais nulle 
part on ne trouve un ensemble de documents, co- 
ordonnés en de justes proportions avec la valeur 
des faits historiques. * 

n est peu d'événements, néanmoins, qui aient joué 
dans notre histoire, un rôle aussi important que ceux 
qui amenèrent et qui suivirent le rétablissement offi- 
ciel des Vaudois dans leur patrie : et c'est à peine si 
les historiens les plus complets, jusqu'ici, en avaient 
indiqué la trace. Un volume tout entier est consacré 
dans cet ouvrage, à ces faits remarquables, qui n'oc- 
cupent que quelques pages chez mes prédécesseurs. 

L'expulsion des habitants des Vallées, de 1686 à 
i687, n'était racontée en détail que dans des bro- 
chures contemporaines, devenues très rares ; celles 
de 1698 et de 1730 n'étaient racontées nulle part. 

La première partie seulement de l'histoire des co- 



— IV — 

lonies vaudoises en Allemagne avait été écrite y mais 
non pas en français. Cette histoire tout entière se 
trouve dans t Israël des Alpes. Celle des Yaudois du 
Pragela, qui à eux seuls étaient plus nombreux jadis 
que les habitants réunis de toutes les autres vallées 
vaudoises, n'avait jamais été écrite en aucune langue; 
huit chapitres lui sont consacrés dans ce travail. 

Enfin, depuis 1730 jusqu'à nos jours, de nouvelles 
phases historiques ont fait passer les Yaudois sous 
rinflueuce indirecte de la philosophie du dix-huitième 
siècle, sous celle de la révolution française , des in- 
vasions austro-russes, et de l'empire de Napoléon. 

Rien de tout cela n'avait été relaté selon son im- 
portance historique ; et depuis la restauration seule- 
ment , les documents imprimés commencent de jeter 
une lumière suffisante sur les destinées de l'Église 
vaudoise. 

Toutes ces lacunes ont été comblées dans l'ou- 
vrage actuel ; et si l'on trouve que ces quatre volumes 
dépassent les limites d'un abrégé j je dirai : Réunissez 
les ouvrages écrits sur les Vaudois; parcourez leur 
table des matières, comparez-la avec ceHe de ce tra- 
vail, et voyez si ces quatre volumes ne contiennent^pas, 
à eux seuls, plus de choses que tous les autres livres 
écrits sur ce sujet. Ces derniers cependant pourraient, 
à eux seuls , former une abondante bibliothèque : 
comme on s'en convaincra , en jetant un coup d'œil 
sur la Bibliographie, qui termine ï Israël des Alpes. 

Perrin ( un vol. in-B"" de 2i8 pages ) ne m'a fourni 






que la matière de deux demi-chapitres; Giixucs (un 
vol. in-4» de plus de 600 pages) m'a fourni trois 
chapitres en entier, et sept demi-chapitres; Léger 
(un volume in-folio de 212 et 385 pages) ne m'a 
fourni qu'un chapitre en entier et quatre demi-chapi- 
tres; A&NAiJD {in-8* de 407 pages), deux chapitres 
et demi ; et tous les auteurs allemands qui ont écrit 
sur les colonies vaudoises, ne m'ont apporté ensemble 
que la valeur de trois demi-chapitres. Tout le feste a 
été puisé dans des ouvrages particuliers, ou dans des 
documents inédits. 

Quelle que soit donc l'appréciation qu'on fasse de 
ce travail, j'ose croire qu'on ne pourra se refusera 
reconnaître qu'il a réellement renouvelé l'histoire des 
Vaudois; et non-seulement, que F Israël des Atpes ren- 
ferme la plus complète de toutes les histoires des 
Vaudois qui ont été publiées jusqu'ici , mais encore, 
qu'en réunissant tout ce qui a éCÉ publié on n'aurait 
qu'une partie très restreinte de ce qu'on trouvera 
dans t Israël des Alpes. Autant que le cadre du livre 
me Fa permis, j'ai toujours cédé la parole aux auteurs 
que je devais citer : non-seulement pour faire con- 
naître des textes*rares, ou manuscrits ; mais surtout 
afin d'introduire plus de variété dans la narration, et 
de lui restituer, autant que possible, l'empreinte des 
émotions contemporaines. 

n m'est souvent arrivé de reconnaître des erreurs 
dans les ouvrages que j'avais sous les yeux (même les 
plus en renom et les plus énidits ) ; je les ai rectifiées, 



— YI — 

selon mes lumières, mais sans les relever , car cela 
n'eût pas modifié des pages erronées, et m'eût semblé 
une atteinte à la reconnaissance que nous devons aux 
écrivains, qui ont consacré leurs veilles à des sujets 
qui nous sont chers. 

Ces nombreuses inexactitudes me font bien présu- 
mer que mon propre travail n'en sera pas exempt. Je 
serai reconnaissant si Ton me met à même de les faire 
disparaître. S'il n'avait pas été imprimé au fur et à 
mesure de sa composition , j'aurais corrigé déjà quel* 
ques négligences (\) et, sans doute aussi, bien des 
expressions parfois trop vives , que l'horreur des faits 
que j'avais à décrire arrachait involontairement à ma 
plume indignée. Ces reflets d'un sentiment personnel 
peuvent rendre une narration plus animée, mais ils 
sont peu compatibles avec la calme dignité de l'his- 
toire. Indépendamment des négligences de style, et 
des fautes d'impressi#n, trop tard reconnues pour être 
corrigées dans cette édition, il y aurait sans doute en- 
'core bien des faiblesses à relever dans cet ouvrage. 
Mais comme il est le premier qui présente l'histoire 
des Vaudois d'une manière complète, et qu'en somme 
il est certainement le plus exact de tous ceux qui exis- 
tent sur ce sujet, j'espère quelque indulgence en fa- 
veur des longues et laborieuses recherches qu'il m'a 
coûtées. 

(1) Je dois signaler, entre autres, l'omission des faits relatif^ à Pierre 
Harquisy et à Maurice Mongie dont il est parlé ta ehtp. XIY, du T. lor. 
Hais eettt omiisioA B*intéresM que la martyrologe. 



— m — 

Ces rediercbes ont été poursuivies, surtout dans 
les Archives d^état de la Cour de Turin. Les papiers 
qu'elles renferment ne m'ayant été offerts que par 
liasses non classées, j'en ai pris note et je les cite, 
sauf quelques exceptions, en leur conservant le nu» 
méro de série, qui indique Tordre dans lequel ils 
m'ont été communiqués. 

Les Archives diplomatiques de la France^ grâce à 
M. Guizot, alors ministre des affaires étrangères, 
m'ont fourni de précieux documents. 

Les Begistres du conseil dÉtat de (Senève ont été 
compulsés au profit de F Israël des Alpes, par les soins 
obligeants de M. le ministre Le Fort. 

Les Archives dÉtat du grand duché de Hesse- 
Darmstadt m'ont été ouvertes par M. Du Thill, alors 
ministre de l'intérieur. 

Celles de Bade, de Stuttgard, de Francfort, de Ber* 
lin, et des principaux cantons de la Suisse, ont éga- 
lement été consultées, soit directement, soit par cor* 
respondance. 

Les Archives de ranciemie cour des comptes à Gre- 
nobky celles du sénat et de la cour des comptes y à Turin, 
n'ont pas moins augmenté mes matériaux. U s*y est 
joint de nombreux documents sortis des Archives civi-* 
les de Pignerol, de Luserne, de Fenestrelles, de Brian- 
çon, de Gap, et de quelques autres villes tant du Pié- 
mont que de la France. Je dois particulièrement té- 
moigner à ce sujet une affectueuse reconnaissance à 
mon parent et ami, M. Aiilaud, professeur à Pignerol, 



. — VIII — 

qui a compulsé pour moi les archives de t Intendance 
de cette viJle. 

Celles de Févêché m*oiit été ouvertes par l'au- 
teur des Recherches historiques sur Horigine des 
Vaudois. ( Voir dans la Bibliographie, section II, 
§. IV, n<» IX. ) Sans entrer ici dans aucune autre con- 
sidération que celle des recherches qu'il m*a facili- 
tées. J'attache trop de prix à avoir pu les complé- 
ter de la sorte, pour ne pas lui témoigner, à cel 
égard, une juste reconnaissance. 

La belle collection d'opuscules rares, et quelques 
manuscrits précieux, que contient la Bibliothèque du 
roi, à Turin , m'ont été d'un grand secours. Je dois 
des remerciements à MM. de Promis, des Ambroix, 
de Coccillo, de Saluées , Duboin, fils du célèbre légiste 
dont il poursuit la vaste collection , Bounino, sous-ar- 
chiviste à la cour des comptes, et Sclopis, auteur de 
l'Histoire des lois du Piémont : qui ont facilité mes re- 
cherches, par leufs communications, leur bienveil- 
lance ou leurs conseils. 

Le savant M. Cibrario, membre de la commission 
historique pour les Monumenta patriœ, et de l'Acadé- 
mie des sciences à Turin , a également eu la bonté de 
s'y intéresser. Bien plus, il s'est donné la peine de re- 
chercher lui-même et de m'envoyer divers documents 
d'un haut intérêt, qui m'eussent manqué sans lui. 

A Paris, je n'ai pas trouvé moins de bienveillance. 
M. de Salvandy, alors ministre de l'instruction pu- 
blique , fit mettre à ma disposition un manuscrit très 



— IX — 

important, que je n'aurais pu consulter sans son 
entremise. 

M. Michelet a bien voulu me signaler dans les 
Archives nationales de la France j des documents jus* 
qu'ici inconnus (i). 

M. Sordet , archiviste de YMtel de ville à Genève , 
et M. le professeur Diodati , conservateur de la biblio- 
thèque y ainsi que MM. les pasteurs Lavit, Claparède, 
Vaucher-Mouchon, etc., ont obligeamment favorisé 
mes recherches. 

n m'a été permis de consulter les Archives de la 

(1) Uoe enquête ^olamiaease snr lef ▼exatioot commites par Jean de 
Soma, eo&tre les Vaadoii de Provence. ~ En voici le titre tel qu'il se 
troDTe meotioDoé sur une étiquette détachée. « Cayer de prucédurea faitea 

* en 1533, en Tertu de la commifsion de François 1er, roi de France, en 

* datte du 12 février 1533, contre Jean de Rome, de l'ordre des Jacobins : 
< qait après avoir été ehaïaé d'Avignon, par le cardinal de Clermont, s'é- 

* tait retiré en Provence , où sans s'être fait connaître ni autoriser léga- 
lement, il y faisait les fonctions d'inquisiteur, et exerçait contre les su- 
' jets de cette province, les abus et voxations les plus contraires à l'or- 
■ dre publie. • 

Ce manuscrit qui , d'après une autre note , était jadis contenu dans un 
»c, et ne fut pas compris dans riNVBiiTAiu : article du gouvernement de 
Provence : est formé de huit mains de papier, petit in-fol. — Au dos, est 
^ ie rescrit de François 1er qui autorise les poursuites. -^ Les déposi- 
tions de témoins, commencent au recto du feuillet 84. — Archives nalio» 
"fl^w de France, carton J, no 851. — Une lettre inédite de Marguerite de 
^Kce, duchesse de Savoie, datée de Thurin, ce premier Jour de Juing 156*, 
^ reiatiTe aux Vaudois, m'a aussi été communiquée, par M. le professeur 
Ch. Bonnet : mais , trop tard , pour que j'aie pu en faire usage. — Elle 
^^ publiée, avec d'autres documents précieux, dus aux recherches du sa- 
vant professeur, dans une Vie de Renée de France , duehesee de Ferrare, 
qu'il doit prochainement livrer à l'impatience de tous les amis des études 
furieuses, qui connaissent ses beaux travaux. 



— X — 



vénérable compagnie^ connues sous le nom A' Archives 
de Saint-Pierre. 

Un historien célèbre , M. le professeur Merie-d*Au- 
bigné, m'a aidé de ses lumières et de ses documents. 
Enfin je dois à M. Lombard-Odier, banquier, la copie 
d'un manuscrit intéressant, rédigé par un Vaudois 
proscrit en 1729. 

Je n'oublierai pas non plus dans mes remerciements 
ceux de mes jeunes compatriotes , alors étudiants à 
Genève , qui ont bien voulu s'employer à transcrire 
des pièces qui m'étaient nécessaires . Ce sont MM. Tron , 
Geymonat, Parise , Bert, Rivoire et Janavel. 

Un écrivain , originaire comme eux des vallées du 
Piémont, M. Monastier, auteur d'une histoire des 
Vaudois récente et appréciée, m'a communiqué dos 
notes et des extraits qu'il avait recueillis pendant le 
cours de ses propres travaux. 

Un autre enfant des Vallées, M. Appia en qui l'É- 
glise française de Francfort, a perdu depuis peu un 
pasteur éminent et vénéré, m'a prodigué toutes les res- 
sources de sa riche collection de documents, sur l'his- 
toire de la patrie, toutes les lumières de ses conseils 
et de ses souvenirs. J'ai le regret de ne pouvoir payer 
iciqu*à sa mémoire mon juste tribut de gratitude. 

Un vénérable pasteur vaudois , successeur de Scipion 
Arnaud , dans une des colonies vaudoises d'Allemagne, 
feu M. Mondon, qui, depuis plus longtemps que le 
révérend Appia, a quitté cette terre , avait témoigné 
pour mon entreprise la même sympathie. C'est à lui 



— XI — 

que j'ai dû les premiers cahiers da manuscrit original 
de la Rentrée , actuellement déposés à Berlin. 

Dans les vallées vaudoises, MM. les officiers de la 
Table ont , plus d'une fois , mis à ma disposition des 
pièces officielles et des notes d'une exactitude pré- 
cieuse; M. le pasteur Josué Meille, et son gendre, 
M. Yolle , ont , sous d'autres rapports , contribué à 
augmenter ma collection de pièces inédites. Je dois 
en dire autant de M. Gay, du Villar et de M. Antoine 
Blanc, de \jà Tour, ainsi que de mon ami M. Amédée 
Bert, dont les Scènes historiques, récemment publiées, 
ont excité un si grand intérêt en Italie , en faveur des 
Vaudois. 

A l'étranger, M. le docteur Todd, de Dublin, et 
surtout le révérend docteur Gilly de Durham, ont mis 
une obligeance toute particulière à me transmettre 
des renseignements qu'eux seuls pouvaient me fournir. 

Enfin je dois de vifs remerciements à M. le profes- 
seur Schmidt (auteur de l'Histoire des Cathares), qui 
a bien voulu revoir les épreuves de la Bibliographie 
de l'Israël des Alpes ; ainsi qu'à MM. Mailhet , Ar- 
naud et Olivier, qui ont revu le texte et les épreuves 
de tout l'ouvrage. 

Je ne puis mentionner toutes les bibliothèques pu- 
bliques, que j'ai mises à contribution pour l'accomplir. 
Celles de Lyon et de Grenoble contiennent d'anciens 
manuscrits vaudois, en langue romane; comme celles 
de Genève , de Zurich et de Dublin. Celles d'Avignon 
et de Carpentras possèdent d'autres manuscrits qui , 



— xu — 

pour être plus modernes ^ ne sont pas moins intéres- 
sants. 

M. Frossard , auteur d'une histoire des Vat4dois de 
Provence y et M, Barjavel, auteur du Dictionnaire 
historique de Vaucluse , ont augmenté du résultat de 
leurs études, les notes que j'avais déjà recueillies, sur 
le sujet traité par le premier de ces écrivains. 

J'ai tenté de nombreuses démarches, dans le but 
d'obtenir que des recherches fussent faites à Prague 
afin de découvrir ^« s'il était possible , quelques vestiges 
documentaires des anciennes relations que les Yau- 
dois ont jadis entretenues avec les Églises évangéli- 
ques de ce pays; mais ces démarches sont restées 
sans résultat. 

Diverses archives de famille ont été ouvertes à mes 
investigations : entre autres, celles des comtes de 
Luseme , mais à une époque où je n'ai pu moi- 
même aller les parcourir. Je n'en dépose pas moins 
ici , pour ceux qui y ont droit , l'expression respec- 
tueuse de ma reconnaissance. 

Il resterait également à voir, si possible , les ar- 
chives épiscopales de Suze et de Saluées ; celles de 
l'archevêché et de l'ancienne inquisition de Turin j 
celles d' Aceil , de Carail , de Dronier et de plusieurs 
autres villes , dans lesquelles les Vaudois eurent jadis 
de nombreux adhérents ; enfin celles du saint-ofiice à 
Rome , et sans doute encore , beaucoup de sources 
qui me sont inconnues. 

J'ai toutefois réussi à former la plus nombreuse 



— xm — 

collection de docmnents historiques, snrles Yaodoisi 
que jamais historien ait , je crois , possédée. Je suis 
heureux surtout d'être parvenu à faire disparaître les 
lacunes regrettables qui avaient existé, jusqu'ici, dans 
cette mémorable histoire. 

Mais Fopération de réunir un grand nombre de 
matériaux historiques , ne caractérise pas davantage 
l'historien , que celle de réunir les matériaux d'un 
édifice ne caractérise Tarchitecte. 

Avec les mômes maténaux, on peut élever un mo- 
nument remarquable ou une construction vulgaire. 
Ce qui caractérise le monument, c'est de laisser une 
idée précise de ses dispositions. La France possède, je 
croi^, le plus petit et le plus grand des monuments de 
TEurope : la maison carrée de Nîmes et la cathédrale 
de Strasbourg. L'un comme l'autre , laisse une idée 
distincte, une image arrêtée; cette image demeu- 
rera plus vive et plus entière dans la mémoire du 
voyageur , que celle d'une rue qu'il aura peut-être 
Jongtemps habitée. L'unité, l'harmonie et la propor- 
tion distinguent ce qui se fait aisément saisir. Sans 
ces qualités d'ensemble, une réunion de matériaux 
n'est, en histoire comme en architecture, qu'un sim- 
ple entassement; elles seules font le monument, qu'il 
soit grand ou petit. 

Ces qualités monumentales , je ne me défends pas 
de les avoir ambitionnées pour mon petit travail. 

Jusques ici la méthode chronologique était la seule 
qu'on eut suivie, dans presque toutes les histoires des 



— XIV — 

Vaudois. Cette méthode consiste à faire connaître , 
année par année, tout ce qui se présente dans les 
divers pays, ou les différentes séries de faits, dont on 
doit s'occuper. Elle paraît la plus naturelle au pre- 
mier abord , et serait la plus juste en réalité , si chaque 
fait n'avait ni cause ni résultats. L'enchaînement de 
ces causes et de ces résultats, au contraire, rend seul 
un fait complet; mais comme les origines sont souvent 
anciennes et les résultats à distance dans l'avenir , 
la méthode chronologique interrompt cet enchaîne- 
ment , en coupant l'exposé d'un fait et de ses consé- 
quences, par le récit des faits comtemporains, qui lui 
sont étrangers. 

Il arrive de là, que les lacunes sont voilées sous ces 
exposés incomplets , et que souvent il s'en produit 
involontairement sous la plume de l'écrivain : obligée, 
par la succession des temps , de passer d'un fait à un 
autre, au lieu de poursuivre d'une manière continue 
le développement du même fait. Ce développement 
devient alors comme un portrait brisé , dont les frag- 
ments sont épars à de grandes distances. 

De là aussi, les idées historiques extrêmement con- 
fuses , ou plutôt l'absence d'idées nettes et domi- 
nantes , que laisse ordinairement la lecture des his- 
toires, écrites d'après cette méthode. 

La méthode analytique , au contraire , après avoir 
classé les événements , les expose dans toute leur 
étendue. Leur physionomie se présente entière et 
distincte : d'où il résulte que l'unité de leurs disposi- 



— XV — 

tioQs peut être saisie plus aisément par l'esprit du 
lecteur. 

Mais cette méthode offre beaucoup de longueurs et 
de difficultés. 

Après avoir recueilli les documents, il faut en faire 
le triage et la critique ; mettre à part ceux qui servent 
de source , et distinguer les autorités des témoignages 
douteux. Il convient ensuite de classer le tout par 
ordre chronologique , pour avoir un tableau général 
du sujet dont on doit s'occuper. 

n faut y après cela, diviser cet ensemble en époques 
distinctes pour détacher les divers plans du tableau 
historiqne , destinés à se charger ensuite de détails; 
puis, établir, dans chaque époque, les séries de docu- 
ments qui se rapportent aux faits du même genre , et 
retirer du groupe les pièces relatives à des faits d'un 
autre ordre. Ils reste enfin à classer ces différentes 
séries documentaires selon le développement des faits 
qu'elles tendent à établir, de manière à ce que ces der* 
Diers s'éclairent les uns les autres. 

Toutes ces opérations ont é(é faîtes pour l'histoire 
des Yaudois que je publie aujourd'hui ; et dont le plan 
a été peut-être la partie la plus longue et la plus dif- 
ficile de mon travail. J'ose espérer qu'on ne s'en aper* 
cevra pas à sa simplicité. 

Quelles que soient les proportions, dans lesquelles il 
pourrait arriver que l'on reprît un jour Y histoire des 
Vaudois, que ce fût pour l'étendre en dix volumes ou 



— XVI — 



pour la réduire à un seul : ce plan, je crois^ lui con- 
viendrait toujours. 

Les deux chapitres qui traitent des martyrs vavdois 
sont les seuls, dans cet ouvrage, que j'aie empruntés 
sans modifications à mon travail primitif. Des notes 
nombreuses ont été ajoutées à ceux que j'ai dû com- 
poser en entier sur des documents inédits. Tels sont , 
en particulier, les deux premiers chapitres du T. IV, 
dont la matière, quoique peu variée, était fort étendue ; 
et en général , tous ceux qui traitent de l'histoire des 
Yaudoijs , depuis 1690 , jusques à 1814. 

Si les circonstances me permettent, plus tard, de 
publier le texte complet des pièces justificatives y dont 
la suppression a surtout contribué à restreindre Té- 
tendue de ce livre , j'aurai réalisé à peu près ce que 
je désirais et pouvais faire sur l'histoire des Yaudois. 

En attendant, j'ai cru devoir indiquer, en tète des 
chapitres , les sources et autorités qui se rapportent 
particulièrement à chacun d'eux ; et je terminerai 
l'Israël des Alpes, par une liste des sources générales 
qui se rapportent , dans leur ensemble , à toute l'his- 
toire des Vaudois, 

Malgré le grand nombre d'auteurs que contient 
cette liste , il en est peu qui fassent autorité ; la plu- 
part d'entre eux n'ont fait que se copier les uns les 
autres. Aussi, à l'exception des plus anciens, qui ont 
puisé aux documents originaux , et de quelques élu- 
cidateurs subséquents , qui ont porté les lumières de 
la critique sur des points obscurs , le reste n'offre 



— xvn — 

qu'un intérêt secondaire. Aucun d'eux n'est cependant 
à dédaigner, à raison des faits de détail et des aperçus 
nouveaux qu'ils peuvent présenter. 

Si j'avais écrit, selon mon premier projet, une his- 
toire critique et documentaire des Yaudois, j'aurais 
cité et discuté presque tous ces ouvrages. N'ayant 
voulu ici que narrer les événements, de la manière la 
plus complète et la plus rapide possible, je m'en suis 
tenu aux sources; toute discussion a été écartée, tout 
ce qui pouvait abréger a été recherché. 

Les documents ofSciels sont presque toujours ré- 
sumés , les discours réduits, les narrations d'interro- 
gatoires transformées en dialogues directs : faisant 
disparaître ainsi les formules ralentissantes : <k On lui 

demanda; il répondit, etc i> Quelquefois aussi 

au lieu de mentionner l'une après l'autre les pièces 
d'une négociation , je les supprime toutes , en disant 
simplement : a On proposa...; on répondit, etc....» 
Enfin , lorsque les documents que j'avais sous les 
yeux établissaient , à propos d'un personnage histo- 
rique , et sur des témoignages certains , que ce per- 
sonnage avait tenu tel ou tel discours . fait telle ou 
telle réponse , rais en avant telles et telles considéra- 
tions , j'ai cru pouvoir substituer à cette forme narra^ 
tive celle de l'allocution directe : faisant ainsi parler 
le personnage lui-même au lieu de raconter son dis- 
cours. Cette méthode était familière aux historiens de 
l'antiquité ; et quoique je n'en aie usé qu'avec beau^ 
coup de réserve , j'ai toujours apporté le plus grand 



— XVIU — 

soin à rexaotitude de ces paroles, sous le rapport de 
la pensée qu'elles devaient exprimer. On dit quelque- 
fois que r historien ne doit ni retrancher ni ajouter. — 
Mais , à quoi ? — Quel est le texte auquel il s'agirait 
de ne pas changer un seul mot ? Lorsqu'on a sous les 
yeux plusieurs narrations différentes , plusieurs docu- 
ments, dont chacun est insuffisant en particulier, 
mais dont l'ensemble est rempli de lumière ; lors- 
qu'on doit poursuivre la vérité à travers un monceau 
des pièces judiciaires, de rapports de police, de notes 
diplomatiques, de correspondances particulières, de 
publications contemporaines , empreintes de l'esprit 
de parti, de relations sciemment altérées ou involon* 
tairement incomplètes , de journaux plus ou moins 
bien renseignés, etc.... n'est-ce pas de la comparai- 
son, des rapprochements, de la critique persévérante 
et impartiale de tous ces éléments confus, que l'his* 
toire doit ressortir ? 

L'appréciation et le classement des matériaux, dans 
ce cas, sont aussi importants que leur nombre. 

Je n'en dirai pas davantage à ce sujet. Il y a sans 
doute, dans ce livre, des imperfections que je recon- 
nais , et d'autres que j'ignore. Je ne puis qu'offrhr 
l'expression anticipée de ma reconnaissance , à ceux 
qui voudront bien me signaler les améliorations dont 
il serait susceptible. Mais si l'on m'accusait d'être 
inexact, par cela seul que je me serais écarté des idées 
reçues jusqu'ici, je dirais : Voyez les sources, infor^ 
mez*vous avant de prononcer. 



Je suis loin de dissimuler mes sympathies pour les 
opprimés contre les oppresseurs : mais jamais je n'ai 
été sciemment inexact ; et toutes les fois que les faits 
historiques m'ont appelé à rendre hommage aux 
adversaires des Yaudois , je crois l'avoir fait sans ré- 
serve ni prévention. 

n existe déjà un grand nombre d'histoires des Yau- 
dois; elles sont toutes incomplètes. Un résumé de 
plus eût été inutile. J'ai entrepris d'écrire leur his- 
toire complète ; cette tâche offi*ait des difScultés qu'on 
peut croire assez grandes , puisque personne encore 
ne les avait surmontées. 

Puissent les travaux longs et pénibles, auxquels j'ai 
dû m'assujettir, pour arrivera présenter la vérité sans 
lacunes , me valoir, à défaut d'autres qualités , l'ap- 
probation de mes lecteurs et des Yaudois qui aiment 
leur patrie. 

J'ai prié Dieu de me soutenir dans cette œuvre; je 
le prie de la rendre profitable à ma patrie et à la 
vérité. 

Alexis MUSTON. 
BouBBEAux (Drôme), ce 18 de septembre 1850. 



AVERTISSEMENT. 



L'examen des divers arguments par lesquels l'an- 
tériorité des Vaudois à Valdo a été récemment con- 
testée y a trouvé place dans la bibliographie qui ter- 
mine cet ouvrage (i). 

Les moyens de vérifier, pour cette bibliographie, 
les titres d'un certain nombre d'ouvrages qui m'étaient 
inconnus, m'ont quelquefois manqué; je n'ai pas cru 
pour cela devoir m'abstenir de les citer, d'après les 
indications qui m'en étaient données. 

Plusieurs questions importantes sur les origines de 
l'histoire des Yaudois , eussent gagné sans doute à 
être refondues ici dans le creuset d'une analyse plus 
riche et plus approfondie. Combien de choses en efTet 
n'y aurait-il pas à dire encore , sur l'origine des Yau- 
dois et sur leurs rapports avec les autres sectes du 
moyen-àge! — Mais cet ouvrage devait être moins de 
dissertations qiie de faits, et son cadre n'eftt pas cotn- 
poHé de tels développements. Le désir de présenter 
«ne narration historique y aussi condensée qae possi- 
ble } et Tambition de combler les lacunes immenses , 
qui subsistaient encore, dans l'histoire moderne des 
VaudoiS) ont surtout présidé à la rédaction de ce tra* 

(t) Sttt l'bpiiitoM qttï ifttd à h¥n dneëndrtf In V^ndott d« Vtldo s Bi^ 
Wl<^. tn fîàrtiA, n« Bêetioii, § III, article XXIY. Sut ruttottilé ë«i 
mm^ Ttodof»* «A Unfeue tointha: lie ptriié, Vf lectioii, g t. Btaria Ifoblt- 
Leyetott ttOlM MONot^ | lil^ Vie. ft7. tH« T. «te. 



— XXII — 

vail. Il a dû s'accomplir dans un petit village, dénué 
de toute bibliothèque savante , et à une gi*ande dis- 
tance du lieu de Timpression ; de là bien des errata , 
dont il me suffira sans doute de constater Texisten- 
ce (1), pour trouver des lecteurs indulgents dont Tin- 
telligence rectifiera aisément ces légères imperfec- 
tions. 

Avant de terminer cet avertissement , je crois de- 
voir faire connaître l'opinion de quelque savants, qui 
ne pensent pas comme moi y sur Tantériorité des Yau- 
dois à Yaldo. Les passages que je vais citer sont ex- 
traits d'une correspondance particulière; que Ton 
veuille bien ne pas y voir une indiscrétion, mais plu- 
tôt un hommage rendu aux lumières de ces écrivains , 
et une preuve de ma propre impartialité. 

a Je crois , dit M. Schmidt , que TEglise vaudoise 
n'a pas besoin / pour se rendre glorieuse y de faire 
précéder sa période historique d'une espèce de pé- 
riode fabuleuse, remontant jusqu'aux apôtres; elle 
me parait assez digne de respect ; lors même qu'elle ne 

(i) iioû, un oQTrage qui n'a que cinq Tolumes a été oité : T. VI, au 
lieu de T. TV, — Uo manuscrit, coté no 60, n'a reçu que le no 6. — Lea 
■deux notée citées à la p. xxrii, lignes 8 et 10 de ce volume, doivent re- 
cevoir pour signes de renvoi : a première note de'p. xxxiii, et de p. xxxiv. » 
— Même paee , ligne 17 : mettre m p. 31 • au lieu de p. 83. ~ A la 
p. XXXI, aux lignes 3 et 4, lire : « première note, page 3, chap. I.— Même 

Sage, note deuxième : les mot» « ou Evrard » placés après le nom de 
^ernardf doivent être placés dans la note suivante, après le nom d'Eber" 
hard.^ Au T. II, cbap. lY, le titre qui porte : a Etat des Yaudois $el(m le 
règne de Charles-Emmanuel , » doit être corrigé en mettant : « sout le 
r^ne... etc. » — Une rectification plus importante doit être apportée au 
vol. IV, en modifiant la ligne 11, de la p. 146, de la manière suivante : 
• Le mémoire était prêt ; dès le mois précédent Peyran s'était empressé de 
« convoquer... etc. » Je ne signalerai pas des substitutions de mots plus fa- 
ciles à réparer, telles que les cris de ses vieloirei • pour « les cris de ses 
vietimet » (T. Il, p. 18) ; mais j'espère qu'on fera disparaître ces négli- 
gences dans une nouvelle édition, si l'ouvrage doit être réîBiprimé. 



descend que d'un simple laïque de Lyon ^ dont la 
piété 9 la modération et le courage peuvent à jamais 
nous servir d'exemple. Avoir remis en lumière la doc^ 
trine de l'Evangile trois siècles avant la Réformation , 
et l'avoir conservée depuis lors avec une fidélité hé- 
roïque y au milieu des persécutions et des supplices : 
c'est; à mes yeux, assez beau, pour que je m'abstienne 
de vouloir embellir ce fait certain en y ajoutant une 

longue période qui n'est pas certaine du tout Qr, 

j'ai le fait positif de Yaldo; pourquoi ne serait-il pas 
suffisant , aussi longtemps du moins qu'on ne peut 
pas prouver qu'il y a eu des Yaudois avant lui ? » 
(Lettre de M. ScmaDT auteur de Y Histoire des Ca- 
thares; Strasbourg, 28 avril 1850). «Pour le point , 
« qui nous occupe , les historiens ecclésiastiques les 
a plus éminents de l'Allemagne , MM. Gieseler et 
a Néander, ont depuis longtemps renoncé à l'opi- 
a nion de la descendance apostolique des Yaudois. 

a lis ne les font venir que de Yaldo Yous alléguez 

a l'ordonnance rendue en 1209 , par Othon lY, et 
a vous en concluez que les Yaudois ont dû être nom- 
a breux et anciens dans les vallées des Alpes. Nom- 
« breux, passe ; quoiqu'à la rigueur on pût le contes- 

a ter Mais anciens , c'est-à-dire plus anciens que 

a Yaldo, je ne le pense pas. Yoyez, Yaldo commence 
« à Lyon, vers 1470^ neuf années après il sollicite du 
a pape Alexandre UI l'autorisation de prêcher ; cinq 
a années après, en 1184, Lucius III prononce l'ana- 
a thème contre ses disciples. De 1184 à 1209, il y a 



— XXIV — 

a 25 ans; ou plutôt, de 1170 à 1309, il y a 39 ans; 
a dans cet intervalle de près de 40 ans , les Yaudoîs 
a ont pu se répandre assez loin, ce qu'en effet ils ont 
a fait : songez seulement à la facilita avec laquelle les 
a adversaires de Rome propageaient alors leurs doc- 
a trines ; songez surtout à la disposition des esprits 

a dans la haute Italie Je ne dirai rien des argu- 

a ments que vous tirez du rit milanais et de Tépître 
a aux Laodicéens.... Vous avez là-dessus ma manière 
a de voir dans ma dernière lettre. » (Ces arguments 
sont jugés insuffisants. ) « Tous les faits positifs, cons- 
a tatés par des documents historiques , sont sans ex- 
« ception postérieurs à 1170, c'est-à-dire à Valdo. 
a Avant cette époque, il n'y en a pas un seul. Citez- 
a moi le moindre petit fait antérieur à cette époque, 
« et je mets bas les armes. » (Du même, 26 mai 1850.) 
— « Vous me citez une bulle d'Urbain 11, signalant 
« la vallis Gyrontana, comme étant en 1096 un foyer 
c< d'hérésie. D'abord , je vous dirai que je n'ai jamais 
« prétendu qu'il n'y eût pas eu avant Valdo de ma- 
a nifestations anti-catholiques. Mais pour établir une 
a connexion historique positive , une identité parfaite 
a entre les doctrines , il faudrait connaître cette hé- 

arésie, dont ladite vallée a dû être le foyer En 

« admettant même qu'il s'agisse d'une hérésie ana- 
a logue à la doctrine vaudoise, cela prouverait seule- 
« ment qu'avant Valdo déjà, il y a eu des hommes, 
a croyant quelque chose de semblable à ce qu'il a 
c( cru lui-même ; mais conclure de là qu'il a été le 



— XXV — 



«descendant de ces hommes, c'est faire nn grand 
c saltus in probando, n (Du même, 40 juillet iS50.) 

Je crois aussi devoir citer, sor cette question, les 
paroles de M. Giesler , dans la langue même dont il 
s'est servi pour me faire connaître sa pensée. — 
a Primum , mones Petrum de Bruis , testibus re- 
« centioribus , a valle quadam oriundum fuisse , 
a qoam Urbanus II, anno 1096, tanquam hieresi în- 
a festam notet : inde, juve tuo, coUigere tibi vi- 
« deris , doctrinam quae Petro cum Vaido communis 
a fuerit, in valle ista, jam ante Yaldum viguisse. Dubi- 
« tari certe nequit, Petmm de Bruys et Henricum jani 
o ante Yaldum , Ëcclesiœ catholicœ errores, aeque ac 
« catharorum portenta improbasse , atque ad pnram 
êi scripturae sacrée doctrinam redire studuisse. Impro- 
c habile non est, Petrum, in valle patria, etiam doctri- 
nam suam seminasse , atque asseclas reliquisse ; 
« itaque explicari potest , quod Urbanus vallem istam 
chsereticis plenam vocaverit. Neque minus simile 
o vero est, ex Pétri et Henrici asseclis qui superfue- 
« rint multos ad Yaldenses, in quibus simile studium 
cdeprehenderent, transiisse, itaque factum esse vi- 
« detur, ut Petrobrusianorum et Henricianorum pos- 
c tea ne vestigium quidem inveniatur. Sed ipsos Yal- 
« denses jam ante Petrum fuisse , Petrumque ex iis 
« prodiisse, concedere nequeo. Nam : l^Petrus multa 
« docuit a Yaldensium doctrina prorsus aliéna. Infen- 
8 tes baptizandos esse , sacramentum corporis et san- 
a guinîs Gbristi , post Christum celebrandum fuisse , 
a negavit. Monachos ad ducendas uxores coêgit. E 



I** 



— XXVI — 

« contrario , notum est, Yaldenses initio doctrinam 
« et instituta Ecclesiae catholicae non impugnasse , 
a sed nihil voluisse nisi simplicitem Evangelii doctri- 
a nam libère prsedicare. Prseterea cselibatum magni 
« fuerunt ; eorumque doctores , ipsi caelibes vixe- 
« runt. » (Gottingen, 20 juin 1850.) Tel est le prin- 
cipal argument de M. Gieseler, dans cette lettre, qui 
est plus étendue encore. — C'est aussi, sur le même 
sujet, Topiniou de MM. Néander, Herzog et Schmidt. 
. — Je ne puis l'a discuter ici ; mais je ferai observer : 
1^ que les doctrines de Bruys sont plus exagérées que 
celles des Vaudois; 2° que des doctrines, de protes- 
tation contre TEglise romaine, existaient avant la nais- 
sance de Bruys , dans la vallée même où l'on pré- 
tend qu'il a vu le jour (voir les notes 1 et 2, de la 
page 32,- 3** que Bruys peut avoir pris dans cette 
vallée où il était né, et qui était une des vallées vau- 
doises du Dauphiné , les germes d'opposition à l'E- 
glise romaine, qu'il fit prévaloir ensuite dans ses opi- 
nions particulières, devenues indépendantes de celles 
qui avaient abrité son berceau; 4° que ce qu'il y eut. 
d'exagéré dans les opinions de Bruys, ne concordant 
pas avec le caractère modéré des Vaudois, a pu l'en- 
gager à s'éloigner d'eux pour aller faire ailleurs des 
prosélytes; 5° que cet esprit de modération, dont il 
est bien reconnu que les Vaudois ont fait preuve, est 
le fruit ordinaire de l'expérience et du temps ; et que 
s'il se manifestait déjà chez eux du temps de Bruys , 
il attesterait, à cette époque même, l'ancienne durée 



— xxvu — . 

de ceux qu'il caractérisait. 6* L'ancienneté des Vau- 
dois expliquerait ainsi la calme maturité de leurs doc- 
trines ; et le caractère emporté de Bruys expliquerait 
la violence des siennes. Toutes les analogies me pa- 
raissent donc militer en faveur de mon opinion. 

Danos ces diverses lettres , on m'oppose encore la 
difficulté de faire dériver le nom de Vaudois, de Vaux; 
ou Valdenses, de Vallis (voir la note iO, du i^ chap. 
de cet ouvr.) ; le vague des expressions d'Othon IV, 
dans son édit de 1209 (voir id. note 1 , de la p. 5) , 
et l'absence de documents antérieurs au XII^ siècle. 
— J'ai examiné la plupart de ces objections en d'au- 
tres parties de cet ouvrage. 

Nos lecteurs pèseront eux-mêmes la valeur des ob- 
jections et des réponses. 

Avant de terminer, je dois dire un mot encore de 
VEpître aux Laodicéens, dont je parle à la page 33. 
Saint Jérôme étant le premier qui l'ait déclarée inau- 
thentique, j'avais cru qu'on devait la considérer comme 
ayant été reconnue authentique avant lui. M Schmidt 
m'apprend que c'est là une erreur : a Loin de dire 
a qnç cette pièce n'a eu cours que jusqu'au lY* siècle^ 
a affirme le savant historien , on devrait dire qu'elle 
« n'a eu cours que depuis lors. Philastrius et Jérôme^ 
a tous deux de la fin du IV" siècle , sont les premiers 
tf qui en fassent mention... Elle est probablement 
a d'origine occidentale... Sa présence dans un msc. 
a du moyen âge ne peut être envisagée ni comme une 
c preuve du grand âge du msc. , ni de l'antiquité 



— XXVUI — 

« d'une Eglise à laquelle ce msc. aurait appartenu, 
a Cette pièce apocryphe se trouve dans un grand 
a nombre de msc. latins de la Vtdgate^ à partir du 
« YI' jusqu'au X V« siècle. Je vous en citerai quelques- 
« uns; msc. de 546 , conservé à Fulde ; autre de la 
« jQin du IX^ siècle, à Darmstadt; autre du même teoips., 
<x à Berne ; un du î* siècle, à Tolède ; du XI^, à Paris ; 
a du même temps, à Vienne ; plusieurs du Xll^ et du 
a XIII' siècle, à Oxford et à Londres; un de 1^4, à 
« Dresde, et deux du XV^^ siècle, à Leipsick. )» 

M. le professeur Rbuss, Tun des exégètes les plus 
distingués de notre époque, a bien voulu ajouter 
quelques indications , à ces renseignements. 

« Marcion , me marque-t-il, donne le nom à'É- 
a pitre aux Laodkéens , à celle que nous nommons 
^Ep. aux Epkésiem. Ce n'est pas de celle-là que 
avons voulez parler, mais d'une pièce apocryphe im- 
a primée dans Fabricius (Codex Apocr. N. T. L 855 ). 
a Le plus ancien auteur qui en parle est Jérgme. 
« (CataL Script. EccL S. Tit. Paulus, ) Je ne compte 
«pas Philatbiijs au quatrième siècle (iT^^re^. 88), 
«parce que ses expressions sont douteuses: (A lit 
a autem Lucœ evangelistœ aiunt epistolam etiam ad 
« Laodic, scriptam. ) Il parait qu'il voulait parler de 
«l'Ëp. aux Hébr., que plusieurs ont confondue avec 
a celle dont parle saint Paul : Coloss. IV, 46; opinion 
« récemment encore défendue. Jérôme dit : Legunt qui- 
a dam^ et ad LaodiceoSy sed ab omnibus exploditur. L'é- 
a pitre apocr. est mentionnée comme telle par Théo- 



aooRST (ad Cohss. IV, 16). Le second concile de 
a Nicée (787) la proscrit formellement : Labbe dm- 
ff cil. YII, 475. Elle n'existe qu'en latin , et doit son 
a origine à l'interprétation de Coloss. lY , 16. La traduc- 
a tion grecque actuelle a été faite au seizième siècle; 
a cependant il est probable qu'il y avait autrefois un 
a original grec. Elle n'a jamais été reçue au canon; 
' a mais le moyen âge latin l'adoptait assez fréquera- 
a ment ,^sans y être officiellement autorisé. Tous les 
a modernes, depuis Erasme, à peu près, l'ont rejetée; 
ce on la trouve cependant dans divers manuscrits et 
a même dans plusieurs Bibles imprimées : (d'abord 
a catholiques et anabaptistes : Worms, 1 529 ; Mayence, 
a 1534; Bible bohémiène du seizième siècle , etc. — Le 
a premier protestant qui l'ait insérée, fut Elie Hut- 
« ter : 1599; etc.). 

« Vous voyez, par tout cela , qu'elle n'a jamais été 
o rejetée du canon , parce qu'elle n'y a jamais été 
« reçue, Haymo Halbert. (Sect. IX.) la cite comme 
« utile (ad Coloss. IV. 16). Pseudo Anselmus {ad 
a eumdem locum) , croit également que Paul y men- 
« lionne cette pièce , et explique son absence du canon 
« comme Grégoire. (Greg. niagn. in Job , l. 35. 15. 
a dit que Paul a écrit 15 épîtres , mais que l'Eglise 
a s'en tient à 14, à cause des 10 commandements et des 
« A Evangiles !) Thomas d'Aquin*(ad Coloss. IV, 16) 
c< dit qu'elle n'est pas au canon , non plus que celle 
citée : l'i^Cor. V; quia non constabat de earum atcctori- 
tate, quia forte erant depravatœ , et perierant in eccle- 



_*♦• 



sia; vêl quia non contmebant aliud quam ista , etc. 
(Lettre de M. E. Rbuss. Strasb. 9 juillet 1850). 

Nos lecteurs seront en mesure, sur ces indications y 
d'admettre ou de rejeter Targument de détail , que 
j'avais cru pouvoir tirer de la présence de Tépitre en 
question y dans la Bible Vaudoise , de la bibliothèque 
dupalaii des Arts^ à Lyon; n"" 60. 



Depuis que les premiers volumes de cet ouvrage 
ont été imprimés ; une discussion de dates s'est éta- 
blie sur les éléments de la troisième note qui se 
trouve à la page 5 , du chapitre P' (1). Voici pour la 
remplacer. 

I. Des deux écrivains cités dans cette note , Tim 
était le contemporain de Yaldo (2)> et Tautre, son suc- 
cesseur peu éloigné (3). Or, ils parlent des Yaudois, 
comme si ces derniers étaient originaires de leurs 
vallées (4). 

II. C'est dansées Vallées que, d'après les écrivains 
du pays, opposés aux Vaudois, Pierre de Bruys, prê- 
tai Vt|nrès eette note, le pape Litoiuê dottt il est parlé dans Bernard de 

rotUeaui^ serait Lucb II ; d*après H.Schmidt ce ne peut-être que Lvcm III ; 
^ l'cxprenion qui a fait croire à une dédieaoe devrait être autrement en- 
tendne. — ifayant pas maintenant le texte toua let yeux , je ne puis que 
iMDtioQiier ees obaerTatioas, avec toute la déférenec qu'elles méritent, et 
F^ater de nouveaux arguments à l'appui de la même thèse. 

()) BiBwiai» on Eviard m FoirrcAtm (de fonte calldo) , mort en 1198. 
(HmoG : De orig. et prietino statu Wald. etc., p. 9. 

(3) EBiEHAan db BiTHum (biblloth. max. PP. T. XXIY). On ignore la 
<^te de la mort: mais elle fut peu éloignée de eelle de l'auteur précédent. 

(4] Dieti stmt... a valle denea. (BinHABo : Contra Vaidentes et Ariamte , 
àm Gretzeri opéra T. XII; préliminairee de l'œuvre.) — Valdensee.,. eo 
fxod tn vaUe.,. (Ebbbhard : liber anti-hteresit ; cap. XXY.) -^ Cet écrivain 
'PpeUe ailleurs les Yaudois du simple nom de Montagnarde, ce qui fortifie 
^^^otB l'idée que. selon lui, ils étaient originaires de leurs montagnes. (Voir 
«w. bihl, Patrtmy vol. XX, col. 1039.^ 



— XXXII — 

curseur de Valdo^ a pris naissance (1). D'où il résul- 
terait que les doctrines communes à ces deux réfor- 
mateurs^ devaient être connues dans ces vallées, avant 
Tapparition de Yaldo. 

ni. Ces doctrines, en effet, sont déjà signalées avant 
cette époque, même par des documents of&ciels (2). 

IV. Le nom de Valdo semble n'avoir dû être ni 
un nom de baptême (3), ni un nom de famille (4). 
S'il n'est qu'une épithète , on pourrait croire qu'elle 
lui fut donnée, par suite des relations qu'il avait eues 

(1) Le P. Albibt {Hitl. au diocèse d'Embnm... T. I, p. 56), et le jé- 
suite FouKNiiR [Hist. des Alpss marilimes ou cottiennes et particulièrement 
d'Embrun leur métropolitaine : HSC. in-fol. dont l'original, en latin, est à 
Lyon et la traduction, que je cite, à la bibliothèque du petit séminaire de 
Gap), ainsi que Bathoni» JurBias (auteur de Mémoires historiques inédits 
et procureur du roi, à Gap, sur la fin du XYIIe siècle) , disent que Pierre 
de Bruys , étaU originaire de Val-Louise , l'une des vaUées raudoises du 
Dauphiné. 

(2) La YaULouise est signalée comme infestée d*hérésie, dès l'année 1096* 
dans une bulle d'Urbain II, citée par Bruicbt , seigneur de l'Argentière • 
Recueil des aetes^ pièces et procédures, concernant l'Emphytéose perpétuMe 
des dîmes du Briançonnais, p. 55. — Dans cette bulle la Val-Louise est 
nommée Vallis Gyronlana^ du nom du Gyron ou Gyr, torrent qui la tra- 
verse. — Voir sur les différents noms de cette -vallée , au commencement 
du chapitre ILI, de ia première partie de cet ouvrage. 

(3) Car il se nommait Pibrub. (Prœdicto Pbtro, quidam se adjunxit qu^ 
dielus ej^at Johannes, et erat de Lugduno. (Philicboorfius, de haeresi Val- 
densium, chap. 1er. . Bibliotheca max. P. P. T. XXY, p. 278.) 

(4) Les noms de famille n'existaient pas à cette époque. On désignait les 
individus par une épithète empruntée à leur profession, aux caractères de 
leur personne ou à leur genre de vie. Exemples : Jacques le tisserand, Tào* 
iiUM Le RouXf Richard Ccsur-de-Lion, etc. 



— xxxni — 

avec les Vandois des Alpes (1), et de la propagation 
qu'il fit de leurs doctrines. — Mais lors même que ces 
doctrines eussent été partagées à Lyon, par un chré- 
tien nommé Valdo (2), et que ce dernier eût laissé des 
disciples nommés VaudoiSfil» n'en résulterait pas que 
les Vaudois des Alpes, fussent les disciples de Yaldo. 
Y. On trouve en effet ce Hom et ces doctrines dans 
un poème en langue romane , antérieur d'un demi- 
siècle à Yaldo. La date de ce poème a été contestée; 
nous l'examinerons plus tard (3). 



(1) Par suite de son ^tat de marchand forain. '- On oppose à cette 
idée la difficulté de faire dériver les mots Valdo et YALomsu de xioXii» , 
wilXée. Mais combien u'avoos-nous pas de mots qui n*oot pas sttivi, deos 
leur formation, les règles d'une exacte etymologie? Ces dérivations arbi- 
traires étaient surtout nombreuses au moyen Age. L'objection n'aurait de 
▼aieor que si cette dérivation contestée était le fait d'une hypothège qui 
noas lut propre : mais elle existait déjà du temps de Yaldo. Valdentes.., 
dieli sunt... a voile densa. (Voir la note cinquième de ce chapitre.) Eber- 
hard de Bétbune nomme du reste les Yaudois, VallenseSt en donnant à ce 
oaot la même etymologie. (Note précitée.) Ds Thou les appelle indifTé- 
remment VaUemes, Yalienseê ou ConvaUemes, (Histor. lib. XXYII, etc.) 

(2) « Le nom de Valdo n'était pas rare au moyen Age. ~ En 739 , on a 
« Yaldo ^ abbé de Saiot-Maximin , à Trêves; en 769 et en 830, le même 

■ nom se retrouve parmi les hommes libres, signataires de donations faites 

■ à l'abbaye de Wissevbourg ; en 786 vivait Valdo , abbé de Ricbenan , 
• près deSaint-Oenys; en 881, Valdo^ signataire d'une charte de Charles- 

■ le-Gros; en 895, Valdo ^ évéque Je Freissingen; en 907, Valdo membre 

■ du Synode de Yienne; en 960, Valdo, évêque de C6me, etc. t (Lettre de 
H. ScHHiDT, du 26 mai 1850.) 

(3) La Nobkt Leyczon , datée de l'an MC. '- Yoir pour la discussion de 
cette date, dans la Bibliographie de l'Israël des Alpes, Partie I, Section II, 
§ 3, art. XXIY; et Partie II, Section I, § 3; MSC. S07, art. Y. 



— XXXIV — 

yi. L'édit d'Otbon IV, daté de l'an 1209, attribue 
aux Vaudois du Piémont , une notoriété et une in- 
fluence assez grandes pour faire présumer qu'à cette 
époque ils étaient déjà anciens dans le pays (1). 

VIL Â supposer que les disciples de Yaido se soient 
réfugiés dans les Alpes , sur la fin du douzième siè- 
cle , il serait bien difficile* d'admettre qu'ils eussent 
peuplé à la fois les vallées vaudoises du Dauphiné et 
celles du Piémont, en moins (Tune générationy au point 
d'y acquérir l'influence que leur attribuent simulta- 
nément cet édit d'un côté et celui d'Alphonse d'Ar- 
ragon, marquis de Provence, de l'autre (2). 

Vin. On ne pourrait se rendre compte d'une pa- 
reille extension que dans le cas où les nouveaux ré- 
fugiés auraient déjà eu des coreligionnaires dans ce 
pays (3) : comme aussi, on ne peut guère expliquer 



(1) Yoy. Monumenta Patriœ , T. ni, col. 488. — Le grief porté contre 
les Vaudois dans ce décret, est ainsi conçu : Zizaniam teminant : ce qui 
dit-on, semblerait indiquer que leur présence était récente dans le pays ; 
à mon avis, cela impliquerait plutôt que leur activité s'était accrue. 

(3) En 1193 , selon d'AnOBRTKi [ColUctio judie. de novii errorib. T. I , 
fol. 83); en 1194, selon Etvbhic [Directoritm Inquint. p. 383.) — Al- 
phonse II était marqui* de Provence. — Les VatêdaU, sont nommés dans 
cet édit. Il est donc permis de les considérer comme existant en Provence, 
à cette époque. 

(3) On ne peut guère B*expliquer, sans cela, comment ils auraient sA 
d'avance qu'ils y trouveraient un asile. 



— XXXV — 

leur arrivée dans ce pays qiie jMur rexisténce de ces 
coreligionnaires antérieurs (1). Dans les deux cas, les 
Yaudoîs des Alpes eussent précédé les disciples d^ 
Valdo. 

IX. L'idiome de la Nobla Leyczon^ étant le langage 
des Alpes et non celui du Lyonnais (2), c'est par des 
habitants de ces montagnes et non par des étrangers 
que ce poème a dû être écrit. Mais, comme il ne peut 

w 

avoir été composé que de Tan H 00 à l'an 1190 (3) : 
comme, en 1 100, les disciples de Valdo de Lyon n'exis- 
taient pas encore : comme en 1190, il y avait à peine 
six ans qu'ils étaient bannis de Lyon (4) , et qu'en si 
peu de temps, il n'est pas probable qu'ils eussent pu 
apprendre une langue nouvelle, au point de la doter 
soudain des œuvres les plus parfaites qu'elle eût encore 
produites; comme, en outre, dans la position pré- 
caire où ils se trouvaient, ils devaient avoir bien autre 

(1) A supposer que les disciples de Yaldo se soient réellement réfugiés 
dans les Alpes. 

^2) Voir dans la Bibliooràphu de Vltraël dês Alpet^ Partie II, Section I, 
§ 1, article Vil ; et § 2 ; MSC. YII. 

(3) Même Bibliographie : Partie I, Sect. Il, g 3, art. XXIY. 

(4) Yaldo fut déclaré hérétique au concile de Latran (1179) et anathé- 
matisé à celui de Yérone (par Luce III , en 1184) ; où l'empereur s'en- 
gagea à travailler à l'exlirpatioa des hérétiques. C'est à la suite de cette 
dernière condamnatioa (de 1685 à 1688) , que Yaldo fut expuUé de Lyon , 
avec ses disciples. 



— XXXVI — 

chose à faire qu'à écrire des poèmes; comme enfin , 
dans la Nobla Leyczorij il n'est parlé ni de Valdo, ni 
de ses disciples, et qu'il n'est pas même fait allusion 
à leur existence : je suis porté à croire que ce n'est 
point parmi les disciples de Yaldo, qu'il faut chercher 
l'auteur de ce poème. 

X. En effet , si les Yaudois de Lyon avaient dfr 
écrire un pareil ouvrage, il est évident qu'ils l'auraient 
écrit dans la langue qui leur était familière : c'est-^ 
dire, dans l'idiome du Lyonnais, et non dans celui des 
Alpes. Et, à supposer qu'ils eussent connu ce dernier 
idiome , je dis qu'ils ne s'en seraient pas servis : à 
moins qu'il n'y eût eu déjà, dans les Alpes, des in- 
digènes partageant leurs doctrines; car, sans cela, ces 
indigènes eussent été leurs adversaires , et les disci- 
ples de Valdo, qui avaient pour but de se cacher, au- 
raient évité la langue de leurs adversaires au lieu de 
la rechercher. D'où je conclus : 1° que ces poèmes 
ne sont pas leur ouvrage; 2° qu'ils sont dûs aux indi- 
gènes des Alpes, qui parlaient cette langue ; 3° que 
ces indigènes sont des Vaudois antérieurs à Valdo. 



l'ISRAÉL DES ALPES, 



DES VAUDOIS 



PREMIERE PARTIE, 

l^cpais l'orîgîne des Vaudois, jusqu'à l*épo<|ae oà ils 
fîtrent restreints dans les linites de leurs vallée-s 



PREMIERE PARTIE. 

Bîslone des ▼ao^ois depuis leur origine jofiia'à Tépoqne 
oà îlf furent' eireoiiseriU dans les feules vallées 

du 



CHAPITRE PREMIER. 

ORIGINE, MOEURS, DOCTRINE 

ST ORGANISATION DE l'ÉGLISE YAUDOISE 
DANS LES ▲NCIENS TEMPS. 

(Pour les fkiti historiques de l'an SM (1) à l'an 1S09.) 

Somicu. Aneûnt manuterilt vaudoiê en kmguê romane^ déposés aux Bi- 
bliothèques : de Ljon, oo (K>, de Grenoble, no 488 (anciennes tablettet 
8,595); de Genève , nos 43, S06, 207, 908, 309; et de Dublin : CoUef. 
Trin., aass. À, Tab. lY, no 13 ; Class. G, Tab. Y, pot 18, Si et 9S, lab. lY, 
(elaas. G.) nos 17 et. 18. 

Les Yaudois des Alpes soûl , selon nous , des chré- 
tiens primitifs ou des héritiers de l'Eglise primitive, 
conservés dans ces vallées à Tabri des altérations 
successivement introduites par TEglise Romaine dans 
le culte évangélique. 

Ce n'est pas eux qui se sont séparés du catholicis- 
me , mais le catholicisme qui s'est séparé d'eux , en 
modifiant le culte primitif (21). 

(1) Voir à la page 81. 

(S) Voir la note à la fin da chapitre. 



— 4 — 

bien que les Vaudois ne se fussent pas séparés schis- 
matiquement de l'Eglise catholique, dont les formes 
extérieures les abritaient encore, ils avaient leur clergé 
particulier, leur culte et leurs paroisses. 

Leurs pasteurs se nommaient Barbas (1). C'é- 
tait dans la solitude presque inaccessible d'une goi^e 
profonde , où la nature recueillie n'envoyait à leur 
âme que d'austères inspirations, qu'ils avaient leur 
école (2). On leur faisait apprendre par cœur les 
Evangiles de saint Mathieu et de saint Jean ; les épt- 
tres catholiques, et une partie de celles de smntPaul. 
On les instruisait en outre pendant deux ou trois ans 
en hiver. Ils s'exerçaient à parler le latin , la langue 
romane et l'italien. Après cela, ils passaient quelques 
années dans la retraite ; puis on les consacrait au mi- 
nistère par l'administration de la sainte cène et par 
l'imposition des mains. 

Ils étaient entretenus par les subventions volon- 
taires du peuple. La répartition eu était faite chaque 
année dans un synode général. Une partie était don- 
née aux ministres, l'autre aux pauvres, et la troisième 
réservée aux missionnaires de l'Eglise. 

Ces missionnaires allaient toujours deux par deux: 

(I) Titre de déférence ; et textaellement onele^ dam l'idiome Yaudois 
(9) Cette gorge, située dam yaUAngrogne,se nomme Pra-du-'Towr, 



savoir y un jeune homme et un vieillard. Ce dernier 
était appelé le Bégidorj et son compagnon , le Coad^ 
juteur. Ils parcouraient Tîtalie, où ils avaient dessta* 
tions oi^amsées sur plusieurs points , et dans près* 
que toutes les villes des adhérents secrets. A Venise, 
on en comptait 6,000 (i) ; à Gènes, ils n'étaient pas 
moins nombreux. Vignaux parle d'un pasteur de la 
vallée de Luzerne qui s'y retira pendant sept ans (2). 
Le Barba Jacob, en revenait en 1492, lorsqu'il fut ar- 
rêté par les troupes de Gattanée, sur le col de Goste* 
Plane , pendant qu'il se rendait de la vallée de Pra- 
gela dans celle de Frayssinières (3) ; et les enquêtes 
juridiques dirigées contre les Vaudois de 1350 à 
1500 (4), et si souvent dtées par Bossuet (5) , men- 
tionnent également la circonstance caractéristique de 
ces voyages habituels. 

Ce devait être pour ces chrétiens épars une fêt^ 
bien douce que la venue du pasteur missionnaire, at- 

(1) Gilles, p. 20. 

(3) Cité par Ferrin, p. 241. 

(3) Perrin, p. 241, note marginale, n. 4. 

(4) Ces Enquête* faisaient jadis partie de la bibliothèque partienlière de 
Golbert; elles passèrent ensuite dans celle du marquis de Seignelay. Bon- 
net et Lelong les citent dans leurs Tocabulaires. On ignore où elles sont 
aujourd'hui. Un manuscrit in-folio de la bibliothèque du petit séminaire de 
Gap en renferme de nombreux fragments, qui ont été consultés. 

(5) Eût. des Var., liv. XI, § ci et suiv. 



tendu pendant toute Tannée avec la o^rtilude d'un 
retour régulier, comme celui d'une saison de plus! 
Saison rapide, mais bénie, dans laquelle les fruits de 
l'âme et les moissons du Seigneur s'avançaient vers 
leur maturité. 

Chaque pasteur devait être missionnaire à son tour. 
Les plus jeunes s'initiaient ainsi aux devoirs délicats 
de révangélisation : chacun d!ex\x étant sous la con- 
duite exp^meptée d'un vieillard que la discipline 
établissait son supérieur , et auquel il devait obéir en 
toute chose autant par devoir que par déférence. 

Le vieillard de son c6té se préparait ainsi au re^ 
pos, en formant pour TEglise des successeurs dignes 
d'elle et 4e lui* Sa tâche étant finie , il pouvait mou- 
rir en paiic avec la consolante assurance d'avoir trans- 
mis le saint dépôt de l'Evangile à des niains pru- 
dentes et aé)ées. 

Outre cela, les Ba^ba^ recevaient une instruction 
professionnelle qui les mettait à même de pour- 
voir à leurs besoins. Quelques-uns étaient colporteiirs, 
(l'Wtî?^3 ^rti^^s, ]b, plppart ipédecips ou chirurgiens ; 
tous enfin connaissaient la culture des terres et l'en- 
tretiai des troupeaux aux soins desquels ils avaient été 
voués dans leur enfance. 



— 7 — 

Triss peu d'entre eux étaient mariés , et leurs per- 
pétuelles missions; leprindigence, leurs vpyages, leur 
vfe to^jpurs qi^Utante et toujours menacée ^ font com« 
prendre aisément 14 raison de ce célibat. 

Danslesypode annuel, qui se tenait auxvallées, on 
e^^mioait la vie de ces pasteurs et Ton réglait leurs 
iQlitatioos de résidence. Les Barbas en exercice étaient 
échangés tous les trois ans, et toujours deux à deux, à 
l'exception des vieillards, qu'on ne déplaçait plus. Un 
directeur général d'Egliçe était pommé à chaque sy- 
node, avec le titre de Président ou de Modérateur. Ce 
derpief titre ^ prévalu 0i $e conserve encor^ aujourd'hui . 

Les Barbas vaudois devaient se rendre auprès des 
l|ia}ades , y qu'ils fussent ou non appelés. Os nom- 
maient des arbitres dans les différends; ils admonesr- 
taient ceux qui se conduisaient mal, et silesremon- 
trances devenaient inutiles ils allaient jusqu'à l'ex- 
conmiunication : ce qui était fort rare. 

Leurs prédications, leurs c^iéàièse& et les autres 
exercices d'enseignement ou de piété étaient géné- 
rée jqo^nt senib^al^lieç h ceux des égji^e^ réformées, 
sauf que les fidèles prononçaient à voix basse la prière 
qui précède et celle qui suit le sermon. Les Vaudois 
avaient aussi des cai^ques,maisilsne les chantaient 



— 8 — 

qu'en particulier; ce qui est encore conforme à ce que 
nous Savons des habitudes de l'Eglise primitive. 

Leurs doctrines présentent également une analogie , 
et même une parité frappante^ avec celles des temps 
apostoliques ou des premiers Pères de l'Eglise. 

l! autorité absolue de la Bible et son inspiration (4), 
la trinité en Dieu (2), l*état de péché en l'homme (3), et 

(1) Noscreen... tôt czo qu'es con- Nous croyons que tout ce qui est 

tenu al Telh e al novel Testament contenu dans le Vieux et le Nouveau 

esser segella e auctentica d'I sagel Testament a été scellé et homologué 

d'I sant Sperit... e tota la ley d'Xt. (rendu authentique) par le sceau du 

istar tan ferma en yertta que una Saint-Esprit..., et que toute la loi 

lettra o un poinct d'iey meseyma, chrétienne est si fermement établie 

non poissa mancar ni deffalhir. en vérité, qu'un seul point n'en peut 

manquer ni faiblir. 

( Msc. vaudois de Dublin , Bibl. du collège de la Trinité , class. G , tab. 
V, n. 23. Sous le titre : Trésor e lume dé /«, fol. 176 et suit., et dans 
les Msc. vaudois de Genève, n. 208 (sans pagination). 

(S) Lo premier article de la nostra Le premier article de notre foi est 

fe es que nos creyen en un dio payre que nous croyons en un Dieu , père 

tôt poissant... local dio es un entre- tout-puissant..., lequel Dieu est ua 

nita. en trinité. 

(Même source. Dublin : fol. 180. Genève : de U articles d*la fe. Voir aussi 
le Catéchisme : Interrogations mMior«, publié par Psanm, etc.) 

(8) Nos sen coneeopu en pecca e Nous sommes conçus en péché et 
en misetia. — Larma tray soczura en misère. L'ame traîne après elle 
de pecca. — Pecca, soczura, enequi- une souillure de péché. Péché, souil- 
ta sovent, pensen, parlen, eobren lure et iniquité nous suivons, pen- 
fellonosament. sons, parlons et agissons déloyale- 

ment. 

{La Barea, Msc. de Genève, n. 807, et de Dublin, n. SI.) 



— 1> — 

fc sahit gratuit par Jésus-Christ (i); mais surtout la 
f$i agissante par la charité (2), les résument en pjeu de 
mots. 

On sera surpris peut-être d'apprendre qu'avant la 
réformation, les Vaudois n'avaient pas contesté à TE- 
giise romaine, le nombre des sacrements qu'elle avait 
admis (3). Ds se contentent en effet d'observer que 

(1) Ce point de doetrine fait l'objet spécial du quatrième article de foi, 
exposé dans le BDanuacrit de Dublin, n. Si, et de Genève, n. 208. 

Lliereta celestial , el meseyme , Jésus-Christ, pi/s de pieu, promet 
Xrlst , filh de dio, promes dgnar a lui-même de ^opp^r l'Jii^érilage cé> 
li veray cootiTador de la fe. leste aux irr^is cçuiinji^ateurs de la loi. 

(Genève, Msc. 609.) 

j^osstra sa]||^*.<^ e premiefam^ en Notre saJujt est premièrement dans 

la eslecion e douacion de gra délie l'élection et le don gratuit (par pur 

•ua gracia, Tayent agradivols.^ se- gré) de sa grâfce, aoms rendant (elle- 

condament en la participacioo del même) agréables, 

merit de notre Segnor Salvador En second lieu, dans la participa- 

Yeshu Xrist. tion aux mérites de notre Seigneur 

et Sauveur Jésus-Christ. 

(JIsc. de Dublin, cjas». C , tab. Y, n* 3S , première pièce. X^zo es U 
cau9a del degpartltMnt de la Gleysa romana.) 

(S) Non possibla cosa es ali vivent. Il est impossible aux vivants d'ac- 
complir li oomandament de dio silh complir les commandements de Dieu, 
pon han la /ç : e non puoo a^ajr s'ils n'ont pas la. foi, et îfe ne peu- 
Jny perfectament ni cun carit^ siJb v^ l'aimer complètement, ni avec 
non gardan li seo C4^andament. charité , «'Us ne gardent pas ses 

commandements. 

(fisc, vaudois de Genève, n. ^OS, fol. 2.) 

(3) Le manuscrit vaudois de DuMin, clas. C, tab. Y, n. 22. au fol. 181, 

1 



— 10 — 
Jésus-Christ n'en a institué que deux; et comme l'E- 
vangile, sur lequel ils se fondent toujours, n'avait pas 
indiqué formellement ce nombre, ni même prononcé 
le nom de sacrement , il est tout naturel qu'ils s'en 
soient rapportés sur cela à la décision de l'Eglise , 
comme ils s'en sont rapportés plus tard à celle des 
réformateurs (1). 

Ils admettaient la confession (2) , mais voici dans 
quelles circonstances. La confession, disent-ils, est 

Teno, reoferme aa traité àa U set iocramêfU. Il se retrouve en partie 
dans le manuscrit 208 de Genève, fol. 17-26, et dans le manuscrit 209 , 
fol. 18, où le mariage est appelé lo cari sagram»nt* dé la Gleysa^ aveo 
cette observation : 

enayma el fo aiosta non desparti- bien qu'il ait été ajouté non dépar- 
volment al cal el es desser garda tivement, encore doit-il être gardé 
sant e non socza. saint et non souillé. 

(1) Les passages des écrits vaudois en langue romane déjà publiés, qui 
tendraient à faire prévaloir une opinion différente, soit sur cette question, 
boit sur les suivantes, ont dû être modifiés dans les copies qui ont servi de 
base à ces publications, car ils ne correspondent pas au teite primitif des 
plus anciens manuscrits. 

On pourrait en donner des preuves très nombreuses, mais cela n'entre 
point dans le cadre de ce travail. Il me suffit de pouvoir garantir l'exac- 
titude de mes propres citations, qui ont toutes été prises sur les manu- 
scrits originaux. 

(5) Voir Hsc. de Dublin, n. 22, fol. 213 et suiv. Msc. de Genève, n. 209, 
fol. 17, n. 207, traité final de la Penitmusia, fol. antepenult. ; et sur Tabni- 
lulion qu'ils n'admettent pas : (Dublin, u. 22, fol. 383.) 

* La diversité d'orthographe que l'on peut remarquer dans les mômes mots de ces di- 
verses citations, tient à la aiifërence des copies ou des époques de rédaction ; quelque- 
fois, mais rarement, à la négligence des copistes ; souvent enfin à l'incertitucie même 
du l'orthographe avant la formation de la langue. 



— iH — 

de deux natures : la première doit être &ite à Dieu 
du fond du cœur; sans elle aucun ne se peut sau- 
ver (i). La seconde est celle qui se fait de vive voix 
au prêtre, pour prendre conseil de lui; et cette con- 
fession est bonne lorscpe celle du cœur Ta précédée. 
Mais hélas ! plusieurs ne se confient qu'en celle-ci , 
et ils tombent en perdition (2) . 

Us admettaient la pénitence y mais voici dans quelles 
dispositions, a C'est une grande chose, et qui convient 
à tout pécheur, de faire pénitence; mais c'est ThoV- 
reur du péché et la douleur d'en avoir commis qui 
doivent la produire. Autrement c'est une pénitence 
fausse; et autant la vraie pénitence rapproche de 
Dieu, autant la fausse en éloigne (3). » 

(1) AI repentent te eonven la confestion, Ueel et en dut modo. La pro- 
miera es interior, exo es de eor al Segnor dio.... B sencsa aqnella con- 
fession, alcan non se po salvar. (Genève, Msc. n. 907, traité final, article 
QuarUntent.) 

(2) La seconda confession es vocal, czo es al preyre, per pilhar conselh 
de loy, e aqnesta confession es bons, cun aquella première... sere devant 
anna. Ma oylas! moti home despreczan aquesta interior... e solament se 
eonfidan a la Tocal, e aquella creon qoe lor sia abastant a salu... e cagic 
en despercion. (Suite du même morceau. Voyez de plus Msc. de Genève, 
n. S09, traité dé la PenUtneia, avec quelques modifications dans les termes. 
Ce même traité se retrouTe dans le t. VI des manuscrits de Dnbiin, ar- 
tide37.) 

(3) Tel est le sens général de ce traité sur la Pénilenee, (Dublin , n. 22. 
Genève, n. 807, à la fin, et 209 au commencement.) 



l^lle est eelld qui rapo83 sih* de y|û^^s ^atisfaa- 
tiûns(i)'^ car qae fej?ez-Yous de biea qw^ vous ^e 
deviez le faire ? et si vqi|s i^e le faites pas, par quoi 
le remplacerez-voiis? I^ piiou^^ top|; entier ne ppur- 
rait pas UQps délivre^ de nos péché§ f mais Cjelui-là 
seul y d s^ti^fait qui est créateur? et pré^ture en même 
temps, savoir Christ (2). 

En ayma lome sapropria a dto e Autapt l'homme Sr'approcfae de Dieu 

al réglée 4e 1^ cei per la vera peoi- ^t da royaume des cieux par la vraie 

tencia ; enayma el se delogoa de dio péniteDce, autant il s'éloigne de Dieu 

e ^el reg9e de 11 cçl per la fftlsa pe- ^t du Royaume def cieux par l.a 

nitencia. fausse. ' 

La Tera es habandonnar lipecca La vraie pénitence est d'abandon- 

CMpes et plorar lor* e degitar to^ 'ner les piéc^és commif, de les p|eM- 

lijis caysons 'de 11 pecca , e doier se rer, et d'éloigner toutes les occasions 

gencza fin, e aonar a dio de tojt lo dej)écher, gémissant sans fin (d'a- 

cor.... Tioir péché) et allant h Dieu de tput 

Dnoca lo repentent deo irar lo son cœur. 

pecca... e aqullh que non han en Celui qui se repent doit donc haïr 

odi ti peoca de li autre, e non dei- le péché... et celui qui ne l'a pa3 en 

vian lor legont lo lor poer... aitals horreur, même chez les autres, les 

non son veray pentent, etc. (cQm- en détournant de tout son pouvoir... 

mencement et fin du traité). un tel hemme ne conuaU pas Ia 

vraie pénitence. 

(1) Enoara al pentent conven la II est encore une chose de grave 
satisfacion , e aquesta es de grev imporiaoce qui conviej^t à celui qui 
condicion... per laquai alcun pums se repent; c'est la satisfaction... pa^r 
la cosa non xaczonixol laquai el fey; laquelle il en est <}ui punissent la 
e aquesta satisfacion permao en tre chose non raisonuable , laquelle ils 
cosas czo es en oracion, eu dejunis e ont Caite ; et cette satisfa/ctioo réside 
en almosinas, etc. (Même traité de en trois choses, savoir : la prière, le 
la Pmitencia.) jeûne et les aumônes. 

(2) En tant sistent punicion o vé- Le pardon ouïe châtiment doivent 



— 13 — 

Aussi 9JQpt6nHIs avec raisQjii qu'4 p'y a p%s 
d'autre c^n^^* idolâtrie qpe ce$ ^usseç opinions pi^r 
lesquelles )*Antiecb^i$t ^retife ^ Dieu }a gripe, la vé- 
rité^ l'autorf^éy Tinvoca^ioa et n^terp^ssion^ po^r les 
attribuer au piinistère ^t aux fl&i^vfres de ses mainç, 
savoir aux saints et au purg^tpi^e (^). 

Les Yaudois cependant i|e cessent da recomn^nder 

- aianeza quant es aquel eoatra loqual être en raison de la grandeur de oe- 

Ta pecca* lui ciOD^re qui l'on a péch^. Dpoc il 

Donca la pena o loffencza es non n'y a pas plus de rapport [mesure) 

mesnriTol , e non mesurivol es dio entre la peine et l'offense qu'entre 

contra loqual lia peoca* Dieu et te pécheur. {Voffeme ett in- 

Dooca oylas, non deovia peoear /ima contre tmDteutn/int.) C'est poor- 

per alcuna eosa, ni encar per tôt lo quoi, hélas! on ne devrait pécher 

mont. Car tôt le mont non poeria pour aucune chose, ni même pour le 

deslivrar del pecca. monde topt ei^tier, car tout le niQnde 

Sonca lo es manifest que alcun ne pourrait nous délivrer du p/éché. 

de si non po sati&far per lo pec- Il est donc manifeste que personne, 

ca ; ma aquel sol sfiljsfare , local es de soi, ne peut offrir de latislaction 

Creator e creaiara cio es Xriifev local pour le péché ; mais que celui-là seul 

a satisfait per ti nostra pecca. y a satisfait qui est créateur et créa- 
ture en même temps , savoir Christ , 
lequel a satisfait pour nos péchés. 

(Extrait du Msc. 209 de Genève, par les soins obligeants de M. le ministre 
Tron, des vallées vaudoises. — Se retrouve aussi à la fin du manuscrit 
S07, et dans ceux de Dublin, n. 32, fol. 358.) 

(1) Non es alcuna altra causa didolatria sinon falsa opinion de gratia, 
de verita, de autborita, d'eovocation, d'entrepellacion [interceesion] , laquai 
el me«eyme Antechf ist départie 4c dÀ» e en 14 m.ene^tier e en las a^tboritas 
e en las obros de las «oas mans , e a li sanct e al purgaiori ; e aqiiesta 
enequita de antiechrist es dreitament contra de la (e, e contra lo premier 
comandament de la ley. (Livre vaudois de i'AfUeçhritt, cité par Perrin, p. 
287, Léger, p. 81, et Monastier, p. 355.) 



— 44 — 

Vaumâne (1) comme moyen de combattre le péché, 
par le renoncement à ces richesses qui peuvent lui 
servir d'instrument, et par le secours des prières du 
pauvre ainsi sollicitées (2). C'est dans le même but 
qu'ils recommandent le jeûne, par lequel on s'humi- 
lie (3) 3 mais le jeûne sans la charité est comme une 
lampe sans huile : elle fume et ne brille pas (4). La 
prière est pour eux inhérente à l'amour (5); et la 
patience , ajoutent-ils , le siipport , la douceur , la 

(1) De PalmoHna, ll8c. de Crenève, n. 209, p. 31, et dans le Vergitr de 
eonsolacion qui termine le volume. — Voir aussi dans le liber verMum du 
manuscrit S06, et dans les manuscrits de Dublin pour ce dernier traité, 
n. 23. 

(2) Génère, Hsc. 209, p. 40. 

(3) Id., article Remedi contra li pecca. 

(4) Lo dejuni sencza lalmosina Le jeûne sans l'aumftne ne produit 
non es alcun ben ; czo es sencza aucun bien : savoir sans l'aumène de 
lalmosina de carita et es pardonar a charité , qui consiste à pardonner à 
li seo enemis e prager per lor ; lo ses ennemis et à prier pour eux. 
dejuni sencza l'almosina es enayma Le jeûne sans l'aumône est comme 
la lucerna sencza holi, laquai fîna e une lampe sans huile, elle fume et 
non luczis. (Msc. Gen. 209, fol. 20.) ne- brille pas. 

(5) Aquel non laissa de aurar lo- Celui-là ne cesse pas de prier qui 
quai non laissa damar ; e aquel laissa ne cesse jamais d'aimer; et celui-là 
de amar local laissa de aurar. cesse d'aimer qui cesse de prier. 

(Hsc. vaudois de Genève, n. 209, fol. 16. — Cette admirable pensée est 
bien plus vraie que celle de P. L. Courier si souvent citée : qui travaille, 
priet et elle est plus évangélique ! — On peut voir dans cette citation ua 
exemple du peu de stabilité qu'avait alors l'orthographe : local et loqual; 
damar et de amar.) 



— 45 — 

résignation, la charité, sont le sceau du chrétien (i). 

Quant à ceux qui se reposeraient sur les autres du 
soin de leur salut, recherchant les prières des prêtres 
et des moines, les messes, les indulgences, les neu- 
vaines> etc., ils oublient la parole de Dieu qui a dé- 
claré que chacun porterait son propre fardeau (2). 

Os recommandent, il est vrai, de s'adresser à des 

(1) Donca , jfoa basU a lome de Dodc il ne suffit pas à rhomine de 

jnnar e orar e far autras cosas; car jeûner, de prier et de faire d'autres 

aqnestas coras son petites ; ma sufrir choses (semblables) ; car ces choses- 

patientament czo que dio permet , là sont petites. Hais souffrir patiem- 

play pins a dio que aquellas cosas ment ce que Dieu permet , lui plait 

que lome eilegis de si , cun czo sia davantage que ces choses choisies 

que aquellas cosas aiudon. par l'homme lui-même : bien que ces 

choses y contribuent. 

(Hsc. de Genève, fin da volume, et de Dublin, vol. TI, § 11.) 

(9) La penitencia es vana lacal es Taine est la pénitence qui (laissant 

dmczo feria e socxa plus greoment. rechuter) est derechef blessée et 

Car U geyment non profeitan alcnna souillée plus gravement ; car les gé- 

oosa se li pecca son replica. Moti missements ne servent à rien si l'on 

■Mwip^n lacrimas non deffalhivol- retombe dans le péché, 

nent e non deffalhon de peccar. Cum Beaucoup ne cessent de répandre 

lome retome al pecca la cayson es des larmes et ne cessent de pécher, 

aqncsta : car el non es converti a dio Lorsque l'homme retombe dans le 

de lot lo cor. Es decebivol aquesta péché, la raison en est qu'il ne s'était 

penitencia permanent en compra- pas converti à Dieu de tout son cœur, 

ment de messas preypals , en com- Décevante est cette pénitence qui 

munion annuals e en hinficar capel- se borne à des achats de messes près* 

las... etc. bytérales, à des communions annuel- 
les, et à décorer des chapelles. 

(Fauages extraits des quatre premiers paragraphes du traité de la Peni- 
teneia, Msc. de Genève, n. 207, à la fin.) 



— 46 — 

prêtres qui ^ieiit le ptnwoir de lier et de délier (i) ; 
ipais voici cqmmmt ils rentendent : cda veut dire, 
qui sacl^nt bien conseiller pour faire sortir rhomme 
des liens 4^ péché (2). 

I^ofi qu'ils attendeQ^aupuneoiso^/toT^de leur part, 
puisqu'ils 1^ pQllaIn^p( nm icbose firompeuse (.3)^ mais 
p^rpe qii.e; 4isent-il$y d^ même que le mdade cherche 
le meilleur médecin qui puisse aider en lui la na|.pre 
à se dé))arrasser de la maladie , de même le pécheur 
doit chercher le meilleijp conseiller poujr se §prtiy du 

péché (4) ', et ce sentiment de culpabilité^ dont rén,er|gie 

« 

(1) Aquel que se vol yeramept ]^- Celui qui veut véritableinent se re- 
tir quera lo prever local sapia ligar pentir cherche le prêtre qui sache lier 
e desligar. et délier. 

[De la Penitencifi, jtrt. lY, § 3.) 

(3) Ligar e desligar, czo es ben Lier et délier ûgnifie, s&Toir bien 
conoiue io pecca, e beo conselhar. eoonaitre les péchés, et pouvoir biea 

conseiller (le pécheur). 

(Genève, Msc, n. 309, article de la Penitencia.) 

(3) .... Se cre satiçfar par li »eo .... Il croit «tvoif sati«ùut à (la 

pecca per czo que li es encbarja del coulpe d^) ses pjéçhés, p^rçe qu^'i^ jen 

preire.... a chargé un prêtre... ,, 

Aquesta penitepcia decebivel Telle ejit la pémtenjD» abusive qja'eo- 

perman en assolucion prei- gendre l'fJjso^uUon cléricale (du prê- 

pals.... tre). 

(tième ^aijté, de la PénUence, a. 307, art. U et HI.) 

(4) Coma fay lo malate per recobrar Comme fait le malade pour recon- 
la ^anita corporal , cerca lo melhor vrer la taoté du corps, cherchant le 
mege.... etc. meiUeur médecin.... etc. 



— <7 — 

atteste la délicatesse dans l'âme qui réproD^e, est si 
pressant chez ces rustiques et anciens Vaudois, qu'ils 
ne cessent d'en reproduire l'expression dans leurs 
divers ouvrages. — Nous avons dévié de la route 
de la vérité. La lumière de justice ne briUe point 
en nous. — Le soleil d'entendement est voilé ; l'ini- 
quité nous enlace de ses Gens (i). — Je suis faible 
pour le bien et hardi pour le mal (2). — Au nom de 

EnaTina •piritoalment per lo bon Aini •piritodlaiieiit, ptr les eoB- 

conselb de li bon preire.... etc. leils des bout prètret *.... etc. 

Car silh refoden dener retiemU- Car s'ils refnsent d'être semblables 

liadors de U apostol, ilb faren a tos aux ap6tres, ils vous feront comme 

corne ioda. ' Judas. 

(Kème traité : mais dans le Hsc. 909, car les derniers feuillets du 
Msc n. 907 ont été lacérés, et manquent au Tolume.) 

(1) Nos baven erra de la via de verita, e io lume de justicia non luciis 
a nos, e Io soielb dentendament non nasque a nos. Nos sen iacxa en las 
TÎu denequita e sen anna en las vias greos , e haven mesconoysu la via 
del Segnor. (Msc. 907, dernier traité, § YI.) Yoici la traduetion littérale 
de ces dernières phrases : • Le soleil d'entendement n'est pas né pour 
noas; nous sommes entrés dans les voies d'iniquité, et nous avons marché 
par des chemins mauvais, ayant méconnu les sentiers du Seigneur. ■ 

(9) Temeros soy a far ben e for- Timoré je suis à faire le bien , et 

ment perecxos. fortement paresseux ; mais courageux 

E ardi a far lo mal e mot eta- à faire le mal et fort entreprenant. 

Dsnczos. {Evananezotf qui avance TÎte.) 

(Poèmes vaadois. (J<mfe«mon dei pécbéi. Msc. de DubUn, dass. C, tab. Y, 

n. 91.) 

* 11 ne fant pas croire qne ce mot de frétnt dût être exclusiTement appliqué aui 
prêtres catholiques ; c'était probablement aussi une dési^ation eénérale que les Vau- 
dois donnaient a leurs pasteurs, car à propos de la consécration de ces pasteurs , il est 
dit qu'ils sont reçus en Tojflce de pritriêe : en VoflUci delpreverage. 

Livre de George Morel. Uns. de Dublin., class. C, tab. Y., n. 18. 



— 18 — 

Dipii, fpes tvèfes, abandonnes^ le sièple pour suivre )e 
6e|gnepr(l). — Les pei|vre$ b^I^aiaes profitent p^u 
pp^r I^ §alut (3). Telles çqnt l^iirs rppréseQtat;iops. 

4u§$i ^joat^q^ils q^'il e^t impossi^)^ à Tbomme 
d'accQfpplir $es devoirs s^n^la foi. — Qui, j^ s^s ijue 
t^ ne pourras la foire pai} toi-même 5 mai$ appelle à 
^on sepoiirs le Seigfaeiip 0t U t'e^aup^r^ (3)* 

0))^rYons e\^ que les Vaudois ont hH img^y 
comme les catholiques, de la distinction rejetée par 
les protestants, entre ks péchés mortels et le$ péchés 

(i) Pregp vQs car»mept p^f Tf mor J^ you« prie cbèremea^, p^ l'a- 

del SegDor, mour du Seigneur, d'abandonner le 

Abandonna lo segle serve a 4io siècle, et de servir Dieu avec crainte . 
cum temor. 

{Lo nowl Confort. Hsc. de Genève, n. â07, et Dublin, 91, première partie.) 

(3) Gant lome ha sapiencia e non Quand rhomme a U connaissance et 

ha lo poer n*a pas le pouvoir, Dieu le réputera 

Dio li o reconta perfait cant el ha parfait, si toutefois sa volonté a été 

bon voler ; bonite ; mais qu'il n'ait que puissance 

Ha cant elha poiscencza e grant ejt compréhension (stériles) cela pro- 

entendament fitera bien peu pour son salut. 

Li profeita mot poc cant al sec 
salvament. 

[Lo novel Sennon, autre poëme v^udois, renfermé dans ces mêmes manu- 
scrits, publiés en entier par IUbn, et fragmentairement par Raynouard 
et Monastier.) 
(3) Non possibla eosa es a U vivent complir U comandament silh noa 

han la fe. (Hsc. .4e Genève, n. 508, fol. 3.) 
To say que tu non poyres far ayczo de tu meieyme ; ma apella dio, lo 

Mo aju4a<lort C el esaùczire tu, si tu «ères fidel e is^re^ curios {désireux) 

de la toa salu. (^sc. de Gei^ève, i}, 209, fol. 2pO 



— <9 - 

v^niekH)', m^îs qu'ils étaient Joi» 4'entfti»c|re atté- 
nuer par ces termei^ 1^ gravité tfaucuQ péché, puis- 
qu'ils disent, (la^§ ^u sens géi^éi^ : a Le pécbé 
annihile l'Jiorame, et }e fait dpcftoir 4p ce qu'ij dqit 
être (2). » Ce$ termes, du reste, qui remontent très- 
Jiapt dans Ip^ wpftl^^ fle rpglisp, ppRVftient étrp ap- 
puyés sur pe pa^ç^g^ (Je spiut Jean : (^ TPHtP iniquité 
est péché, mais il y a tel péché qui ne va point à la 

Les Vaudois avaient aussi des maisons de retraite par- 
ticulières (4). Au nombre des Umi^^m propositions 



(1) Voir pour eela ce même Hsc. 909, fol. 90 et 91; le Hm. n. 
cqwftcto d« /i ^ p^»iaiK(<H>i09l, 4 l'e»ïM)iiUo« du qpatrièrae. Mse. 807, 
«Ifwc dfi h 9fmf^Wiia, art VI, § 8. Ce ipot tetmo qu'où » traduit quel- 
quefois par HMimem on fetmtion, sigmOe tout simpleneot : s'tntuiL C'est 
Ufiji formula fréqD^fpmfsnt emplpïM locfqa'on pa>H 4'up sujet à nu autre ; 
m»i ^9m *y»lf tr»tM 4* r«u«i^e ipirimeUe (prières, eouseib), l'auteur 
icri^: «rfjp fffifeo (^<<0 /moftm» cptuora^* maipteuaut S''ensuitde l'aumèoe 
eprpqf^Ue. 

(S) Lo peeea nos es aleuaa cosa Le péefaé n'est pas une chose na- 

aatural, ma es corrucion del ben, e turelle (qui soit dans la nature Traie 

defet de gracia, car lo pecea ani. des choses) ; mais il est corruption 

quilla lome e lo fay defalhir del bon du bien et défaut de grâce ; car le 

^sser. péché annihile l'homme et le fait 

{Quai cosa tia ptçca, lise, de 6e- sortir de la bonn» existence. (Défal- 

ncTe, D. 2Q9, fol. 91.) loir du bo» ô^rie.) 

(?) Ire Bpltre, cbap. V, verset 17. 

(4) Alcun d'nos ministres d'ievangeli, ni alcunas de las nostras fennas 
Bpn ifi maridan. 
Exposition des usages et des croyances de l'église T^u49i9e ayant la 



— 20 — 

qui leur étaient imputées^ et qui furent afiSchées sur les 
portes de la cathédrale d'Embrun, en 1489, se trou- 
vait celle-ci : a Ils nient que k chrétien doive jamais 
prêter serment. » On ne peut dire cependant qu'ik se 
soient nulle part prononcés d'une manière aussi ab- 
solue à cet égard; mais il est certain qu'ils considé- 
raient comme un fruit de la perfection, que la vérité 

réformation , présentée par les délégués vaudois aux Réformateurs. lAwre 
de George Morel. Manuscrits de la Bible du collège de la Trinité à Dublin, 
elas. G, tab. Y, n. 18. (Le docteur Todd, conservateur de la Bibliothèque, 
a donné une monographie assez étendue de ce manuscrit, dans le n. 113 du 
MagMÎn britannique, page 397 et suivantes.) 

Voici encore un passage de ce manuscrit relativement à l'onDiNÀTioir 
DBS Barbas *, et à l'objet de cette note. 

Tuit aquilh liqual se recebon entre de n os en l'offici del ministier evan- 
gelic venent la plus part del gardament de las bestias e del coltivament 
délia terra, e de heta de 25 o alcuna vecz de SO.aucz, e al pos tôt sencia 
letras. E prove li prédit requerent entre de nos, trees o quatre raecz 
dyvern, per trecz o quatre ancz, si ilh son de manieras convenivols e agra- 

divols Après aquestas cosas, li prédit requerent son amena en alcun 

luoc, alcal alcunas nostras fennas, lasquals son nostras, serons ** en Jeshu 
Xrist vita en vergeneta ; e en aquest luoc li prédit demoron un an e al- 
cuna vecz ducs; e poi en après aquest temp consuma, son receopu cum 
lo sagrament de la eucharistia, e pum limposicion de las mans en loffiei 
del preverage e délia prédication; e en après aiczo li trameten prediear 
duy a duy. 

* LeB Barbu, on pasteurs vaudois, ne paraissent pas avoir eu nn eostume partienlier. 
— lin t^mnin AAiiiatm» rannArta <in*Ua itaiant vêtus d'une longuc fobe de laine blanche 

d'un vêtement ample et à long^ pans., 
SO^. Informations du S5 octobre i&^^. 




»» 



Mènent, suivent, continuent; de là le mot série. Ce n'est donc pas une faute de 
copiste, comme on l'a supposé en proposant de lire servon (servent); on ne pourrait pas 
dire d'ailleurs, servon en Jishu Xrist; la tradationde ce passage est : mènent en /•- 
stis Christ leur vie en virginité. 



— 21 — 

parvint à n'avoir jamais besoin, sur les lèvres de 
lliomme, de la garantie d'aucun serment. Uhomme 
parfait, disent-ils/ne devrait pas jurer (1) ; et ces pa- 
roles impliquent au contraire la licite du serment, 
par l'absence même de la perfection, car nul n'est 
parfait ici-bas. 

Leur opposition à l'Eglise romaine était toujours ba- 
sée sur la Bible ; (2) le caractère du chrétien était pour 
eux dans la vie chrétienne, et la vie chrétienne un 
don de la grâce de Dieu. 

Enfin, les Barbas se rendaient chaque année au 
sein des divers hameaux de leur paroisse (3) pour 

Ces notU»8 exprimées d'une manière si précise Tiennent encore à Tappui 
de ce qae nons avons dit précédemment. — On trouve une partie de ces 
détails dans Scultetus, AntuUei Evangelii renovali , et dans Rucliat, Hit' 
loin de la réformatûm en Suitee, tome UI. 

(1) Nenn perfect non deoria husar de jurament. Ghap. XYI du Vergier 
de conmlacionf Genève, Msc. 2<y9, et Dublin, class. G, tab. IV, n. 17. 

(S) Dans aucun écrit polémique du temps, on ne trouve un aussi grand 
nombre de citations bibliques que dans ceux des Vaudois. Plusieurs d'entre 
les passages qu'ils citent sont aujourd'hui différemment compris; mais 
nulle part l'autorité de la Bible n'a été plus respectée. 

(3) Plebeculam nostram semel singulis annis, quia per diversos vicos ha- 
bitant, adimus, ipsamqne personam in confessione clandestine audimus. 

Exposé des usages de l'Eglise vaudoise, fait par ses députés (Geoi^e 
Morel et Pierre Hasson) aux Réformateurs. (Citation de SccLn-nm , An- 
nalet Evangelii renovalif p. 299.) On peut présumer que les Exoment do 
quartier^ en vigueur aujourd'hui dans l'Eglise vaudoise, sont un reste de 
•et usage. — Toul pasteur, chaque année, est tenu de se rendre dans les 



— 2i ~ 

ettlendi*é ëhàque pferedilhe isolément , dans liné tôû- 
femon privée. Mais cette colifessiôn n^atait pour but 
qued'ôbtétiirdesconséilà sâlùtâit^sd'expéHerlce chré- 
tienrife , et liOti pas brie troriipeîiise absblbtion: 

Tel était , à gi*ands traits, l'élât de i'Ëglîse taudoise 
au moyen âge. Dans un poëme en langue rOmanë , 
intitulé la NcAtd Le^zorï , et qui date dfe Id fin tiu 
onzième siècle , ou dû éOrtlrtiBncettiént dû lioûzièthé , 
il est dît que Ifes Vabfloîs êlWëht déjà perèécûtés à 
raison de leurs mœurs et de leurs dôctririe^ : On cott- 
çoît cette guei'ré d'iih bionde corrorhpu conlte lin 
peuple, dont là iséVèrê )f)ui^eté condamnait â la fôk sefe 
dérèglements et ses superstitions, a Si quelqu'un y est- 
il dit, ne Veut ni médirtg, tii jûtei», ni nientîr, tii fconi- 
mettre des injustices et des larcins , ni se livrer à la 
dissolution, ni se venger dé seis enùiemià, on l'appelle 
VavdoiSy et on crie : A mort! sur lui (1). » 

principaux hameaux ou quartiers de sa paroisse, pour y célébrer un ser- 
"vice religieux particulier; y recetbir des commuaibatioas et donner des 
conseils plus intimes, selon les circonstances. A. M. 

(1] Toici le texte de ce liassÀge d^aprèâ lëS différentes vérSÎoiis : 

e nos poen ter 

Que si n'i a alcun bon que amiB a terne Jesha Xrist 

Que non Tolha maudire, ni jurar, ni mentir 

Ni aToufrar, ni aucir, ni penre de l'autruy, 

Mi "venjar se de li sec enemis 

Uh dion qu'es Yaudes e degne de punir. 



— 23 — 

Mais ci; n*ëtaietit Ift sàtiâ dbute que les f éstiltats in- 
dividuels et itolés de cette ihimitlé (jiie l'esprit dit 
mal eicite toujours dans le coelip déè mondaiHs et des 
péchéui^ ihlpétlitents , contre tes fruits Visibles de la 
sanctiBcation éVatigëlique. 

Les flrèttiières hiesiires d'ensemble, prises par 
Tautorilé Séculière , pour détruire les Vaudois , ne 
paraissent pas devoir remonter au delà de Tannée 
1200. A cfettë époque, feti effet, Tehiperelir d'Occi- 
dent, nôhittié Othdri IV, Vetlait d'être ëlli à Cologne , 
et courUnné à Aii-la-Chàpellë, par une partie de l'Em- 
pire. Cette cérêtïlotiie avait eu lifeU en ll98; niais en 

(Rathouabd, Choix det poésies originales des Troubadours, t. II, p. 73- 
14), Verh $67-874 dti pbèiné.) — Cette Viertidn ett ebdfbrnie à e«Ile du 
muiiiscrit de GeoèTe, n. 207. Celle du m&auscrit de Cambridge, publiée 
par HoBLAiTD, p. 99-120, portait le texte suivant, dans lequel nous avons 
mis en regard et tt itiliquët les ttriantei de la tehion pnbllée parLisn, 
p. 3ft-30 : 

e klot poea t6yr 

MotLAHs : Qae tel anla ftlcttn boa quel Tollla amar Dfo e têmer Jethu Xrist 
LiGKE : {Que sel se troba cdcun bon que vollia amar IHo e temer Jeshu Xrist) 

Que non vollia maudire °J ^^^^ ni mentir 

Ni avoutrar, ni V^^^/* ni penre de Tautruy 
Ni Teniar te de li sio enemic 

Le texte de la Nobla Lbzczon publié par H. Habit [Geschichle der 
Waldenser und v9rwandter Sekten, Stutgard, 1S48) est conforme à celui de 
Kaynouard. 



— 24 — 

1206, il fut défait par Philippe de Souabe, son com- 
pétiteur y et il se retira en Angleterre , auprès du roi 
Jean, son oncle. Il en revint deux ans après , ayant 
appris la mort de son rival. Alors, il fut reconnu par 
la diète de Francfort; et Tannée suivante, il se rendit 
à Rome, pour se fair.e sacrer empereur, par le pape 
Innocent III , qui Tavait toujours favorisé contre Phi- 
lippe. 

Dans ce voyage, il passa en Piémont ; mais le comte 
de Savoie, nommé Thomas, qui y régnait alors, avait 
pris parti contre lui, dans ses différends avec Philippe ; 
aussi ce dernier lui avait-il donné, en récompense de 
son attachement, les villes de Quiers, de Testons et 
de Modon. Othon lY, irrité contre Tancien partisan 
de son rival, voulut se venger de lui en l'affaiblissant 
dans ses propres Etats, et pour cela il donna à Tar- 
chevéque de Turin, qui était prince de TEmpire (i) , 
le droit de détruire les Yaudois par les armes. ï)e 
sorte que cette longue carrière de persécutions qu'ils 
ont dû parcourir, n'a pas été ouverte par la maison 

(1) Le titre de prince de l'Empire ayait été donné en 1160 aux étèques 
de Turin, de Maurienne et de Tarantaiie, par Frédéric 1er dans le but déjà 
d'affaiblir la maison de Savoie, qui avait abandonné son parti pour suivre 
la poUtiqne du pape, Adrien lY. Ia papauté a été funeste même à ses dé* 
fenseurs. 



— 25 — 

de Savoie, maïs par ses ennemis; et lorsque plus taid 
la maison de Savoie dut entrer elle-même dans ces 
voies de rigueur et de dépopulation, ce ne fut jamais 
de son pro|we mouvement, mais sous des influences 
étrangères , dcMit la plus acharnée était celle de la 
cour de Rome. 

La branche des comtes de Piétnont régna cem 
soixante-seize ans , et les quatre derniers portèrent le 
titre de princes d'Achaïe. Leur résidence était à Pi- 
gnerol • et nous ne voyons pas , dit le marquis de 
Beauregard dans ses Mémoires historiques ( t. II, p. 5), 
que ces princes, qui demeuraient si près des Vaudois, 
ni que le premiers marquis de Saluées les aient per- 
sécutés. On a même cru que quelques-uns des comteî? 
de Luzerne (1) , vassaux immédiats de Tempire , et 
principaux seigneurs de ces vallées, avaient partagé 
très anciennement leur croyance. 

Ainsi l'Eglise primitive s^est conservée dans les 
Aipes jusqu'à l'époque de la réformation. Les Vau- 
dcis sont la chaîne qui relie les églises réformées aux 

(1) On a écrit que les armoiries des comtes de Luzerne portaient, comme 
le sceau des Eglises Yaudoises, un flambeau (Luoema) entouré de sept étoiles ; 
c'est une erreur : l'écu de cette famille porte d'argent à trois bandes de 
gneoles. Ce blason est du reste empreint sur le titre des Jfemone Utorich* 
de RoaBNâo, à l'appui de son titre de cmli Ai Lujttitna* 



— 26 — 

premiers disciples du Sauveur. C'est en vain que le 
papisme, renégat des vérités évangéliques , a mille 
fois cherché de la briser^ elle a résisté à toutes les 
secousses : des empires ont croulé, des dynasties sont 
tombées , mais cette chaîne du témoignage biblique 
n'a pas été rompue : c'est que sa force ne venait pas 
des hommes , mais de Dieu. 



NOTE 



SUR LA DESCENDANCE APOSTOLIQUE DES VAUDOIS. 



Saint Pierre et saint Jacques , en adressant leurs 
Ëpitres à Y Eglise catholique , nous montrent qu^elIe 
était bien différente du catholicisme. Ils entenchûent 
par Eglise catholique l'ensemble de tous les chrétiens 
d'alors, et les chrétiens d'alors étaient apostoliques. 
Or les Vaudois , dans leurs plus anciens ouvrages, 
écrits en langue romane, à l'époque des sectes schis- 
matiques, aujourd'hui disparues, s'expriment toujours 
comme étant unis à l'Eglise catholique (1), et con- 

(1) Aqoesta aottra fs katholSca m C*ett id notre foi eatholiqne qui 
oonten en li articles de la fe e en le est oonteane dans les articles de la 
lagrtmeat de la saneta Gleysa. foi, et les sacrements de la sainte 

Eglise. 

(Msc. yaudois de Genève, n. SOB» fol. 8.) 

N<Hi te oonselha daqnilli q^e son Garde-toi de prendre eonseii de 
devis de la saneta Gleysa. ceux qai sont séparés de la sainte 

(Msc. a09, traité da la Pénitence,) Eglise. 

Nos creen qu'el meseyme Dio es- Noas croyons que Dieu même a élu 



— 28 — 

damnent ceux qui s'en séparent (1); mais en même 
temps, les doctrines qu'ils exposent dans ces ouvrages 
ne sont que celles de l'Eglise catholique primitive, et 
point du tout celles du catholicisme ultérieur. Les al- 
térations successives qqi }e constituèrent graduelle- 
ment, s'établissaient peu à peu partout, et ne parvin- 

legis a si gloriosaGIeysa... maquilla pour soi la sainte Eglise.... afin 
sia sancta e non socza. qu'elle soit sainte et non souillée. 

(Msc. 208, de H Articles de la fe, % 5.) 

Sobre totas cosas nos desiren lo» Par-dessus toutes choses nous dé> 

nor de Dio e lo perfeit de la sancta sirons l'honneur de Dieu et le profit 

(Gîleysa, p quf nos «ian fed^s ^»m* ds la sainte Eglise, et que oons soyons 

bf^ç de Y«shvi ^ist. Iç9 fid^eç mçpi^ref 4e ifésus-Ghrisf . 

[^99 m. fol. i\.) 

Crezen la sancta Gleysa esqe fun> Nqus croyons qu^ la çainte Eglise 

da tant fermament sobre la ferma est si fermement fondée sur le roc, 

peyni, que las portas d'enfem, non que les portes de Penfer ne pourront 

pqiss^Q ]^er «lovm |iu^|9r% j^rfivalef pr^valoiF ^n ^«up« oianièw poutre 

encqntra lev. elle. 

(Msc, GenèTe, n. 208, fol. ^5.] 

(1) Pren conselh de Ip bop preyre, prends conseil des bons prêtres, 

daquelle lical s(m coi^oint a la gley- de ceux qui soient joints à l'Eglise 

sa antica e apostolica, ressemilhant antique et apostolique, en ressem- 

4Qb?M de Mpctita e de Ib. Ma aon blasée d'œuvre de sainteté et de foi. 

te coniellur da^niUl que sob devis de Mats ne prends point conseil de ceux 

la lancta gleyia* qui se séparent de la sainte Eglise. 

(Msc. de Genèye, n. SM)?, traité de la Pénitence.) 

Cum le sant doctor dion Lorsque les saints docteurs disent 

Alettsa eosa.*.. o affermant quelque chose... ou ^affirment sur 

Sobre oppinien taat opinion humaine comme un objet de 

Coma fe... hereticant. foi, ils tombent dans l'hérésie. 

(Msc. de Genève, n. 208, fol. 15.) 



— 29 — 

rent que fort tard au seuil de leun vallons écartés. 

Lorsqu'elles y furent connues, les Vaudois s'élevè- 
rent avec courage contre cette variété des choses inven- 
tées{i), appelant cela une horrible hérésie (2) j et les 
signalant hautement j comme étant cause de ce que 
l'Eglise romaine s'était départie Aé la foi primitive (3). 

Ils ne donnent plus alors au papisme le nom iE^ 
glise catholique y mais ils l'appellent Eglise romaine; 
alors aussi ils s'en séparent ouvertement (4) , car ce 
n'était plus là l'Eglise primitive , telle que la leur 



(1) Circa U Tarieta de lai cosas émettent. (Mse. vauëoit de Dublia , 
bibl. du collège de la Trinité, clas. G, tab. Y, n. 33, fol. 180, et Msc. de 
Genëye, n. 908, fol. 14.) 

(3) La horrenda heretieatiOD. (Ibid ) 

(3) Ayczo es la cann del departimeat de la Gleyia roaiaoa. (Msc. Tau- 
dois de Dublin, claas. G, tab. Y, n. 35.) C'êtt id Ut eauie iêi déviations de 
PEglûe romaine. Sur des copies récentes, et dans les ouvrages imprimés 
depuis la réfonnation, on tronre ce titre ainsi indiqué : Ayczo et la causa 
va. Kosmo deepartimeiU de la Gleysa romana , c'est-à-dire : Ce$t ici la 
cauêe de notre séparation éPavse l'Eglise romaine ^ et l'ouvrage, en effet, 
a pour but de rompre toute flolidarité avec elle ; de sorte qu'on peut sans 
violenter le texte, adopter l'une ou l'autre de ces variantes. 

(4) Yoici les premières lignes de cet ouvrage, d'après le manuscrit de 
Dublin, class. G,'^ab. Y, n. 35. (Je dois cette communication à l'obligeance 
du docte M. Gilly , auteur de tant d'ouvrages remarquables sur les Yau- 
dois, et qui vient de publier, d'après les manuscrits originaux, leur ancienne 
traduction en langue romane de l'Evangile ulon saint Jean.) 

Al nom del nostre Segnor Teshu Au nom de notre Seigneur Jésus- 
Xrist ! Amen. Chrisl ! Amen. 

La causa del nostre departiment La cause de notre scission de l'u- 
de lunita de la costuma de ia Ro- nité rituelle (qui tient aux coutumes) 
mana Gleysa , e de total cosas sem- de l'Eglise romaine, et de toutes les 



— 30 — 

avaient léguée lems pères , mais une Eglise ooirom- 
pue, se repaissant de vaines superstitions. 

C'est là, disons-nous, une des preuves intrinsèques 
les plus fortes de la descendance apostolique des Vaur 
dois ; car TEglise de Rome était aussi, dans son ori- 
gine , l'Eglise apostolique , puisqu'elle a été dirigea 
par saint Paul; et si les Yaudois av^ienl; été séparés 
d'elle dès le coramencement, ils n'auraient pas été 
apostoliques eux-mêmes ; s'ils s'en étaient séparés plus 
tard sans avoir eu d'existence propre auparavant, leur 
existence ne daterait que de cette séparation. Mais au 
contraire , ils ont existé dès le commencement de la 
vie commune; cette vie s'est maiptienue dans leurs 
montagnes; ils pouvaient croire qu'elle se maintenait 
aussi ailleurs , et lorsque ses altérations devinrent si 
frappantes que le primitif caractère apostolique de 

blant ea part o ea tôt ea au^uellas choses qui ^u total ou eu partjje y 

eoias, lasquals contradiçou a la ve- ressembleot, et sont contrairpe à la 

rita : es de doas manieras. I^una vérité, se préseate sous deux points 

causa es la -verita saludivos ; laiytra de Tue. 

la falseta contraria a la salu. L'un est relatif à la vérité qui 

La verita pertenent a la salu es sauve, l'autre aux erreurs qui perdent, 

de doas manieras : luna essential, o La vérité salutaire se présente de 

substaocial, l'autra ministerial; josta deux manières : dans son essence 

loqual cosa e la falseta, es departia substantielle, et dans les rites ; et là 

parelhament en falseta snbstancial, où s'attache la fausseté , il y a pa- 

c en falseta ministerial. reillement fausseté de principe et 

fausseté de ministère. 

Ils prononcent plus loin en propres termes le mot de réformalion contre 
tous les abus qui se sont introduits dans l'Eglise, si cette Eglise veut con- 
tinuer de s'appeler chrétienne. Plus tard enfin , ils la signalèrent ourer- 
tement comme étant V Antéchrist. (V07. Perrin, p. 353*996.) 



— 31 — 

rSgiise de ISome en fut complètement eflBus^ ^ ils lui 
FefusèreBt le nom de catholique , montrant en quoi 
elle s'était départie de la vraie catholicité. 

Dira-tr-on que du temps des apôtres il n'y avait pas 
encore de chrétiens dans les Alpes ? Mais l'Eglise apos- 
tolique n'a pas péri avec les apôtres; et dès l'an- 
née 290, les vallées vaudoîses ont déjà leurs martyrs, 
puisque le nom de Saint-Segont, l'un des villages qui 
s'y trouvent, (entre la vallée de Luzerne et celle de 
Siônt-Martin) vient d'un martyr qui y périt dans ce 
temps-là (6n.LT, Valdenses, ValdoandVigilaHtius,pA6). 

Le rit ambroisien que les Vaudois sont accusés d'a- 
voff cons^vé, lorsqu'^lleurs il était aboli (voy. Four* 
nier, ffist. des Alpes, etc. , Mse. de Gap., page 363), 
ne s'est institué qu'au quatrième siècle; et l'épitre de 
saint Paul aux Laodieéens, qui n*a eu cours que jus- 
qu'à cette m^um époque , a plus tapd été maintenue 
par l^s Yaudoi^ au a ombre defs livres canoniques (U 
preuve en est dans le manuscrit très ancien de la 
Bibliotb, publ. jie LyQ^, n° 6, intitulé : Bibk vau- 
doise j(l) ). Or , si ce canon, quoique erroné, n'a eu 
cours dans l'Eglise que jusqu'au quatrième sièclje , et 
s'il s'est trj^nsmis cbe^s les Vaudois jusqu'au treizième, 
l'origine de cette transmission , et, par conséquent, 
leur existence comme Eglise doit au moins remon- 



(1) Sur Télin, écrit à 3 col. (caractère antérieur au gotiiique) eu fangue 
rooMiic ; locutions encore fort rappro^ées du latia ; ne contient que les 
lÏTres du Nouyean Testament. 



— 32 — 

ter au quatrième siècle. Elle doit même remonter 
plus haut; car^ à cette époque, ils eussent retranché 
cette épître au lieu de la garder. Enfin les Vaudois 
semblent faire remonter à la même date Texistence 
suivie des traditions de l'Eglise primitive dont ils 
étaient dépositaires, en disant dans la NoblaLetczon : 

Tous les papes qui ont étédepuis Sylvestre (1), (or 

Sylvestre fut élu en 3 J 4) . 

Les Vaudois ne sont donc pas des schismatiques, 
mais des héritiers permanents de l'Eglise fondée par 
les apôtres. Cette Eglise portait alors le nom de ca- 
tholique, et alors elle était persécutée par les païens. 
Plus tard, devenue puissante et persécutrice à son tour, 
elle se dénatura dans le catholicisme , tandis qu'elle 
se conserva dans les vallées vaudoises, simple, libre et 
pure, comme au temps de la persécution. 

Aussi le nom de Vaudois, dans son acception ori- 
ginaire, ne doit pas désigner une secte particulière, 
mais seulement les chrétiens des vallées. 

Quand ce nom fut devenu un terme de réprobation 
parmi les papistes, l'ignorance du moyen âge le rendit 
synonyme de celui de sorcier , ou de mécréant ; (2) mais 
les Vaudois , par eux-mêmes, ne se donnaient que le 



(1) Yen 409 du poème. 

(3) Yoy. Jacques Duclerc, Mémoires, sur la Vaudoiierie d'Arrat (Manusc. 
de Tanc. bibl. de TAbbaye de Saint-Waast , à Arras,coté G.) Jeanne d'Are 
elle-même a été oondamoée comme vaudoite (Yoy. Mézeray, Michelet , 
etc.) 



-33- 

nom de chrétiens, et siirtout Us s'attachaient à le 
mériter. 

Ce qni fait donc que les Vaudois, malgré leur petit 
nombre sont demeurés les représentants de TEglise 
universelle, les précurseurs et non les disciples de la 
réformation , c'est la parole de Dieu , c'est l'Evangile 
de Christ, lis ont pu ne pas le comprendre toujours 
comme les Réformateurs , ils ont pu partager quel- 
ques-unes des formes religieuses de l'Eglise romaine ; 
ils ont pu même admettre des formules dogmatiques 
que nous n'admettons pas aujourd'hui (la distinction 
par exemple entre les péchés mortels et les péchés 
véniels) : ce n'est pas leur infaillibilité que nous vou- 
lons défendre ; mais ce qui a fait leur force , leur in- 
tégrité , leur permanence évangélique , en un mot y 
leur individualité comme Eglise , et comme Eglise 
catholique devant la Bible , en même temps que 
comme Eglise protestante devant le catholicisme : 
C'est l'autorité absolue de la parole de Dieu, c'est 
le salut par Jésus-Christ. 

Leur histoire n'est qu'un fragment de la grande his- 
toire des martyrs; leur existence ressort de siècle en 
siècle avec plus d'éclat du sein même des malheurs 
qui les ont frappés. Leur importance, toute religieuse, 
ne réclame pour eux aucune place dans les fastes po- 
litiques des nations; mais telle qu'elle est, la place 
de ce petit peuple est assez belle dans les fastes de la 
pensée humaine, pour que l'on puisse parcourir avec 
intérêt la route lente et agitée qu'il a suivi jusqu'ici. 



— 34 — 

Son existence exeptionnelle sous une législation op- 
pressive ou violente est maintenant terminée. L'his- 
toire de son passé est close depuis peu; mais si l'ère 
du peuple martyr a été fermée par les mains de la li- 
berté moderne, une nouvelle carrière s'ouvre au pro- 
grès et à Tavenir des Vaudois. Puisse le véritable es- 
prit du christianisme, les y accompagner toujours ! 



CHAPITRE n. 



PREMIÈBE PERSÉCUTION. 



YOLANDE ET CATTANÉE. 



(De 1800 à 1500). 



Soimcas. Léger, Gilles, Perria. Mémoiret d'Albert CatUuue, reafermél 
dans les preuves de VHitt. de Chàrlet VIII, par Godifkoy. Paris i684« 
in-fol., p. 977 à 300. De «tia Emmantielie PhOikertù,. Aug. Taur, ISM, 
io-fol., Ménwiree pour eervir à l'hiet, du Dauphiné.,. Paris 1711 , in-fol., 
(pur Yalbonays.) CHomnm, etc. 

Au commencement du quatorzième siècle (vei*s 
4308 à peu près), les inquisiteurs s'étant rendus dans 
la vallée d'Angrogne, où se tenaient déjà des synodes 
de cinq cents délégués ( i ) furent repoussés à main 
armée par les Yaudois (2). On dit même que le prieur 
catholique du lieu perdit la vie dans cette collision (3) 

Nous avons peu de détails sur ces événements dont 
la portée ne parait pas s'être fort étendue. 

(1) Fréquentes eongregationés, per modum eapituli... in quibus âli- 
quando qningenti Taidenses.ftaerunt eongregati. Bref de Jean XXII , du 
23 jaiUet 1333. 

(2) Hanu insurrexerunt armata. Id. 

(3) Looo cit. 



— 36 — 

Ce fut une étrangère , la sœur de Louis XI, qui s^ 
signala la première dans la voie des persécutions san- 
glantes dirigées contre les Vaudois, comme pour faire 
à la fois leur gloire et leur martyre. 

Elle se nommait Yolande, et avait éftôusé Amé- 
dée ÏX, Tun des ducs de Savoie les plus doux, et les 
plus charitables qui aient hooiOTé sa dynastie. Devenue 
veuve en 1472, et nommée régente de ses Etats, elle 
fut appelée Violante, soit par une altération d'ortho- 
graphe introduite dans les actes du tèmpis, soit par 
allusion à son cAwkCtêt'e fcpuei et vindicatifs 

Le 23 janvier 1476, en effet, sans élever aucun 
grief contre les Vaudois , sans leur adresser le moin- 
dre reproche , san^ alléguer d'autre ïnotif à séè ri- 
gueurs qué leur croyance, elle ordonna aux smgftèurs 
de Pignerol et de Gavour de lés ramener, à tout prix, 
au giron de TEglise romaine : les Vaudois demandè- 
rent qu'on ramenât cette Eglise elle-même à l'Evan- 
gile. La duchesse convoqua fees jgrands vassaux poui* 
aviser aux moyens de rédliii^e au silence ces hardis 
protestants , s'il est permis d'employer ce terme lin 
siècle avant la réforme. Mais elle n'eut pas le temps 
de donner suite à ses projets , car bientôt après, elle 
fut enlevée par ordre du duc de Boiu'gogne, qui était 



— 37 — 

en guerre avec Louis XI , auquel il craignait qu'elle 
ne portât secours. 

Les Yaudois cependant avaient refusé d'abjurer 
leur évangélique hérésie; et le second fils de Yolande, 
Charles !<» ^ étant monté sur le trône, donna des or- 
dres pour qu'il fût fait une enquête sur cette résis* 
tance (1^5). Le résultat de cette enquête, qui met- 
tait à nu pour la première fois, d'une manière offi- 
cielle, la profonde dissidence qui s'était établie par le 
laps des temps entre les Vaudois, toujours fidèles au 
culte primitif, et l'Eglise romaine de plus en plus 
dégénérée, fut déféré au saint-siége en i486. 

L'année d'après , Innocent Vin fulmina contre eux 
une bulle d'extermination par laquelle il enjoignait à 
toutes les puissances temporelles de s'armer pour les 
détruire. D invitait tous les catholiques à se croiser 
contre eux, <x absolvant d'avance de toute peine ecclé- 
âastique, tant générale que particulière , ceux qui se 
croiseraient ; les déliant des vœux qu'ils auraient for- 
més; légitimant les biens qu'ils auraient mal acquis , 
et promettant enfin la rémission de tous leurs péchés 
à ceux qui mettraient à mort quelqu'un des héréti- 
ques, n annulait en outre tous les contrats souscrits 
en faveur des Vaudois, ordonnant à leurs domestiques 
de les abandonner , défendant à toute personne de 



— 38 — 

leur porter secours , et autorisant diacun à s'emparer 
de leurs biens (1). x> 

Aussitôt plusieurs nHlbecs de volontaires , d'ambi- 
tieux, de vagabonds, de fiemaliques, de fens sans aveu, 
de coureurs d'aventures , de pillards de tout genre , 
de voleurs et d'assassiiis sans pitié , «e réunirent de 
tous les points de l'Italie pour MéontM* les volontés 
du prétendu suocesseur de saint Pierre. 

Cette hovde de déprédateurs et de brigunds , digne 
armée d'un pontife sans moeurs (^) , marchait sur les 
vallées à la suite de «fo-huit mille hommes de troupes 
réglées , fournies en commun par le roi de France 
et par le souverain du Piémont. 

De quels attentats extraordioaires evait-on donc pn 
charger les malheureux Vaudois , aux yeux de ce 
pontife? Lui«-méme ne les accuse d'aucmi crime; M re- 
connaît au contraire y dans sa buHe extermina&îee , 
que leur principal moyen de séduction est une grande 
apparence de sainteté. Vouloir massacrer des chré- 
tiens, parce que leur bonne conduite four attire l'es* 
time et les sympathies de leurs alentours I cette peu* 
sée ne pouvait nidtre qu'au sein de ce pouvoir or- 

{{) On peut voir cette bulle dans Léger, t. II, cfa. I, p. S-20. 

(3) liiiM>6eBt VIII était père de irait «bCmIi ; de là eeiiitiqoe de repose ; 

Oclo norens gfinuil totidemqiêe pnellas; 

ihme «tfftfo pefeWt éicere fioma palrem» 



- 3S- 
gueaieuxeliaipUoyabte, qu'eux-mêmes osaient déjà 
appeler FAntediri^t. Mais comment une aussi faible 
peuplade résirtera-UUe à des forces aussi fonnidables 
que eOk» qui vo«t rwwUir? Dès le début de leur his- 
toire, les Vaudote «eroblent devoir être écrasés, anéan- 
tis pour jaimiBl Oui : ri la main de Dieu ne s'était 
pas chargée de leiv défense. C'est lui qui souffla un 
e^t de vertige daos les rangs de leurs ennemis , et 
UB eêprH de cowPRge au cour de ses enfants. 

Le lég^M V^^ ' ehwgé dit veiller à l'e^écutiou 
4e eeft ordres senguinaifes , était un arcbidia(^ de 
Giémone, nommé Albert Cattanée, et vulgairement , 
deCapïtefteis. H s'établit èKgoeroà, dans le couvenl 
de gain^Laureat, et envoya des moines fffédieur» 
poar essayer de convertir les Yaodois avant de Im at- 
taquer par les annes. Ces misaionaaires n'eurent au- 
cun succès. Alors il s'avança lui-même dans les val- 
lées. Les habitants lui déléguèrent deux députés (1) 
qui lui parlèrent «unâ '• « Ne nous condamnez pas 
sans nous entendre , car nous sommes des chrétiens 
et des sujets fidèles; et nos Barbaa sont prêts à prou* 

(1) Ces députés se nommaient Jean Campe et Jean Desidère. Les déiaiis 
tniyants so»t tirés des mémoires d'Albert Cattanée, conservés dans les 
l^nuTei de i'hiaMre de Gharies YlII. 



— 40 — 

ver^ soit en public soit en particulier j que nos doc- 
trines sont conformes à la parole de Dieu, ce qui les 
rend plutôt dignes d'éloges que de blâme. H est vrai 
que nous n'avons pas voulu suivre les transgresseurs 
de la loi évangélique , qui ont brisé depuis si long- 
temps avec la tradition des apôtres; nous n'avons pas 
voulu nous conformer à leurs préceptes corrompus, 
ni reconnaître d'autre autorité cpie celle de la Bible ; 
mais nous trouvons notre bonheur dans une vie sim- 
ple et pure, par laquelle seule s'enracine^ et grandit la 
foi chrétienne. Nous méprisons l'amour des richesses 
et la soif de dominer, dont nous voyons nos persécu- 
teurs dévorés. Notre espérance en Dieu est du reste 
plus grande que notre désir de plaire aux hommes. 
Prenez garde de ne pas attirer sur vous-mêmes sa co- 
lère en nous persécutant , et sachez que si Dieu le 
veut toutes les forces que vous avez réunies contre 
nous ne pourront rien. » 

Cette sainte assurance ne fut pas trompée ; Dieu le 
voulut , et cette armée d'envahisseurs s'évanouit au- 
tour des montagnes vaudoises, comme des eaux de 
pluie dans le sable des déserts. 

Les habitants s'étaient concentrés sur les points les 
plus inaccessibles; l'ennemi, au contrant, s'étendait 



— 41 — 

dans la plaine, et soit par incapacité stratégique, soit 
par Forgueilleux désir d'étaler un grand déploiement de 
forces militaires, Cattanée voulut les attaquer sur tous 
les points à la fois; de sorte que, depuis le village des 
Biolets, situé dans le marquisat de Saluées, jusques 
à celui de Sezanne , qui faisait partie du Dauphiné , 
ses lignes, sans profondeur, tenaient tout le pays. Il 
voulut étoufier d'un seul coup l'hydre de l'hérésie. 
D'an seul coup aussi sa force fut brisée, car ses lignes 
aibiblies furent partout rompues, ses bataillons re- 
poussés dans une fuite précipitée, et assaillis sur leurs 
derrières par ceux qu'ils venaient assaillir. 

On ne combattait qu'avec des piques, des épées et 
des flèches. I^s Yaudois s'étaient fait à la hâte de 
grands boucliers , et même des cuirasses , avec des 
peaux de bétes, recouvertes d'épaisses écorces de 
châtaigniers , dans lesquelles les traits ennemis s'ar- 
rêtaient sans leur faire de mal. CSes traits, ralentis par 
la distance et tirés de bas en haut, pénétraient dans 
ces écorces d'arbre sans avoir la force de les traver- 
ser; les Yaudois, au contrau*e, pleins d'adresse et de 
vigueur, surtout pleins de confiance en Dieu, et mieux 
postés pour se défendre, tiraient de haut en bas avec 
un avantage victorieux. Il y eut cependant un poste 
où, malgré l'énergie de leur défense, l'ennemi parut 



— 42 — 

près de forcer lé passage. C'était le point central dé 
cette grande ligne d'opérations, sur les hauteurs de 
Saint- Jean, aboutissante^ aux montagnes d'Angro- 
gne, à un endroit nommé Rochemanant. 

Les croisés avaient envahi les ccwtiéres par le bas, 
et montaient de gradins en gradins, en resserrant leurs 
rangs autour de ce boulevard naturel, derrière lequel 
les Vâudois avaient abrité leurs familles. Voyant plier 
leurs défenseurs, ces familles éplorées se jettent à ge- 
noux, et les femmes, les enfants, les vieillards, s'é- 
crient tous ensemble avec ferveur : Dio aijutacil 
Seîgneui*, aide-les! mon Dieu ! sauvez-nous. Tel 
était le seul cri, le cri de leur prière, qui de ces costirs 
brisés s'échappa vers le ciel. Mais les ennemis s'en 
raillaient, et voyant cette troupe à genoHX, ils préci- 
pitèrent leur marche. « Les miens, les miens vont vous 
faire réponse ! » s'écrie un de leurs chefs, surnommé le 
Noir de Mondovi^ à cause de son teint basané; et aus- 
sitôt, joignant la jactance à Tinsulte, il lève la visière 
de son casque pour montrer qu'il ne craignait pas de 
braver ces pauvres gens qu'il insultait; au même 
instant une flèche acérée , décochée par un jeune 
homme d'Angrogne, notomé Pierre Revel, vint frap- 
per ce nouveau Goliath, avec tant de violence, qu'elle 



— 43 — 

pénétra dans le crftne^ entsre les deuxyeax, et le ren- 
versa mort. Sa troupe^ frappée d'épouvante, recule en 
désordre; une terreur panique s'en empare ; les Yau* 
dois saisissent ce moment, font une sortie impétueuse, 
les renversent devant eux , s'élancent à leur pour- 
suite et les balayent jusque dans la plaine , où ils les 
kosseat vaincus et dispersés. 

Pois ils remontent auprès de leurs familles si mi- 
rtculensement dâivrées, se Jettent à genoux à leur 
tour, et rendent grâces tous ensemble au Dieu des 
aimées, de la victoire qu'Us viennent de remporter. 

« Dieu de mon salut, Dieu de ma délivrance ! » 
eas8ent*ils pu chanter alors si ce beau cantique eût 
élé connu. Mais ils en avaient dans le cœur toutes les 
in^irations. C'est la confiance en Dieu qui fait la 
force des hommes ; l'humble Israël des Alpes était 
alors invincible, comme le peuple de Moïse sous l'é- 
péede Josué. 

Une nouvelle expédition fàt tentée le lendemain 
pour s'emparer du poste redoutable, où la force vic- 
torieuse d'en haut Semblait siéger avec ces héroïques 
montagnards. Les ennemis prirent une route diffé- 
rente 3 ils suivirent le bas de la vallée d'Angrogne 
pour pénétrer jusques au Pra-du-Tour , d*où remon- 



— 44 — 

tant par la Vachère, ils auraient été maîtres de tout 
le pays. Mais un brouillard chargé d'obscurité et de 
périls, tel qu'il en surgit quelquefois inopinément duis 
les Alpes, vint s'abattre sur eux, précisément lors- 
qu'ils s'étaient déjà engagés dans les sentiers les plus 
dangereux et les plus difGciles. Ignorant la disposi- 
tion des lieux, marchant avec défiance, incertains de 
la route qu'ils devaient tenir, et ne pouvant s'avancer 
qu'isolément sur ces rochers bordés de précipices, ils 
plièrent à la première attaque des Yaudois ; et com- 
me ils ne pouvaient se ranger en bataille, ils furent 
aisément défaits. 

Les premiers qui sont repoussés reculent avec pré- 
cipitation , ils renversent ceux qui les suivent; le trou- 
ble se propage, le désordre se met partout; la retraite 
devint une fuite , la fuite une catastrophe , car ceux 
qui rétrogradaient, glissent sur ces rochers humides, 
dont les brouillards leur dérobaient le bord. Les au- 
tres , croyant trouver dans ces sinuosités une issue 
libératrice, se précipitent à leur tour dans les abîmes 
où les premiers se sont déjà engloutis. 

Bien peu parvinrent à se sauver; la plupart s'é- 
garèrent dans les profondeurs des ravins ou sur les 
crêtes des rochers. 



'^ Celte décisive déroute , due à la Toionté de Dieu 
tien fb» qu'aux armes dee VandoiSy acheva la déli* 
vrance de cette vallée^ daus laquelle le» ttoupes de 
Cattanée ne reparurent plu»» Le déHachement qui ve- 
nait d'teB détraîl d'une manière si complèle et si 
inaltendue, &t le dernier que les rives de TÀngrogne 
virent passer avant TépOque de la réformalion. Le ca- 
piisine qià le ooounandait se nommait Saguet de 
Plsa^èste, et le gouffire dans 'lequel il tond» se 
Qomoie encore aujourd'bui, à quatie siècles de dis* 
tance, le iQuimfide Saguet (gouffi^ de Saguet). 

Sur la montagne de Rod^ne, dans la vaUée de Pra- 
gela, les YaudcHs, dit Cattanée, &vorisés par la nature 
des lieux, mirent en fuite les cimsés en faisant roul^ 
sur eux des avalanches de rochers ; après qxjsA ils 
descendirent, les atlaquèieut corps à corps et pro- 
iongteeflflt le contât jusqu'au soir« Quelques-uns ce- 
pendant furent faits prisonniers et conduits à Men- 
tottles pour y subir toute» les cérémonies d'une vaine 
abjuration. 

Le légat exterminateur se rendit ensuite en Dau- 
phiiiéy dans la ^sdUée de VaHoiése, dont noas allons 
parler^aisa^wnt de terminsv oe dnpitm, il convient 

decMrequ'uBliaÉiaillaii anami fort deseptcents hom- 

2* 



— 46 — 

mes étant venu de cette vallée dans celle de Saint- 
Martin, par le col d'Abriès, fut aperçu, en dessus de 
Pral, se dirigeant vers le village des Pommiers. Les 
Vaudois allèrent l'y attendre. 

Ces soldats, enorgueillis du massacre qu'ils venaient 
de faire en Dauphiné, entrèrent en désordre dans le 
hameau, ne songeant qu'au pillage et se croyant vain- 
queurs. Mais attaqués soudain de toutes parts, ils ne 
purent se défendre et furent tous massacrés ou mis en 
fuite.Ceuxqui échappèrent aux premiers coups ne tar- 
dèrent pas à périr dans ces montagnes inconnues, 
toutes peuplées de courageux défenseurs. Le porte- 
enseigne lui seul se cacha dans un ravin où il resta 
deux jours ; après quoi le froid et la faim l'en firent 
sortir, et il vint demander asile aux Vaudois qui lui 
accordèrent tout ce dont il avait besoin, avec ce géné- 
reux oubli des offenses reçues, que le Christ inspire à 
ses fidèles serviteurs. 

Ayant repris des forces, il rejoignit les siens, et put 
leur faire connaître la défaite totale de ses compa- 
gnons. 

Ainsi fut dissipée cette armée qui était réellement, 
formidable pour un si petit peuple. Mais c'est à lui 
qu'il ^tait dit : Ne crains rien, petit trçupeau, car il a 



— 47 — 

plu à votre Père de vous donner le royaume (Luc 
Xn^ 32); et, comme ils le disaient eux-mêmes, si 
Dieu est pour nous, qui sera contre nous? 

A la suite de ces expéditions sans profit et sans 
gloire, le duc de Savoie retira ses troupes, congédia 
le légat, sous prétexte que sa mission était terminée, 
et envoya un évéque auprès des Yaudois, pour les 
engager à faire les premières démarches dans le but 
d'obtenir une paix qui leur était assurée. 

L'entrevue de cet envoyé avec les chrétiens évan- 
géliques des Alpes, eut lieu au hameau de Prasuyt, 
sitoé sur la limite des communes d'Angrogne et de 
Saint-Jean. Il fut décidé que les Yaudois enverraient 
un représentant de chacune de leurs Eglises auprès 
de leur prince, qui se rendrait pour cela à Pignerol. 
C'est pendant les conférences qui s'y tinrent que ce 
prince demanda à voir quelques-uns de leurs enfants, 
pour s'assurer par lui^-méme s'il était vrai qu'ils na- 
quissent avec la gorge noire, des dents velues et des 
pieds de bouc, ainsi que les catholiques le préten- 
daient. 

Ëst-il possible ! s'écria-t-il, lorsqu'il en eut plu- 
sieurs sous les yeux, que ce soient là des enfants 
d'hérétiques ? Quelles charmantes créatures ! ce sont 



— 48 — 

bièti les plus beaux enfants <pïd j'aie jamais vus. 

Ainsi tombait une prévention ridiculey mais qui de- 
vait être puissante dans une époque asses peu éckûrée 
pour lui donner acoès^ an point qu'un prince même 
usât la partager* 

La superstition qiii (Ascurcit le sens moral et reK- 
l^eux, jette également ses ténèbres sur toutes les 
autres parties de rinlellîgenoe humaine } comme aussi 
les lumières de l'Evangile, en" illuminant l'âme qai 
s'y est ouverte, élèvent, agrandissent, purifiât au 
contraire toutes les forces de l'esprït. Les Vaudois 
eux-mômes en sont une preuve, car ils étaient i^aoés, 
depuis Irois siècles, à la tête de la littérature moderne, 
ayant été les premiers qui aient écrit en langue vul- 
gaire. C'était alors la langue romane dont les menu- 
numents primitifs sont tous dus aux Vaudois, et c'est 
de cette langue que se sont formés le français et Tiia- 
iièn. Lès poëâies religieux des Yaudcris demeurent 
aicore lés compositions les plus parfaites qui ai^t 
été écrites à cette époque; ce sont aussi celles où les 
rayons de l'Evangile brillent avec le plus d'éclat. 

Aussi l'ombre colossale de l'empire rotnain à son 
couchant, et celle du pontificat non moins redou- 
table, dont l'ambition succédait à la sienne, cou- 



— 49 — 

vraient encore l'Italie , lorsque déjà les sommets des 
Alpes s'éclairaient d'une aurore nouvelle^ que la ré- 
fomiation devait plus tard étendre sur le monde en- 
/ier. Ce n'est donc pas parce que les Yaudois ont été 
les précurseurs de la réformation qu'on les rattache à 
l'Eglise primitive^ mais parce qu'ils étaient des chré- 
tiens primitifs, qu'ils ont tracé la voie à la réfor- 
mation. 

Toutes les âmes sont appelées à l'avenir évangé- 
lique que nous révèle leur passé , mais aucune n'aura 
de plus rudes épreuves à traverser que celles de ces 
peuples martyrs, dont la gloire, comme celle du 
Christ, ressort de la souffrance, des outrages et de 
rabaissement. 



CHAPITRE m. 

BISTOIRB 

DES VAUDOIS DU VAL- LOUISE 

DEPUIS LKUR OSIODIB JU8QU*A LBUl EXTOrCTIOlf. 

(De 1800 à 1500.) 



Soincn n AUTomiiis. Gilles. Perrin. — Lettrée tur la^VailouiUf par le 
P. Boicigiiol. Tnria, 1804, iii^So. — ¥««oifef de Cattaitée, dam Godc- 
froj, Hist. de Ch. YIII. — Rectteil dst acten, pièeeê et proeédvreê «meer- 
neM VemtfHiHéwe perpétuelle iee àAmet dm J^rtan^omum... etc., in-il, 1754. 

— Lu Tremeoetùm» d'IffUfert, dauphin du Viennaie, prince du Briançon- 
liaii^ et marquiê de Sezane.,, etc, in-fol.. 1645. — Chorier, Hiel. gén, du 
Baupkiné, in-fol. — Thuanns, Bietor. eui temporii.,. (tib. XXYII.) ¥e> 
notre* pour servir à l'Hiet. du Dauph. (Paris, 1711.) in-fol. (Valbonays.) 

— M S G. Hiit. gén. dee Alpee,.. et partie. d'Embrun leur métropolitaine ^ 
io-fol., trad. par JuTéois. Gap., Bibl. du pet. sém. (L'orig. à Paris, une 
copie à Lyon.) — Inventaire dee archivée de la Cour dee comptée^ à GrC' 
toftfe. 34 Tol. in-fol. ( Reg. du Briançonnais et de l'Embrunois.) — Ay- 
mari RiTallii, de AUobrogihus, in-4o< Bibl. nat. Paris, no 6014. — De Epie- 
copie EWediuneneibue. Bibl. Lyon, carton 119. CoUeetanea kiet.^ fol. 900. 

— Toir aussi le H S G. 735 dans la même bibl., ainsi que GaUia Chrie- 
Itaïui, t. III, p. 1052 à 1100, et aux preuves, p. 177. — Pièeee concernant 
Vonkevêehé d^Emhrun, Bibl. Paris, toI. 517, 518, du fonde Fontanieu, et 
fonde Gaigniêree, portefeuilles A, 134, 154. — Mémoiree tur VEgU métrop. 
éPEmbrun. Bibl. Grenoble, no 439. M S C. in-4o< — Mémoiree eur le Bau- 
phiné. Bibl. Talence. M S G. nos 163 et 21S5, in-fol. 

Ces chrétiens primitifs, qui ont reçu le nom de Yau- 
dois, n'habitaient pas seulement dans les vallées du 
Piémont, mais aussi dans celles de la France. Que leur 



— 52 — 

importaient les froitières de ees deux Etats? Leur 
seul désir était de vivre tranquilles et rapprochés les 
uns des autres. 

On les retrouve dans les profondes retraites du 
Briançonnais^ depuis un temps immémorial^minsi que 
dans les Alpes d'Italie. 

Les vallées qu'ils paraissent avoir habitées le plus 
anciennement sont, du côté de la France, celles de 
Freyssinières, de Vallouise et de Barcelonnette; du côté 
du Piémont, celles du Pô, de Luteme et d'Angrogne, 
ainsi que celles de Pragela et de Saint-Martio. 

Vallouise est une gorge profonde et froide, qui des- 
cend du montPelv0iix jusque dans le bassin de la Du- 
rance. £Ue était appelée autrefois Val-Gyron (1), du 
nom du Gyr, torrent qui la traverse. Plus tard on la 
nomma Val-Pute^ en latio V^lîk PmtœA , à 4^u6e du 
grand nombre de hauteurs ou de puyts dont elle est 
remplie ( comme l'atteste le nom de ses villages : 
Puy-^aiat-Viacent , Pay-^int-EusM^e et Puy-Saiiit- 
Martin); et dans le patois du pays, on appelle encoi^ 
puya une montée. Quant au nom de Val-Louise, il lui 
fut donné, dit-on^ par Louis XO, le père du peuple, 

(1) Elle est désignée ainsi VàlUt Gyrontona dans une bulle d'Urbain II, 
TCMlue en lOM. 



— 53 — 

en souvenir des bienfaits dont avait jugé dignes ses 

habitants (1). 

Us commencèrent d'être persécutés de 1238 à 
1243 (2); puis, cent ans plus tard, en 1335, nous trou- 
vons dans les comptes courants du baillif d'Embrun 

ce singulier article :/ftffn, pour persécvUer ks VaudoiSy 

« 

huit sols et trente deniers <For (3); comme si les persé- 
cutions étaient alors devenues contre ces chrétiens des 
Alpes une partie régulière duservicepublic, une tâche 
permanente et toujours poursuivie. Hélas ! elles n'é- 
taiaoït que l'expression de la haine continuelle et 
croissante, que le papisme, fondé sur la tyrannie , a 
toujours ressentie contre l'Evangile, source de toutes 
les libertés. 

Un des frères vaudois de la vallée de Luzerne (4) 
avait acheté, depuis plus de cinq cents ans, du dau- 
phin Jean TI, une belle maison en Yallouise, dont il 
avait fait cadeau aux frères de ce pays, pour qu'ils y 
pussent tenir dignement leurs assemblées religieuses; 

(1) Ce nom le trooTe cependant déjà en usage soni Louii XI, comme on 
le Toit par ses lettres datées d'Àrras, 18 mai 1478. 

(9) Chorier, I. XII, ch. V. 

(3) RaToaldi annales, n. 69. 

(4) Il se nommait Chabert. Toy. InTcntaires des ArchiTei d« la Cour des 
comptes à Grenoble, ^ol. du Briançonnais. 



— 54 — 

maïs l'ardievèque d'Embrun la fit détruire en 4348, 
en excommuniant d'avance quiconque tenterait delà 
rebâtir; et douze malheureux Yaudois qui furent sai- 
sis à cette occasion, durent subir toutes les tortures 
de la superstition et de la cruauté. Conduits à Em* 
brun, en face de la caUiédrale, au milieu d'un grand 
concours de peuple, entourés de moines fanatiques, 
revêtus d'une robe jaune, sur laquelle étaient peintes 
en rouge des flaounes symboliques de celles de l'en^ 
fer, auxquelles on les croyait voués; on prononça 
anathème sur eux , on leur rasa la tête, on leur mit 
les pieds nus, on leur passa une corde autour du cou; 
puis, au bruit des cloches qui sonnaient des glas fà- 
nèbres, le clergé catholique entonna un chant d'exé- 
cration et de mort* Les .pauvres captifs furent alors 
menés, les uns après les autres, sur un bûcher, en- 
touré de bourreaux. saintes âmes, non captives 
mais affranchies, vous que l'esprit du Seigneur rem- 
plissait d'un courage si puissant et si doux, ces images 
de flammes dont vos tuniques étaient couvertes n'é- 
taient que le symbole de celles qui allaient vous dé- 
vorer ! Ah ! du sein de la mort, c'est dans la iHea- 
heureuse sérénité du ciel promis aux serviteurs fidèles, 
et non dans les tourments promis aux esclaves du 



mil^ que wos ttm pmées, sar les ailes de voire M 
et des prières de v<06 «Bis ! 

Leini tenaisaabftdierdes martyrs; ears'ilsaTaieal 
véeu conmie les dvétiens iirinîlî&9 ils saYsient aussi 
mourir ooume eux. Les boonreaiix les ébrangièreal à 
la Mie; leur corps rerinl à la cendre d'où il avait été 
tiré* et leur esprit remonta an Mea d'où il était venu. 

Ah! lorsqu'une Eglise est persécutée^ c'est un 
àgùe «pi'elle esl rivanie; akn ses progrès dans la 
sandifiealmi, froissent^ inqmèlciity irritent et arment 
contre elle les passions égoïstes des méduuits. Les 
loqui^teors firent même déterrer de leur tombe les ca^* 
datres deeeuK qui leur avalât été signdés comme étant 
morts sans avoir reçu les seoDors de l'Eglise parée 
que le Rédempteur leur suffisait ; et ces cadavres ex- 
humés , après avoir été maudits d*ns leikr mémoire, 
foent jetés aux Haiiimes* On dispersa leur cendre 
aux quatre vents; et comme le fanatisme s'eilt tou- 
jours uni , dans l'Ëglise romaine y aux patoions les 
plus sordidement intéressées , on confisqua tous les 
biens qu'ils avaient laissés à leurs héritieiB; de sorte 
que les aliénaticms mêmes qui avaient eu lieu depuis 
leur décès, au préjudice du fisc archiépis(x)|fal, fu- 
rent dédsrées nidles. On conçoit quels troubles ^ 



— 56 — 

quels désordres, quelles désolations de pareilles ani'- 
mosités devaient jeter dans les familles ; mais leurs 
biens les plus chers n'étaient pas ceux qu'on leur en- 
levait ainsi ^ et si l'amour des richesses amène au 
crime, celui des trésors du ciel amène à la sainteté. 
Tout ce qu'on put faire néanmoins pour ébranler 
les âmes simples et courageuses fut tenté dans 
cette occasion. A ces cérémonies sacrilèges des 
tombes violées, des cercueils brisés et de leurs dé- 
pouilles brûlées publiquement, tout le peuple avait 
été convoqué au nom de la redoutable Eglise qui 
poursuivait ainsi ses victimes jusque dans la mort; et 
pour frapper plus fortement les esprits par cet appa- 
reil de terreur, toutes les personnes présentes furent 
adjurées avec imprécations d'avoir en horreur les doc- 
trines pour lesquelles ces cadavres étaient privés du 
repos de la tombe; mais elles demeurèrent fidèles à 
leur foi en face des ossements dispersés de leurs pères. 

k 

Cette fidélité devait bientôt être mise à de plus rudes 
épreuves. 

Un jeune Inquisiteur nommé François Borelli, obtint 
du pape Grégoire XI des lettres pressantes adressées 
au roi de France, au comte de Savoie et au gouverneur 
du Dauphiné, pour que toutes ces puissances réu- 



— 57 — 

Hissent kois finroes dans le but d'extirper des Alpes 
cette héréiie moéiérée. Mais elle fol plus forte encore 
qae les rois, car c'était laparole de IKea, l'Evangile des 
premiers temps, rétemité parlée. L'inquisiteur de la 
foi se chargea de conduire les armes traAporelles qui 
lai étaient confiées, et les persécutions dirigées par 
Borelli ne laissèrent pas un recoin de village sans l'at- 
teindre de leur réseau. Comme la robe fabuleuse du 
Centaure, qui dévorait le corps sur lequel elle était 
jetée, il saisit des familles entières, des populations en 
masse, des révoltés partout, et les prisons ne furent 
bientôt plus assez spacieuses dans ces vastes pro- 
vinces pour sufiBbe à la multitude des prisonniers. 

On construisit pour eux de nouveaux cachots, mais 
avec une telle hâte qu'ils étaient dépourvus de tonte 
autre chose que de ce qu'il fallait pour faire soufBrir 
les captifs. 

La vallée de la Durance, avec ses ramifications du 
Queyras, de Freyssinières et de Yallouise, fut surtout 
épouvantablement décimée. On eût dit que la peste 
y avait passé : ce n'étaient que les inquisiteurs 1 

Borelli commença par faire citer devant lui tous les 
habitants de ces vallées. Ils ne comparurent pas, et il 
les condamna pour n'avoir pas comparu. Dès lors, 



— $• — 

ta^<^i» 6Kpofié» h tee suvfiifr par sds Maicw^ îki 
«(Miffiraieul; doublement de kurs propres pénis et des 
angoi»e» <ie Iduis fomsiks. 

L'uA étailiiiMi eu voyage, TauÉce aaiehamp, Faiilve 
dapi» $a deawttce. Nul ne savail;, en embraMant sm 
père au eulte du inatin^ s'il le sevemât à la prié» du 
soir ; et le père <|ai envoyait aeai enfieuata à la moiasMa 
ne pouvait $'a«wver qu'ila manganûent dm pain qu'ils 
allaient récolter. 

Qu'on se figm« lesdoidourenses anuétésquifemplar 
çai^tit alors, sous le ÉDÎtdomestiqiie, la paix desandens 
temps ! Pendant quinze ans «atiecs ^fle o^mte^ et 
dépopidaAion, d'angoisfiefiideaaug^sepdursuîiritdaiifi 
ces montagnes au nom de la foi cattiolique. Le souffle 
de mort qui biaait tooidier tant de têtes, qui déehtrak 
laoi defamîlies, quîdésobît tant decceurs, c*étatl 
celui du Vatican. Sommité redoutable , qui n'a ganté 
de roiympe que ses &ux dieux, du Sinal que ses fou- 
dres et dn Calvaite que le sang. 

Enfin le 2â mai 1393, toutes les EgUses d'iSnibnin 
se pavoisèresit comme pour «ne grande solennifté ; 
TBg^e romaine était en fête : c'est que le sang allait 
oouler. Les images païennes qui chargent ses autels 
de leuf inaensifaîiîté dorée , rappellent ces idoles au 



— «• — 

pied desquelles oo immolait des Tictifiiee hmaaines. 
Tout le dergé , couvert de ses ornements de théèlf e, 
se groupe dans le cbœar. Une double haie de soldais 
' contie]^ le peuple daiis la nef et environne une troupe 
de prisonniers* Quels santnls ?•— Des soldats de Cbrist 
qui vont combattre pour la foi. -^Leur crime? — Celte 
foi eUe-môme. — ConitHen sout^ik? — Ecoutes! on va 
lire leurs noms el proncmeer la sentence. •— QoeBe 
est-elle ? -^ La même pour tous : condamnés à être 
brûlés vi&. — La liste est lue ; quatre-vingts personnes 
des vallées de Freyssinièies et d'Âfgentière sont déjà 
dévouées au bûcher* Mais nal habitant de Vallouise 
n'a encore été désigné ^ celte paisibie retraite ouvarle 
dans les rochers oomme un nid de oolooibes^ serait* 
elle épargnée? Non^ te pai^me n'oublie pas; son sou- 
venir fut le supplice ; avec hii , il isnt être bràlé 
vif sur la terre, si on lui résiste, ou aller en esdkr si 
on veut le servir. 

Les Yaudois ont {M^éféré lui nésîster; et une nou^ 
velle série de cent cinquante noms, qui tous appar- 
tiennent à Vallouise, se fait entendfe sous les voûtes' 
de cette église qui n'est plus la maison de Dieu , mais 
plutôt un antre d'infamie, une caverne de bourreaux ; 
et après chaque nom retentit, ccMomeun glas funèbre, 



— 60 — 

cette formule fatale qui les couronne tous : condamné 
à être brûlé vif! C'était la moitié de la population de 
cette malheureuse vallée; et dans ces listes si exécra- 
bles pour nous^ mais si naturelles pour TEglise ro- 
maine, on voit figurer quelquefois, les uns après les 
autres, tous les membres de la même famille. Hor- 
reur ! deux cent trente victimes , furent au nom du 
Dieu de TEvangile, dévouées à la fois au bûcher; et 
pourquoi? Pour avoir été fidèles à l'Evangile. 

Mais le secret de ces nombreuses condamnations est 
plus honteux encore que leur cruauté elle-même : on 
confisquait au profit de Tévêque et des inquisiteurs les 
biens des condamnés. Les dépouilles de ces pauvres 
gens allaient servir à la ripaille du clergé. 

Ahl sans doute, l'unité de foi dut faire alors de 
grands progrès dans ce triste pays; la solitude dans 
les déserts , voilà ce que virent pendant longtemps 
ces montagnes dépeuplées, que les inquisiteurs di- 
saient avoir réduites à la paix de l'Eglise, c'est-à-dire 
au silence de la tombe. — Mais tout se lasse ici-bas, 
même le fanatisme; conmie les loups abandonnent un 
charnier épuisé , l'inquisition se retira de ces vallées 
appauvries. 
La France était alors sous le poids de ses guerres 



— 64 — 

avec lûs Anglais; le Dauphiiié était ima des depnièves 
provioess qui restaient au &ible Charles Vil. Il fattiit 
91'UBe jeûna ftUe, Jeanne d'Arc , vint lui rouvrir les 
portes de Reims, et le chemin de la victoire* 

Penduit ce temps , les Eglises vaudoises se rekvè- 
lentpeu à peu; OMmne les fleurs de leurs rochers 
fortifiées par les orages, leur énwgie grandit au milieu 
des dangers; et de même que les vents portent au 
loin les parfums de la fleur, le souffle de la persécu- 
tion propageait leur foi évangélique : aussi l'influence 
deces Eglises s'accrut-elle en raison de leurs malheurs. 

L'animosité orgueilleuse et brutale du paganisme 
papiste s'accrut pareillement. C'est ainsi que l'on ar- 
riva à la fin du quinzième siècle , à cette époque où 
Innocent VllI ouvrit contre les Yaudois une croisade 
d'exte^inination, comme nous l'avons vu dans le cha- 
pitre précédent. 

C'était au mois de juin 1488; le légat du pape, Al- 
bert Gattanée, ayant hmtilement essayé de subjuguer 
les vallées du Piémont, venait de passer en France 
par le mont Genèvre, où il fit étrangler dix-huit de ces 
pauvres gens qu'il avait faits prisonniers. Il descendit 
à Briançon, ville qu'on lui avait signalée comme étant 

alors fort infestée d'hérésie ; de là il marcha versFreys- 

2** 



— 62 — 

sinières, dont les habitants peu nombreux et mal ar- 
més se retirèrent sur le rocher qui domine Féglise ; 
mais des troupes Tenvirônnèrent et ils furent faits pri- 
sonniers. 

Ce succès donnant du courage , ou plutôt de la fé- 
rocité à ses soldats fanatiques, ils envahirent à grands 
cris la gorge profonde de Yallouise. Les Vaudois ef- 
frayés, sentant qu'ils ne pourraient résister à des forces 
vingt fois supérieures, abandonnent leurs n>isérables 
habitations, déposent à la hâte, sur des montures rus- 
tiques, les vieillards et les enfants, chassent leurs trou- 
peaux devant eux, se chargent de provisions et d'us- 
tensiles domestiques, disent un dernier adieu à leur 
foyer natal, et se retirent en priant Dieu et en chan- 
tant des cantiques , sur les flancs escarpés du mont 
Pelvoux. Ce géant des Alpes , que l'on a nommé le 
Visoldu Briançonnais, s'élève à plus de six mille pieds 
au-dessus de leur vallée. Vers le tiers de cette hauteur 
s'ouvre dans la montagne une immense caverne, 
nommée Aigue-Fraide, ou Ailfrède, à cause des sour- 
ces d'eau vive, alimentées par les neiges, qui en dé- 
coulent perpétuellement. Une espèce de plate-forme, 
à laquelle on ne peut monter que par des précipices 
affreux ^ s'étend à l'ouverture de la caverne , dont la 



— 63 — 

voûte majestueuse se rétrécit bientôt en un couloir 

étroit , pour s'agrandir ensuite en une salle immense 

et irrégulière. Tel est l'asile que les Vaudois avaient 

€3lioisi. Ds placèrent dans le fond de la grotte les 

femmes, les enfants et les vieillards; les troupeaux 

furent relégués dans les enfoncements latéraux du 

* 
rocher, et les hommes valides se tinrent à l'entrée; 

après quoi ils murèrent l'issue qui les y avaient con- 
duits y remplirent de roches le sentier qui y aboutis- 
sait^ çt s'abandonnèrent à la garde de Dieu. Gattanée 

dit qu'ils avaient apporté avec eux assez de vivres * 
pour pouvoir subsister, eux et leurs familles, pendant 
plus de deux ans. Toutes leurs précautions étaient 
prises, leurs retranchements ne pouvaient être forcés : 
qu'avaient-ils donc à craindre? 

Us avaient à craindre l'assurance même que leur 
donnaient ces précautions humaines. Se reposant 
avec sécurité sur ces moyens de défense dus à leurs 
propres forces , ils oublièrent trop que la foi seule 
transporte les montagnes, et délivre des plus grands 
dangers. 

^ Gattanée avait avec lui un chef de troupes hardi et 
expérimenté qui se nommait La Palud. Ce capitaine 
ayant reconnu TimpossibiUté de forcer l'entrée de la 



— 64 — 

grotte, du côté par lequel le^ Vaudois y étaient arri- 
vésy à cause des retranchements qu'ils y avaient éta* 
UiSi redescendit dans la vallée, se procura toutes lea 
cordes qu'il put trouver, et rcfetionta sur le Pelvouit^ 
en promettant une victoire signalée à ses soldata* 
Ceux-ci toutnàrent les rochers, g^Vireût stur les hau«- 
teurs et, attachant les oohies au'^dessus de Touverture 
de la cavcnne, se laissèrent glisser tout arïnés^ en face 
àe» Yaudois. Si des derniers avaient mis plus de con- 
fiance en la protection de Dieu qu'en celle de leurs 
t^tranchements, la frayetii" ne les e&t pM saidis lors- 
qu'ils lès eurent vus iniitiles. Ri^ n'était pluè simple 
et plus naturel que de couper les cordes par les-* 
quelles ils voyaient descendre leurs ennemis ; ou de 
les tuer à mesure qu'ils arrivaient h pottée de leurs 
armei^ ; ou de les précipiter dans leâ d>lmeii par les- 
quels la plate-fortne était bordée, avtlnt qu'ils eussent 
eu le temps de pretidre l'offensive. Mais une ter^éur 
panique S'empara des malheureux Yaudois, et dans» 
leur égarement ils Se ptécîpitèrent eux-mêmes dans 
les rochers. La Palud fit un carnage affreux de ceux 
qui essayaient de lui résister, et n'osâUt S'engager dans 
les profondeurs de Tàntre dont il voyait sortirces hom- 
mes effarés, il entassa à l'entrée tout lé bois que l*on 



— 65 — 

put trouver; les croisés y mirent le feu, et tous ceux 
qui cherchaient à sortir furent consumés par les flammes 
ou passés au fil de l'épée. Lorsque le feu fut éteint, on 
trouva, dit Chorier, sous les voûtes de cette grotte, 
quatre cents petits enfants étoufies dans leurs ber- 
ceaux ou entre les bras de leurs mères. Il périt, dit-il 
encore , dans cette circonstance plus de trois mille 
Yaudois. C'était toute la population de Vallouise. 
CaUanée distribua les biens de ces malheureux aux 
vagabonds qui l'avaient accompagné; et jamais de- 
puis lors l'Eglise vaudoise ne s'est relevée dans ces 
yailons ensanglantés. 

Ainsi, les mêmes hommes que la prière rendait 
vainqueurs dans les moments les plus critiques, furent 
anéantis, dans la position la plus favorable, pour 
s'être trop assurés en eux-mêmes. 

Ck)mbien de chutes encore ne voit-on pas s'opérer 
chaque jour, par suite de ce manque de défiance en 
soi-même, qui est un manque de confiance en Dieu ! 

Ce grand exemple donné aux autres Eglises vau- 
doises , les plongea dans le deuil et dans la prière ; 
mais leur âme s'y retrempa, et si quelques-unes en- 
core ont péri sous les palmes du martyre , l'Eglise- 
mère a résisté en maintenant l'étendard de la croix. 



cuAPimiiiv. 

msioiHK 

DES VAUDOIS DE BARCELONNETTE « 
vo QUMtMÀs iT M nntsdnl&tt» 

(De 1300 à 1650). 



Sonuan ir Aoremnét. Lef mèmet qa'aa doy. ptéeédnt ; flui : J7i«l. 
9*0^. eec<é«. et civile dm iioeèee d*Émbrmn^ par Jf***... 1783. S toI. in-8o. 
(i'ttièar é« o»t MVf. «IIU f . Albttt» Citt i l«i qui répMdMt lift C«iif 
kltnt far um Yaudoii det Gaulée cieeJpinee. L'aut. de ce dern. oa^r. eit 
Paul Appia. Il est aussi k consulter.) ^tadouceUe, l^alièliqvi dit BauUe- 
Alfti^ bt^e ^ Klû ITiffi IfipÎMirftl, Bé^^reifhiee. — Bt «aBB» dlvtfies 
pièces des archiref de Gap, d'Embrun, de Briançon , de Pignerol et de 
Torio, ^11 Mraft trop Wilg^t défailiér. 

Puîsi]ue nous sommes en Dauphiné , nous allons 
poursuivre le récit des vicissitudes que les anciens 
Vaudois ont éprouvées tout autour des vallées vau- 
doises actuelles^ avant de reprendre la série des évé- 
nem^its qui se sont poursuivis dans ces dernières jus- 
qu'à nos jouiSk 

Ainsi les Vaudois ont été anéantis non-seulement 
en YaUouise, mais à Barcdonnette^ à Saluées, dans 



— 68 — 

la Provence et en. Calibre, où ils s'étaient andenne- 
ment établis. Ils ont aussi été exterminés dans la val- 
lée de Pragela, mais plus tard. 

La vallée de Barcelonnette est un enfoncement 
fermé de tous côtés par des , montagnes presque 
inaccessibles. Elle appartenait autrefois au Piémont, 
puis elle appartint à la France de 1538 à 1559, après 
quoi elle revint au Piémont jusqu'en 1713, où elle fut 
définitivement cédée à la France , en échange des 
deux petites vallées de Sexare et de Bardonèche, si- 
tuées du côté de Briançon. 

Le bassin de Barcelonnette, et les petits vallons la- 
téraux qui y aboutissent, portaient autrefois le nom 
de Terres-Neuves, probablement parce qu'elles avaient 
été récemment découvertes. On ignore Tépoque à la- 
quelle les Yaudois s'y seraient introduits. Farel vint 
y prêcher en 1519. Le temple était aux Josiers; la 
population, empressée et réjouie à la voix du réfcH*- 
mateur, s'applaudit de voir les doctrines de ses pères^ 
dans toute Tintégritéévangélique, proclaméespublique- 
ment; mais cette publicité attira sur ceux qui les pro- 
fessaient la redoutable attention de l'Eglise romaine. 
Les féroces inquisiteurs montèrent jusqu'à cette pai- 
sible retraite de pauvreté et de prière. C'était en 1560, 



— 69 — 

l'ttiiiée mêoie où f fifent ttuwi ftaoeagées les taHée* dé 
Héane, de Stizeet de Prageia. 

a La persécution, dit Gilles, g'einbrasa si foftement 
idiifB ooiitae tes fidèles de œs eootrées^ qu'ils éUûent 
im» aj[)pi<6h6adés on obËgés de ftiir; de sorte qu'ils 
iar&si longtemps vagabonds pav ees rudes monta'- 
gnes, en grande disette d'aliments et d'abri. On en^ 
mya aux j^alères ceux qui furent saisis et qui reftisè^ 
rait d'abjurer. Quant aux apostats, leur condition ne 
s'en trouva pas meiileui^} car, outre les remords Aè 
leur conscience , desquels ils étaient continuellement 
tmvaillés, ils devinrent un ol^t de méfiance et de 
mépris, de sorte qu'une partie d'entre eux s'en ra^ 
tourna au bon chemin. » 

On donnait le nom de relaps à ces derniers , c'est^ 
à-^Ure aux catbdisés qui revenaient plus tard à l'E- 
vangile. Les peines les plus sévères furent i^ononcées 
contre euxj mœs les catholiques eux-mêmes avaient 
peu d'estime pour des gens qui se convertissaient le 
eottteau sui* la gorge : comment poHvaienlrjybs même 
estimer des doctrines qui en étaient réduites à se 
fahre accepte]^ par de pareils moyens t 

Cependant, peu d'années après (en 1366), un ordre 
rigoureux enjoignit à tous les YaUdois de Bareelon- 



— 70 — 

nette d'embrasser le catholicisme, ou de sortir des 
États de Savoie dans l'espace d'un mois, sous peine de 
mort et de la confiscation des biens. 

La plupart d'entre eux résolurent de se retirer dans 
la vallée de Freyssinières, qui appartenait à la France; 
mais on était alors aux fêtes de Noël, c'est-à-dire aux 
temps les plus rigoureux de l'année; les femmes et 
les enfants ralentissaient la marche; les montagnes, 
couvertes de neiges , augmentaient la fatigue et les 
dangers de la route; avant d'atteindre à leur cime la 
nuit était venue, de sorte que la tribu proscrite fut 
obligée de coucher sur un lit de frimas : le froid les 
saisit pendant ce sommeil qu'il transforma pour plu- 
sieurs en un sommeil de mort. Ceux qui périrent 
étaient du moins au terme de leurs souffrances; mais 
qu'elles durent être vives pour les survivants qui , le 
matin, eurent la douleur de voir seize de leurs enfants, 
asphyxiés et raidis par le gel entre les bras de leurs 
mères désespérées ! 

Les survivants atteignirent à grand'peine l'asile 
fraternel qui leur était ouvert. 

Le gouverneur de Barcelonnette voulut alors distri- 
buer aux catholiques les biens abandonnés par ces 
malheureux fugitifs ; mais un fait honorable pour la 



— 74 — 

population de ces montagnes, c'est que personne 
ue consentit à les accepter. Ces catholiques-là étaient 

bien retardés dans le chemin qu'avait parcouru leur 
Eglise. 

Les Vaudois purent donc rentrer dans leurs demeu- 
res et reprendre leurs possessions. L'autorité ferma 
les yeux sur leur retour, sans lequel ces champs fus- 
sent restés déserts et ces montagnes dépeuplées; mais 
pour exercer publiquement leur culte, il fallait qu'ils 
traversassent de nouveau les glaciers et se rendissent 
à Yars, sur les terres de France. Eh bien, ces modes- 
tes chrétiens, déjà si cruellement éprouvés , ne crai- 
gnaient pas de franchir cette grande et pénible dis- 
tance, plusieurs fois dans Tannée, pour jouir du bon- 
heur de s'édifier en conunun et de recevoir la béné- 
diction d'un pasteur. Quelle leçon pour les chrétiens 
de nos jours! 

Mais un demi-siècle après (en 1623), les rigueurs 
recommencèrent. Un moine dominicain, nommé Bou- 
vetti, obtint du duc de Savoie l'autorisation de pour- 
suivre les Yaudois de Barcelonnette, auxquels il ap- 
porta un nouvel ordre d'abjuration ou d'exil. L'exé- 
cution en fut impitoyablement poursuivie par le gou-* 
vemeur de la vallée, nommé François Dreux; de 



— 7g — 

sorte qu'après beaucoup d'efforts et 4e requêtes inu- 
tiles pour obtenir quelque adoucissement à leur sort, 
l^s VaudoiSy inébranlables dans la foi de lama pèrM, 
durent de nouveau, et maintenant sans retour, aban- 
donner la terre natale, s'expatrier sans avenk*» et de- 
mander asile i^ des pays moios tourmentis* 

Les uns se retirèrent dans le Queyras et dans le Ga- 
pençois, d'autres à Orange ou à Lyon; quelques-uns 
se rendirent à Genève, et plusieurs dans les vallées 
vaudoises du Piémont, qui étaient comme leur mère- 
patrie. 

Ainsi demeura dépeuplée et silencieuse cette re- 
traite qui ne fut heureuse que lorsqu'elle était ou- 
bliée, et qui, dans son oubli, retentissait en paix de 
la parole évangélique. 

L'Eglise persécutrice s'applaudit de cette destruc*- 
tion comme d'un triomphe. Ainsi les passions hu- 
maines se font un piédestal ménie des vices qui les 
servent, et devant les erreurs de son siècle, le puis- 
sant érige en piérites ses excès et ses égarements. 

Les habitants de Freysstmères , dont FillustM at 
malheureux de Thou a peint. avec les plus vives eou* 
leurs les habitudes Idsovieuses et les mœurs pures, 



— 73 — 

résistèrent à la persécution ; Louis XII avait dit, après 
une enquête juridique sur leur compte : ces braves 
gens sont de meilleurs chrétiens que nous. Hais ils 
Tétaient par l'Ëvangile, et Rome n'en voulait pas» 
Depuis le commencement du treizième siècle, jusqu'à 
la fin du dix-huitième, on ne cessa de les poursuivre ; 
et depuis Tannée 4056 à Tannée 1290, cinq bulles de 
divers papes demandèrent leur extermination. Les in- 
quisiteurs firent leur proie de ces tristes vallées, dès 
Tannée 1238^ et pour reconnaître si un prévenu était 
réellement coupable, on raconte que ces défenseurs 
(diciels de la foi catholique lui appliquaient un fer 
rouge ; si le fer le brûlait, c'était un signe d'héréâe, 
et on le condamnait. — Quels temps, et quelles 
mœurs! Plût à Dieu que Tincertitude des documents 
nous permit de ne pas y croire ! 

En 1344;, dit un vieux manuscrit, la plupart des 
gens de Freyssinières étant persécutés s'enfuirent 
dans les vallées du Piémont; mais ils revinrent avec 
les Barbas, résistèrent aux inquisiteurs et furent bien- 
tôt plus forts qu'auparavant (1). 

n fallut les cruautés inconcevables de Borelli et de 

(1) Mémoires H S C de Raymond JuTénis, Bibl. de Grenoble et de Car- 
pentrts. 



— 74 — 

Veyletti pour les affiaiblir de nouveau. Louis XI mit 
fin aux poursuites de ces agents du saint office 
Ml i478. Us furent remplacés par François Ployôri^ 
qu'y laissa Cattanée, après Textermination qu'il avait 
ftiite de tous les Yaudois de Yallouise. 

Cet inquisiteur ordonna aux habitants de FVeyssi-^ 
ntères de compat^ttre devant lui, à Embrun. Us sa- 
vaient que c'était pour obtenir d'eux une abjuration 
de leur foi; cette course était donc inutile : aucun ne 
ft'y rendit. Alors ils furent, par contumace^ condam-» 
nés à mort comkne rebelle^, hérétiques et relaps; 
pniS) sdon l'otdinaire^ les biens de tous ces pauvres 
giens forent confisqués au profit de l'Eglise. C'était 
pour elle la partie intéressante et l'attrait excitateur de 
ces condamnations. Qu'importaient k tes moines les 
douleurs, les angoisses inexprimables , les misères de 

nos familles^ pourvu qu'ils fissent bonne chère et se li- 

« 
vrassent luxueusement à leur cléricale sensualité f 

Tous ceult d'entre les malheureux Yaudois que l'on 
put saisir furent donc envoyés au feu sans autre 
formalité; car le moyen le plus sûr de s'emparer des 
terres confisquées était d'en massacrer les proprié- 
taires , et quiconque osait intercéder pour les con- 
damnés, fût-ce un fils pour sa mère, ou un père pour 



— n -. 

son enfont, était immédiatement incarcéré, jugé et 
souvent condamné comme fauteur d'hérésie. 

Les Vaudois n'eurent de repos qu'après la mort du 
iaible Charles YIII^ arrivée en 1498. 

Des délégués, de presque toutes les provinces du 
royaume, se rendirent alors à Paris, pour assisler au 
sacre de Louis XII. Les habitants de Freyseinères s'y 
étaient aussi fait représenter par un procureur, chargé 
d'exposdr lem^ plaintes au nouveau souverain. 

Louis Xn renvoya cette affiiire à son conseil ; on en 
écrivit an pape, et des commissaires, à la fois aposto- 
liques et royaux, c'est^-dire représentants do pour- 
voir pontîtteal et de l'autorité royale, fuirent nommés 
pour aUer prendre, sur les lioux, de plus précises in- 
formations. 

Etant arrivés k Embrun , ils se firent remettre tous 
tes dossiers des procédures intentées aux Yaudois 
par les inquisiteurs, tancèrent l'évéque, et annulèrent 
toutes les condamnations prononcées par contumace 
conti*e les habitants de Preyssinières. Mais l'évéque 
tie voulut pas sousciire à ces conditions, qui entraî- 
naient pour son clergé la perte des biens si odieuse- 
ment confisqués. Il basa sa protestation sur ce que 
fun des commissaires aurait dit publiquement, dans 



— 76 — 

rhôtellerie de l'Ange, où ils avaient été loger : Plût 
à Dieu que je fusse aussi bon chrétien que le pire de 
ces gens làl D'où le prélat concluait que ce juge avait 
dû favoriser les hérétiques aux dépens du bon droit. 
Cependant Louis XII ratifia les conclusions de ces 
commissaires (par lettres datées de Lyon, 12 oc- 
tobre 1501), et ces derniers obtinrent du pape un 
bref qui rendit la décision du roi d)ligatoire pour le 
clergé. Ce pape était Alexandre YI, et le bref fut ob- 
tenu par l'intermédiaire de son fils César Borgia , qui 
était venu en France, pour apporter à Louis XII une 
bulle de divorce en échange de laquelle il reçut, avec 
le titre de Duc de Valenlinois , la partie du Dauphiné 
dans laquelle se trouvait précisément comprise la 
vallée de Freyssinière. 

Borgia et Alexandre YI avaient bien autre chose à 
faire que de s'occuper des doctrines qu'on y profes- 

ê 

sait ! Les habitants s'étaient rendus contumaces devant 
un tribunal ecclésiastique; il fallait une absolution 
de ce fait pour détruire les procédures dont le roi 
demandait l'annulation; on n'avait rien à refuser au 
roi, et Alexandre YI était généreux en fait d'absolu- 
tions. Mais l'objet poiu* lequel on en demandait une lui 
parut être trop peu dç chose pour d'aussi longues 



— T7 — 

écritares. N'être que coBtuoiaoes : la belle peccadille! 
et pour faire quelque chose qui en valût la peine, il 
accwda aux Vaudois une large absolution, nim-sen- 
lement pour ce fait qui leur était reproché , mais en- 
core pour tonte swte de fraudes, usures, lardns, 
simonie, adultères, meurtres et empoisonnements; 
parce que, sans doute, ces choses étaient si habi- 
tuelles à Rome, qu'il était tont^ naturd alors de les 
croire fort communes partout. 

La vie simple et austère des Vaudois dédaigna ces 
indulgences corruptrices, et le mal qui résultait de 
leur emploi resta tout entier dans TEglise qui en fai- 
sait usage» 

Un demi-siède après, au fort des guerres qui rem- 
{dirent le seizième siècle , une tentative armée eut 
lieu contre les Vaudois de Freyssinières et du Queyras, 
par le commandant militaire d'Embrun, qui marcha 
contre eux à la tête de douze cents hommes de TEm- 
brunois et du Briançonnais. Mais Lesdiguières , à 
peine ftgé de vingt-quatre ans, accourut en hâte, par 
le Champsaur, pour défendre ses coreligionnaires. Il 
rencontra les ennemis à Saint-Crespin et les tailla en 
pièces. 

Les protestants à leur tour voulurent s'emparer 



— 78 — 

d'Eari>run* Un piège avait été dressé pour cela. Il 
devait s'exécuter le jour de la fête de la Conception , 
en déoembre 1573; mais il fut déjoué^ et son auteur,, 
le capitaine La Bréoule, étant tombé aux mains des 
catholiques, fiit étranglé, tnitné sur la claie, puis mis 
en quatre quartiers et suspendu à quatre fourches de^ 
vaut les portes de la ville. Douze ans après , Lesdi- 
guières s'empara de cette {daoe. Il attaqua d'ab(MPd le 
bourg de Charges qui était fortifié. Les habitants et 
les soldats se fiant aux fortifications, ne faisaient que 
causer et se divertir. Lesdiguières s'avança par des 
chemina couverts, mit des échelles contre les murs 
et entra dans la place. Nous venons danser avec 
vous, dit-il, en se montrant. La garnison était prison- 
nière; elle voulut se défendre; on la passa au fil de 
Fépée. Un régiment de 500 arquebusiers vint d'Em* 
brun pour reprendre ce poste ; mais il tomba dans 
une embuscade que lui avait tendue Lesdiguières , 
à la montée de la Coulche, où il furent taillés en pi^ 
ces. Le chef victorieux fit ensuite reconnaître les 
abords de là place d'Embrun, dont il s'empara le i 7 
novembre i5$6. Une partie des soldats qui la défen^ 
daient se retira dans une sorte de forteresse centrale, 
dont il reste encore la Tour-Brune , attenante à Tan- 



— 79 — 

emi évèché. Oii y mit le feu, et c'est dans cet incen- 
die qu'on jeta par les fenêtres les papiers des archives 
épiscopales afin de les sauver. Il s'y trouvait les en- 
quêtes dirigées contre les Yaudois; nu soldat s'en 
empara, les vendit, et de main en main, elles sont 
anrivées entre celles de nos historiens. 

La cathédrale d'Embrun devint alors une église 
protestante, car Tévéque avait pris la fuite, dès le dé* 
but du siège, avec tout son clergé. 

Deux jours après cet exploit, Lesdiguières vint 
assiéger Guillestre, qui fut prise, et dont il rasa les 
murailles qui ne furent jamais rebâties. Il remonta 
ensuite le cours difficultueux du Guill et vint prendre 
Chàteau-Queyras. La résistance qu'il éprouva sur ce 
pmni augmenta l'irritation des troupes et Tefierves- 
oence qui régnait déjà' dans la vallée. Les protestants 
victorieux s'y rendirent coupables de repi^ésailles san- 
glantes contre les catholiques qui les avaient si long- 
temps opprimés. 

Depuis quelques années surtout, des troupes de fa- 
natiques avaient fréquemment assailli leurs demeures, 
parcouni leurs villages, semé partout la désolation et 
la mort. Les capitaines de Mures et de La Gazette 
étaient ordinairement les instigateurs de ces violences. 



— 80 — 

En 1583, les réformés dii Queyras, menacés d'une 
attaque prochaine, appelèrent à leur secours leurs 
coreligionnaires du Piémont : car des forces consi- 
dérables se préparaient à les attaquer^ Les Yaudois 
de la vallée de Luzerne arrivèrent les premiei^s pour 
les défendras. Us s'emparèrent d'Abriès; Tennemi était 
maître de Ville-Vieille, située à deux beiu^s plus 
bas. Un traître, nommé le capitaine Vallon, quitta les 
troupes catholiques , vint à Abriès et dit aux protes- 
tants : Je suis un de vos frères; j'ai été foit prisonnier, 
on m'a fait jurer de ne pas reprendre les armes, mais 
j'ai obtenu la permission de sortir du camp, et je 
viens vous prévenir que si vous ne vous retirez, vous 
serez tous taillés en pièces. — Espion! lui cria un 
Vaudois, si tu ne veux être taillé en pièces le premier, 
retire-toi d'abord. — Le traître disparut, et les ar- 
mées ennemies s'avancèrent. La cavalerie suivit le bas 
de la vallée, et deux corps de troupes les flancs laté- 
raux des montagnes. Les Vaudois furent intimidés à 
Taspect de forces tellement supérieures aux leurs. Eh 
quoi! avez-vous peur? s'écria le capitaine Pellenc du 
Villar, Que cent hommes me suivent, et Dieu sera 
pour nous! Tous le suivirent. Le capitaine Fracbe, 
qui déjà avait délivré les Vaudois d'Exilés des armes 
de La Gazette, s'élança le premier contre les ennemis. 



•iî 



..j 



if. 



— 84 — 

11 fait plier leur centre; mais leurs deux ailes se rap- 
prochent, la petite troupe vaudoise va être enve- 
loppée. Ils battent en retraite sur les hauteurs de Yal- 
préveyre ; là ils rencontrent leurs frères de la vallée 
de Saint-Martin^ qui accouraient aussi; alors ils re- 
prennent Toffensive avec impétuosité; ils avaient l'a- 
vantage de la position; les avalanches de pierres qu'ils 
font rouler devant eux enfoncent les premiers rangs 
des catholiques. Ils s'élancent dans la trouée, frap- 
pent, dispersent, culbutent, balaient les agresseurs et 
les poursuivent jusqu'à Cbàteau*Queyras. Les escar- 
mouches qui eurent lieu ensuite furent terminées par 
kl victoire de Lesdiguières, qui s'empara de toute la 
vallée, où des cruautés et des spoliations indignes fu- 
rent alors exercées par les protestants. Lesdiguières y 
maintint son protectorat jusqu'à l'édit de Nantes. A 
cette époque les Vaudois purent exercer librement 
leur culte. Pendant le dix-septième siècle ils eurent 
des pasteurs à Ristolas, Abriès, Ghftteau-Queyras , 
Arvieux , Moline et Saint-Véran. Ces pasteurs étaient 
envoyés par le synode des vallées du Piémont, comme 
autrefois les Barbas, qui entretenaient avec tant de 
Soin le feu sacré de la foi primitive dans des Eglises 
bien plus éloignées encore. 



— 82 — 

La révocation de l'édit de Nantes vint détruire 
leurs temples et les proscrire encore. On sait combien 
de protestants français s'exilèrent. Ceux du Queyras 
rentrèrent dans les vallées du Piémont avec les Vau- 
dois qu'on en avait aussi expulsés. . 

Sous Je règne de Louis XV, le culte réformé étant 
encore interdit , les Eglises protestantes du Daupbiné 
eurent leur culte du désert comme celles du Gard et 
des Cévennes. 

Une assemblée devait^^lle avoir lieu quelque part, on 
voyait des villageois disséminés descendre par divers 
sentiers , la bêche sur Tépaule comme s'ils allaient 
aux champs, et se réunir dans une retraite isolée, où 
les psaumes étaient tirés de la veste du laboureur. Des 
familles entières franchissaient de grandes distances, 
pour s'y trouver. On pailait le soir, on voyageait 
toute la nuit. Aux abords des villages, les hommes 
enlevaient leurs chaussures et marchaient à pieds nus, 
sur le pavé endormi, pour que le retentissement de 
leurs souliers ferrés n'y trahît pas leur passage. Les 
pieds de la monture chargée de la femme et des en- 
fants étaient enveloppés d'un linge qui les rendait 
muets; et la caravane, fatiguée mais joyeuse, arrivait 
tout émue au rendez-vous furtif de prière et d'édifi- 



— 83 — 

Galion. QœlquefcNs, il est vrai, les soldats de la geu- 
darmerie y qu'on appelait alors la maréchaussée, se 
montraient tout à coup au milieu du recueillement uni- 
versel, et venaient au nom du roi arrêter le pasteur. 
Des collisions sanglantes eurent lieu. Les balles du 
papisme déchirèrent plus d'une fois l'Evangile de 
Christ ; mais les assemblées du désert, dissoutes d'un 
côté, se ralliaient de l'autre. Là où les exemplaires de 
la Bible étaient devencis trop rares pour suflSre aux 
besoins de chacun par suite des confiscations inces- 
santes dont elles étaient l'objet, il s'était formé des so- 
ciétés de jeunes gens, dans le but de l'apprendre par 
cœur, et de la sauver ainsi, dans leur mémoire , 
de la perte dont elle était menacée. Chacun des 
membres de ces associations pieuses avait pour mis- 
sion d'en conserver ponctuellement un certain nombre 
de chapitres; et lorsque l'assemblée du désert se trou- 
vait réunie, ces lévites nouveaux, entourant le ministre 
en face des fidèles, suppléaient à la lecture des pages 
interdites, en récitant successivement, et chacun à son 
tour, tous les chapitres du livre indiqué par le pas- 
teur pour l'édification commune. 

C'est ainsi que les Eglises protestantes de France 
traversèrent ces temps d'orage. Dans les vallées du 



— 84 — 

Dauphinéy qui furent aussi autrefois des vallées vau-* 
doises , les descendants de ces glorieux martyrs ont 

survécu à leurs malheurs et subsistent encore à Freys- 

sinières, à Vars, Dormilbouse^ Arvieux, Molines el 

Saint-^Véran. 

Un apostolat récent , digne, comme celui des an- 
ciens Vaudois, de la ferveur qui animait TEglise pri^ 
mitive, a rattaché à ces contrées le nom de Félix 
Neffy que l'histoire a déjà rapproché de celui d'Ofoer- 
lin, qui a fait tant de bien dans les Vosges. Le jeune 
missionnaire et le vieux patriarche avaient h môniQ 
ardeur. C'est que les âmes n'ont point d'âge, et nos 
années que sont-elles en face de l'Eternité ? 

Le^ siècles eux-mêmes se réduisent à rien. Heu« 
reuses ces Eglises d'avoir lutté pendant des siècle$ 
pour une cause impérissable dont les luttes et lea 
triomphes retentissent dans l'immortalité ! 

Les chapitres suivants nous montreront en d'autres 
lieux, mais partout les mêmes, ses héroïques et pa-^ 
tients défenseurs. 



CHAPITRE V. 



HISTOIRE DES VAUDOIS DE PROVENCE, 



MiRmBOL £T GABBIËRE. 



(De 1350 à 1550.) 



Soumcis n ACToains. Hittoire de VêxéetUion de Cahrièrei, de MérindtU, 
et Vautrée lietêx^de Provence; ensenMe une relalien partie, de ee gui te 
fwif» 9UX cinquante auâ/ienees de la eaiMC de Mérinddt par Louit Aubery 
de Mauriez. Paris, 1645, io-lo. — Camerarius : D9 exeidio reliq. Yalden- 
liiMR... lugubrii narratio. Heidelberg, 1606. (Idité trente ans après la 
mort de l'auteur, par soo neveu Louis Caraérariat. ) -^ Hiet. tuémor» de 
la persée. et saceagement du peuple de Jfenndot, C(Unrièreef et autres cir- 
CMMNMftiu. 1556, Id-32. (Attribuée k Dubellay, seignenr de Langes, chargé 
par François 1er de faire, en 1541, uue enquête sur les Yaydois de Pro- 
vence.) — Lapereéc, de ceux de Mer. et Cabr., peuplée fidèles en Provence.. 
CrespÏQ, Hist. des Martyrs, édit* de 1619, ip-fol., dt| fol. 133 à 1^, 
et dn fol. 182 au 186. — Les Vaudoie de Provence^ par Louis Frossard. 
1848, in-80 de t67 p. — Essai hietor. sur le% Vaudoie de Provence... par 
PatUin Biman. ia-4o* Strasbourg, 1839. — Observ. sur les préliminairps de 
Pexécution de Cahrières et de Mér.^ par Nicolay. Dans l'Hist. de i'Acad. des 
Inscript, et Belles-Lettres, t. XVIII. p. 377. (ouvrage superficiel.) -*• Oraux 
de Radier : Articles critiques sur Vexée, de Cabr. et de Mer., dans le Jour- 
nal de Yerdon. Septembre 1763, p. 189. — Bévue du Comlat. Ifo« de 
lévrier et mars 1839, ete, ^ar les débats judiciaires qui eurent lieu devant 
lacAain6re du rot, en 1450: Jacobi Auberiif parisiensis adoocatit pro Me- 
rinànAis et Caprariensibus actio... A Lyon, 1619, io-ful. — Quelques-uns 
des plaidoyers contraires ont aussi été publiés. — Voir eotit» autres eelui 



— 86 — 

du défenseur de Menier (l'avocat Robert), etc. On a publié, d'après le 
plaidoyer d'Aubery, plusieurs petites brochures. — De Thon parle de ces 
événements dans son Uv. Y, Histor. — La Vie du baron d^Oppède et da 
baron de la Garde, qui y ont joué un r61e, a été publiée à part. 

MiiruicaiTS. Plaidoyers et autres actes ir^rventa en la cause de ceux de 
Mérindol et de Carrières f depuis 1540 jusques en 1554., in*fol. de plus de 
1000 pages. Paris, Bibl. Nat., no 204. (C'est sur ce M S C. que je me suis 
principalement dirigé pour ce travail.} — Pièces concernant Vaffaire de 
Mérindol en 1540. Bibl. d'Aix, no 798. — Enquête contre -Jean de Roma^ 
en 1520. Paris. (Archives de la rép., section Hist.) Discours des guerre* 
de la conte' de Venayssin et de la Provence... par Loys de Perussiis , in-4o. 
(Bibl. d'Avignon.) — Hist. de la ville d'Apt, par Remerville. (Bibl. de 
Carpentras.) — Hist. de la ville de Pemes.... avec ce quis^est possède plua 
intéressant... etc. (L'auteur de ce M S C. est le Dr Giberti.) Même Bibl* 
nos 606 et 607. — De Cambis Velleron, Annales d* Avignon, t. 1er. (Bibl. 
d'Avignon.) — M S C. de Peyresk. Reg. XIXI, voL II, au fol. 361 , etc. 
(Bibl. de Carpentras.) 



Les Yaudois s'établirent en Provence sous le règne 
de Charles II, qui possédait à la fois de vastes seigneu- 
ries des deux côtés des Alpes, et qui prit à cause de 
cela le titre de comte de Piémont et de Provence. 
C'était sur la fin du treizième siècle. Au commen- 
cement du siècle suivant, les persécutions intentées 
aux Yaudois du Dauphiné amenèrent plusieurs d'entre 
eux auprès de leurs coreligionnaires des bords de la 
Durance. 

Après la guerre de dix ans qui eut lieu entre Louis II, 
le comtede Provence, etRaymond de Toulouse (1), ce 

(1) De 1388 à 1400. 



— 87 — 

Pays se trouva dépeuplé, et comme Louis H avait été 
obligé d'en vendre une partie pour subvenir aux firais 
de cette guerre, les seigneurs de Boulier-Gental et 
de Rocca-Sparviera lui achetèrent alors la vallée 
d'Aiguës, qui s'étend du nord au sud, sur les pentes 
adoucies du Leberon. Mais ces seigneurs avaient déjà, 
dans le marquisat de Saluées, de grandes j^opriétés, 
cultivées par les Yaudois. Ils engagèrent donc ces der- 
niers à venir également cultiver leurs nouvelles pos- 
sessions, et ces terres leur furent cédées par emphy- 
téose, c'est-à-dire à bail perpétuel. 

Du fond de la Calabre, où d'autres Yaudois s'étaient 
aussi établis, plusieurs revinrent dans les vallées dont 
ils étaient originaires, et passèrent de là en Provence ; 
comme aussi de Provence il y eu eut qui allèrent se 
fixer en Calabre : tant était grande alors la fraternité 
qui existait entre toutes les communautés, ou les pa- 
roisses dispersées de cette Eglise si unie. 

a Au lieu de prêtres et de curés, dit un auteur ca- 
tholique de ce pays (1), ils avaient des ministres qui, 
sous le nom de Barbas, présidaient aux exercices de 



(1) Histoire» det Guerres excitées dans le comtat Yenaissin, par les Gal- 
Yinifttes du XYIe siècle, 1. 1, p. 39. Cet ouvrage publié saus nom d'auteur, 
est écrit par le P. Jastio, moine capuein de Monteax, prés de Gtrpentras. 



— 88 — 

religion qu'ils faisaient en secret. Toutefois, conoime 
on les voyait tranquilles et réservés , qu'ils payaient 
fidèlement les impôts, la dîme et les redevances sei- 
gneuriales, et que d'ailleurs ils étaient fort laborieux , 
on ne les inquiétait point au sujet de leurs habitudes 
et de leurs doctrines. » 

Mais les réformateurs d'Allemagne , auxquels ils 
avaient envoyé une députation, de concert avec leurs 
frères du Piémont, les engagèrent vivement à sortir 
de cette réserve, en leur reprochant comme une dis- 
simulation, de ne faire lejat culte qu'en secret. 

A peine eurent-ils fait éclater plus ostensiblement 
leur séparation d'avec TEglise romaine, que des in- 
quisiteurs furent envoyés contre eux. L'un d'eux , 
nommé Jean de Roma, commit de nombreux brigan- 
dages, pendant plus de dix ans qu'il passa dans ce 
pays (i). 

Le roi le fit enfin emprisonner, et une enquête vo- 
lumineuse, conservée jusqu'à nos jours (2), fut dres- 
sée contre ses exactions et ses cruautés. 

Les poursuites qu'il avait commencées furent néan- 
moins continuées. En 1534, dit Gilles, les évoques 

(1) De i$21 à ISaS. 

(S) Awk AMhive« aationalea de Paris. (Miohelet, lettre do iO avril 1880). 



— 89 — 

de Sisteron, Apt, Cavaillon et autres, firent recher- 
cher les Vandois, chacun en son cBocèse, et en rem- 
plirent leurs prisons. Ayant reconnu que ces héré- 
tiques étaient originaires du Piémont , ils en écri- 
vireot à Tarchevéque de Tiurin; celui-ci nomma un 
commissaire, qui écrivit en Provence, de suspendre 
ces poursuites, jusqu'à plus amples informations de 
sa part. 

Mais révêque de Cavaillon lui répondit , le S9 de 
mars 1535, que treize de ces prisonniers étaient déjà 
condamnés à être brûlés vifs. 

De leur nombre était Antoine Pasquet de Saint- 
Ségont. La tradition du martyr qui donna son nom à 
ce village ne s'était pas patine. 

D'autees étaient morts en prison; il citait Pierre 
Ghalvet^ de Rocheplate. Ainsi, l'intervention du com- 
missaire, qui lui-même était de Rocheplate, fut inutile 
devant le zèle de ces prélats et surtout du parle- 
ment de Provence, plus avides à ce qu'il semble de 
eondamnations que de justice^ 

Clément YIII, une année avant sa mort, promit des 
indulgences plénières, à tout Yaudois qui rentrerait 
dans le sein du papisme. Aucun n'en profita. 

Le Pape se plaignit au roi de France, qui en écrivit 



— w — 

au parlement d'Aix; et le parlement ordonna aux 
seigneurs des terres occupées par les Vaudois, d'obli^ «^ 
ger leurs vassaux à abjurer ou à quitter le pays. 

Gomme ils s'y refusaient, on essaya de les vaincre 
par intimidation. Quelques-uns d'entre eux avaient 
été cités à comparaître devant la oour d'Aix , pour 
s'expliquer sur les causes de leur refus ; ils s'abstinr^t, 
et par défaut la cour les condamna à être brûlés viCs. 

Alors leurs frères prennent les armes; un nommé 
EustiM^be Maron se met à leur tête, et ils vont déli- 
vrer les prisonniers. 

Les autorités s'émeuvent , Teifervescence se pro- 
page , une guerre civile va éclater dans le pays. Le 
roi en est informé; et François Jw, croyant tout pa- 
cifier, fit publier, en juillet 1535, une amnistie gé- 
nérale, à condition que les hérétiques abjureraient 
dans l'espace de six mois* 

Le calme se rétablit; les six mois se passèrent. Nul 
n'avait abjuré; et chacun d'entre les seigneurs, ou 
magistrats, de ces contrées, s'arrogea le droit d'exi- 
ger arbitrairement cette abjuration, ou de punir à son 
gré les Vaudois par la confiscation et Temprisonne- 
ment. Ce dernier procédé obtint, on peut le dire, Un 
vrai succès de vogue. On savait que le chrétien cède- 



— »l — 

Fait plutôt sa fortune qne ses croyances, et on lui pre- 
nait sa fortune pour ie punir de conserver sa foi. Ce 
fut un nouveau moyen de s'enrichir. Pluâeurs en 
usèrent largement; Ménier d'Oppède en abusa. Il était 
pauvre, issu d'une famille juive, d'une probité dou* 
teuse, d'un égoisme certain, infatué de lui-même 
comme tous les esprits médiocres, et dédaignant le 
soenu peuple avec une morgue d'autant plus hautaine, 
qu'A n'était qu'un misérable parvenu. L'apostasie de 
son »eul semUait l'irriter davantage contre la fidélité 
religieuse des Yaudois; la dureté de son caractère 
ne le faisait reculer devant aucun moyen; son am- 
iHtion les légitimait tous. 

Marebant avec une troupe d'hommes armés, il sai» 
sissait les Yaudois dans leurs champs. -^ Invoque les 
saints pour ta délivrance! leur disait-il. -^ U n'y a 
d'antre médiateur entre Dieu et Thomme , répondait 
le Yaudois, que celui qui est Dieu et homme , savoir 
Christ.— * Tu es un hérétique; abjure tes erreurs. -^ 
Le Yaudois refusait. Alors on le jetait dans les caves 
du chfttean d'Oppède, qui servait de prison, et on ne 
l'en laissait sortir qu'au prix d'une forte rançon, ou, 
s'il y mourait, on confisquait ses biens. 

Ces révoltantes déprédations furent surtout nom- 



— 9« — 

breuses en 1536. L'année d'après, le procureur géné- 
ral du parlement de Provence, sollidté à la fois par le 
clergé fanatique et par des spoliateurs intéressés, fit 
un rapport dans lequel il exposait que les Yaudois 
s'accroissaient tous les jours. Sur ce rapport , le roi 
mande à la cour de réprimer les rebelles ; et, Tan- 
née suivante (juin 1539), il l'autorise à connaître 
des délits d'hérésie. Dès le mois d'octobre de cette 
même année, la cour requiert prise de corps, contre 
cent cinquante-quatre personnes, dénoncées comme 
hérétiques, par deux apostats. 

On conçoit la fermentation excessive que de pa- 
reilles mesures devaient causer dans le pays; et quoi- 
que nous ne fassions ici qu'un résumé, nous pouvons 
dire que nul historien n'a réuni tous ces détails, dont 
la connaissance est néanmoins nécessaire pour com- 
prendre la marche des événements. En de pareilles 
circonstances, une étincelle peut amener un incendie. 
C'est ce qui arriva, et voici par quelles particularités. 

Le moulin du Plan d'Âpt faisait envie au juge de 
cette ville. II dénonça le meunier Pellenc comme hé- 
rétique. Pellenc fut brûlé vif, et son moulin confisqué 
au profit du dénonciateur. Quelques jeunes gens de 
Mérindol , dont les veines provençales bouillonnaient 



— 93 — 

encore du sang italien, ne purent contenir TincBgna- 
tion que soulevaient en eux de pareilles iniquités; et, 
dans leur ignorance des formes légales, auxquelles 
du reste il n'y aurait eu pour eux aucun recours, ils 
se firent justice comme l'exécute le peuple, comme 
la conçoivent les enfants; ils allèrent briser, pendant 
la nuit, ce moulin si injustement possédé, au prix du 
sang de leur frère , par celui qui venait d'être son 
bourreau. 

Le juge d'Apt fit son rapport à la cour d' Aix , et 
désigna les personnes qu'il soupçonnait d'avoir pris 
part à ce coup de main. La cour, quoique en va^ 
canoës, (on était en juillet 1540), se réunit extraordi- 
nairement et décréta prise de corps contre dix-bnit 
prévenus. 

L'huissier chargé d'aller leur signifier l'arrêt se 
rend à Mérindol; il en trouve les maisons désertes. 
— Où sont les habitants de ce village? demapde4-il 
à un pauvre , rencontré sur la route. — Ds se sont 
sauvés dans les bois, car on disait que les troupes du 
comte de Tende (i) allaient venir pour les tuer. — 
Va les chercher, reprend l'huissier, et di&-leur qu'il 
ne leur sera fidt aucun mal. Quelques Yaudois ar- 

(i) Alors govterneiir de la ProTenee, aoât 1540. 



— 94 — 

riyenty et l'huissier les ajourne à comparidtre devant 
la cour^ dans le délai de deux mois. 

Le â de septembre, ils se réunissent tous et adres* 
sent à la cour une requête dans laquelle ils pro- 
testent de leur soumission à ses ordres^ et de leur û- 
délité au roi : en la suppliant de ne pas prêter Toreille 
à leurs ennemis qui pourraient égarer sa justice y car, 
disent-ils , dans rassigoatkm qui nous a été donnée, 
se trouvent nommées, pour comparaître devant vous, 
des personnes qui sont mortes, d'autres qui n'ont 
jamais existé, et des enfoâts d'un âge si tendre qu'ib 
ne marchent pas même encore. 

La Qour , blessée de voir de simples csonpagfiards 
relever dans ses êanéu de pareilles méprises, leurré* 
pond qu'ils aient à comparaître sans se mêler des 
mortSé Les Yaudois consultent un avocat pour savoir 
ce qu'ils ont à faire. Si vous voulez être brûlés Vifs, 
leur dit-il , vous n'avez qu'à venir. •"-* Les malheu- 
reux ne vinrent pas; l'ajournement était passée et 
le 18^ novembre 43410, la cour d'Àix proncmça contre 
eux cette sentence inconcevable , qui condamnait au 
bteber vingt^trois personnes, dont dix-sept seule-^ 
omit étaient nommée». La cour, y est41 dit, livre leur 
femmes et leurs enfants à quiconque pourra s'en sai- 



— 95 — 

sir, défend à chacnn de leur porter secours, et comme 
le lien de Mérindol est notonremeut connu pour être 
la retraite des hérétiques, ordonne que tontes les mai** 
soQs et bastides de ce lieu seront abattues et embra*^ 

mSKOm 

Cet anét causa une indignation générale dans la 
partie édairée de la population; elle Ait surtout par^ 
tagée par tous les oûBurs généreux de la noblesse et 
da baneau ^ comme on peut en juger par l'anecdote 
saiyante, empruntée aux écrivains du temps. 

Le président de la cour d'Aix se trouvait à dtner 
ehez révéque de ^^tte ville. «^ Eh bien ! monsieur de 
Chassanée , lui dit une femme sans retenue qui vi-^ 
?ait avec le prélat , quand fe^^et^vous exéouter Tarrét 
de Mérindol? 

Le président ne répondit pas« *^ De que! arrêt par* 
lei->vou8t demanda un jeune homme. «^ La dame le 
lui fit connaître* *^ Ce n'est sans doute qu'un arrêt 
du parlement des femmes , dit avec ironie le jeune 
d'Allenc, l'un des membres les plus distingués de la 
noblesse artésienne. 

Un conseiller , nommé de Sénas, en affirma grave- 
ment la triste réalité. *— NcMi, il est impossible de croire 
à de pareilles barbaries, s'écria le seigneur de Beau-- 



— 96 — 

jeu. Un des membres du pariement qui se trouvait à 
cette réunion, voulut par une plaisanterie mettre fin 
au débat. — Ahl si vous voulez vous attaquer aux 
robes, lui dit-il, en montrant la jeune dame, assise entre 
révéque et le président, seigneur de Beaujeu^ vous 
n'aurez pas beau jeu ! L'on sourit à ce mot; mais celui 
qui en était Tobjet, répliqua avec indignation : C'est 
une atrocité ! J'ai été en relations avec les habitants 
de Mérindol et nulle part je n'ai trouvé de plus bon- 
nètes gens* 

— J'aurais été bien étonnée, reprit la chfttelaine du 
palais épiscopal, qu'il ne se trouvât personne pour 
défendre ces mécréants ! 

-^ Je serais bien plus surpris encore, riposta le jeune 
homme, qu'une nouvelle Hérodias n'aim&t pas à voir 
répandre le sang innocent. 

-^Allons! allons! dit levieuxdeSénas,nous sommes 
ici pour faire bonne chère et non pour disputer. 

La discussion s'arrêta; mais peu de jours après, le 
comte d' Aliène alla trouver le président Chassanée , 
fit appel à ses sentiments de justice et d'humanité, et 
obtint un sursis d'exécution. La cour elle-même ef- 
frayée de l'arrêt qu'elle avait rendu , écrivit au roi 
pour s'en remettre à son jugement. 



— 97 — 

François Iw chargea Dubellay , seigneur de Langez^ 
de se rendre en Provence et de se livrer à une en- 
quête sur la conduite des Vaudois. 

Ce sont, dit-il dans son rapport, des gens mo<- 
destes et tranquilles, réservés dans leurs mœurs, 
chastes et sobres , fort laborieux, mais très peu cou- 
tumiers de la messe. Sur ce raj^rt, le monarque 
proclame une anmistie générale (par lettres, datées 
du 18 février i541) , par laquelle mettant en oubli 
le passé, il fait grâce à tous les prévenus, à condition 
que dans trois mois ils abjureront leurs erreurs de 
doctrine. Ces lettres de grftce, qui parvinrent à la cour 
au commencement de mars, ne furent publiées par 
elle que dans le mois de mai. Il ne restait donc plus 
aux Vaudois que deux semaines pour en profiter^ 
mais n'eussent-ils eu qu'un instant, ce n'est point en 
donnant la mort à leur âme , par l'abjuration de 
la vérité, qu'ils eussent cherché à conserver leur vie. 

Ils proclamèrent au contraire, plus nettement que 

jamais, leurs doctrines persécutées (par une confession 

de foi rédigée le 6 avril 1541). Elle fut envoyée à 

François 1^^ , et le sire de Castelnau lui en donna 

lecture; chaque point de doctrine était appuyé 

sur des passages de la Bible. — Eh bien ! que 

3** 



— 98 — 

trouve*t-on à redire à cela? demanda le monarque. 

Mais son esprit mobile et peu profond ne savait pas 
rester fidèle aux impressions reçues ; il oublia bien- 
tôt ces paroles d'approbation donnée à une œuvre bi- 
blique. Les catholiques éclairés, du reste, ne pouvaient 
eux-mêmes que l'approuver aussi. 

L'illustre et docte Sadolet , dont Raphaël nous a 
conservé les traits dans un tableau célèbre , et qui 
était alors évéque de Carpentras, s'en fit remettre une 
copie; et c'est ici seulement que les Yaudois de Ca- 
brières commencent de paraître sur la scène. 

Ils étaient du diocèse de Carpentras, tandis que M é- 
rindol faisait partie de celui de Cavaillon ; ils s'em- 
pressèrent d'apporter eux-mêmes au cardinal Sadolet 
une copie de la confession commune. 

Nous consentons, dirent-ils, en la lui présentant, 
non-seulement à abjurer, mais à nous soumettre aux 
peines les plus sévères , si Ton peut nous démontrer, 
par l'Ecriture sainte, que nos doctrines sont erronées. 

Le cardinal leur répondit avec bonté, reconnut qu'ils 
avaient été en butte à de noires calomnies (i), tes en- 
gagea à venir conférer avec lui, et chercha à leur faire 
entendre que sans rien changer à l'esprit de leur con- 

(i) Jferu ealumnioi el faUa* criminatùmei 



— 99 — 

fession, ils pourraient en adoucir les termes. U ne 
craignit pas de leur laisser entrevoir que lui-même 
désirait une réforme dans le catholicisme. 

Ah ! si les Yaudois n'avaient eu que^de pareils exa- 
minateurs, le sang n'eût pas coulé ! 

Sadolet écrivit au pape qu'il s'étonnait de voir 
poiu*suivre les Yaudois, lorsqu'on épargnait les Juifs; 
mais sa protection leur fut bientôt retirée par son éloi- 
gnement du pays ; car ayant été rappelé à Rome, il 
les perdit de vue, et les Yaudois demeurèrent seuls en 
foce de leurs persécuteurs. 

Le terme d'amnistie, indiqué par les lettres de grâce, 
étant arrivé, la cour d'Aix ordonna aux Yaudois d'en* 
voyCTdix mandataires, pour déclarer s'ils entendaient 
s'en prévaloir et s'y conformer. 

Un seul se présenta; il se nommait Esiène. Nous 
consentons à abjurer, dit-il encore, à condition qu'on 
nous démontre nos erreurs. 

D'autres personnes s'en réclamèrent sans réserve ; 
et de ce nombre sont précisément celles qui avaient 
été condamnées par l'arrêt du 18 novembre 1540 : de 
sorte que cet arrêt cessait par cela même d'avoir au- 
cun objet; et cependant il servit plus tard de prétexte 
à leur entière extermination. 



— 100 — 

Cette circonstance, qui n'a été relevée par aucun 
écrivain , met à nu le désordre et l'iniquité qui exis- 
taient alors dans les affaires dites de justice, à l'égard 
des Vaudois. , 

Un an tout entier, se passa ensuite, sans nous oflHr 
d'autre incident notable que le martyre d'un humble 
colporteur de livres , qui fut surpris à Avignon , au 
moment où il vendait une Bible. 

Son procès fut bientôt fait ! Pour l'Eglise romaine , 
c'était un crime sans rémission. On se livra aux ten- 
tatives les plus pressantes pour le faire abjurer; mais 
il avait trop longtemps vécu dans l'intimité de la pa- 
role de Dieu pour fléchir devant celle des hommes. 

Sa i>ersévérance , dont les colporteurs évangéHques 
de nos jours, semblent avoir hérité, au milieu des hu- 
miliations qu'ils rencontrent quelquefois, là où leurs 
prédécesseurs eussent trouvé le supplice, ne l'aban- 
donna pas au moment de mourir. Condamné à être 
brûlé vif sur la place publique , il fut enchaîné à un 
poteau , auquel on avait également attaché le livre des 
saintes Ecritures. Ah! s'écria-t-il, puis-je me plaindre 
de ce suppUce, quand la parole de Dieu le partage 
avec moi? 

La Bible et le chrétien périrent ensemble dans les 



— 104 — 

flammes. Les Vaudois n'en furent que plus raffermis 
dans leur fidélité. 

Le cardinal de Tournon , excité contre eux par le 
légat du saint-siége^ transmet au roi que le clergé a 
rejeté la confession de foi qu'ils avaient présentée. Le 
roi demande qu'on Tinforme des résultats qui ont été 
produits par les lettres de grâces qu'il avait accor^ 
dées, et écrit en même temps au gouverneur de la 
province (i) qu'il ait à nettoyer le pays d'hérésie. 

L'évéque de Gavaillon était un de ceux qui tenaient 
le plus à ce que tan en finit avec les hérétiques. La 
cour d'Aix le délégua, avec un de ses conseillers, pour 
s'enquérir à Mérindol des dispositions religieuses des 
Yaudois. 

Arrivé dans le village, il fait venir le bailli , nommé 
Haynard, avec les notables du lieu, et leur dit, sans 
aborder aucune question de doctrine : — Abjurez vos 
erreurs, quelles qu'elles soient, et vous me deviendrez 
aussi chers que vous êtes coupables; sinon redou- 
tez la peine de votre obstination. — Que votre grâce, 
dit le bailli, veuille bien nous faire connaître les 
points qu'elle nous demande d'abjurer? — Cela 



(1) C'était alors le sire de Crignan. 



est inutile; une abjuration générale nous suffira. 

— Mais, d'après Tairêt de la cour, c'est sur notre 
confession de foi que nous devons être examinés. 

— Quelle est-elle? dit le conseiller de Tévéque, qui 
était un docteur en théologie. 

L'évéque la lui présente, en disant : voyez! tout 
cela est plein d'hérésie. 
•^ En quel endroit? reprend Maynard. 

— Le docteur va vous le dire, répond le prélat. 

•— n me faudrait quelques jours pour rexamiDer, 
fait observer le théologien. 

— Eh bien, nous reviendrons la semaine prochaine. 

Huit jours après , le docteur en théologie se rend 
auprès de son évéque : Monseigneur, lui dilril, non- 
seulement j'ai trouvé cette pièce conforme aux sain- 
tes Ecritures, mais encore j'ai mieux appris à les con- 
naître, pendant ces quelques jours, que pendant tout 
le reste de ma vie. 

Vous êtes sous l'influence du démon ! lui répomUt 
le prélat. 

Le conseiller se retira ; et comme il ne sera plus 
question de lui dans cette histoire, ajoutons que cette 
circonstance le porta à sonder les Ecritures, mieux 
encore qu'il ne l'avait déjà fait, et qu'un an après il 



— 103 — 

se rendit à Genève, ou il embrassa le protestantisme. 
U a)nfe$8ioil de foi des Eglises iraudoises n'eùl-eUe 
produit que ce seul résultat, c'est un assez grand bien 
que la conversion et le salut d'une âme immortelle, 
pour qu'on doive s'en applaudir , mâme au prix du 
loalheur* 

Cependant peu de jours après que Tévèqueeut ren- 
voyé ce consciencieux théologien , il le remplaça à 
Gavaillon par un docteur en Sorbonne, venu récem- 
ment de PariSt 

C'est avec lui que le prélat revint à Mérindol. Ils 
rencontrent des enfants dans la rue, et Tévéque leur 
donne quelques pièces de monnaie en leur recom- 
mandant d'apprendre le Pater et le Credo. 

Nous les savons, répondent les en&nts. — En la- 
tin? — Oui , mais nous ne pourrions les expliquer 
qu'en français«*M}u'est*il besoin de tant de science? 
Je connais bien des docteurs qui seraient embarrassés 
d'en donner l'explication. 

— Et de quoi servirait-il de les connaître , si Ton 
ignorait ce que les paroles signifient? reprit André 
Haynard, qui venait d'amver auj^ès d'eux. 

-*-Et le savez*vous vous-même? repartit le prélat. 

— Je me croirais bien malheureux de l'ignorer! 



— 104 — 

Et il ea expliqua une partie. 

'—Je n'aurais pas cru, reprit l'homme d'Bglise, avec 
un juron de sacristie, qu'il y eut autant de docteurs 
àMérindol. 

— Le moindre d'entre nous, vous en dirait autant 
que moi, reprit le bailli ; interrogez seulement un de 
ces enfants, et vous verrez. — Mais comme l'évèque 
gardait le silence : — Si vous le permettez, l'un d'entre 
eux interrogera lui-même les autres; — et ils le firent 
avec tant de facilité et de grâce, que chacun en était 
émerveillé. 

Uévéque renvoyant alors tous les étrangers, dit aux 
Vaudois : Je savais bien qu'il n'y avait pas autant de 
mal parmi vous que l'on pensait; mais toutefois, pour 
calmer les esprits, il est nécessaire de vous soumettre 
à une certaine apparence d'abjuration. 

— Que voulez-vous que nous abjurions, si nous som* 
mes dans la vérité? 

— Ce n'est qu'une simple formalité que je vous de- 
mande. Je n'exige de vous ni notaire , ni signature. 
Que le bailli et le syndic fassent seulement ici, en se- 
cret et en votre nom, une al^uration aussi vague qu'il 
eur conviendra, et je ferai cesser toutes poursuites. 

Les Vaudois, à leur tour , gard^ent le silence. 



— ^05 — 

— Qii'est-ce qui vous relient? ajouta Tévéque, afin 
de les y décider; si vous ne voulez pas convenir de 
cette abjuration, nul ne pourra vous en convaincre, 
ni par acte, ni par signature. 

Mais l'âme intègre et droite de ces simples monta- 
gnards ne pouvait entrer dans ces détours des con- 
sciences papistes. — Nous sommes francs et sincères^ 
Monseigneur, et nous ne voulons rien faire dont nous 
ne puissions convenir. 

Ah ! les réserves et les dissimulations prudentes de 
la sagesse humaine ne paraissent-elles pas bien misé* 
raMes auprès de ce généreux aveuglement de la droi- 
ture et de la vérité? Car si les Vaudois avaient voulu 
dire seulement : « nous abjurons nos erreurs» , en ap- 
pliquant cette expression à toute autre chose qu'à leurs 
doctrines, peut-être qu'ils eussent été sauvés! Mais le 
jésuitisme n'est pas d'origine vaudoise. L'évëque se 
retira. 

Le 4 avril 1542, il revient avec un greffier du tribu- 
nal et un commissaire du parlement. 

Les habitants de Mérindol sont de nouveau convo- 
qués; on leur lit les pièces qui les concernent; quel- 
ques observations sont échangées entre le bailli et le 
greffier; mais le commissaire, impatienté, leur 



— 106 — 

impose silence et dit aux Vaudois de conclure. 

— Nous concluons à ce qu'on nous démontre nos 
erreurs. 

Le commissaire dit à Tévéque de le flaire. 

L'évéque répond que le bruit public est une charge 
suffisante contre les hérétiques. 

— Et n'est-ce pas pour reconnaître si ces bruits sont 
fondés que l'enquête a été ordonnée? fit observer 
Maynard, au nom des Vaudois. 

L'évéque, assez embarrassé , dit alors à un moine 
prêcheur, qu'il avait avec lui, de leur faire un sermon. 

Le moine prononce un long discours en latin^ et 
chacun se retire. Mais la commission n'ayant pas 
donné suite à cette enquête, une année se passe en- 
core, pour les Vaudois, dans une sorte de tranqidllité. 
Bien plus, les habitants de Cabrières du Cantal (car 
il y a aussi Cabrières d'Aiguës) , ayant été attaqués 
par une bande de maraudeurs, dont faisaient partie 
quelques soldats d'Avignon, adressèrent leurs plain- 
tes à François Pr. Le monarque enfin^ éclairé sur les 
intrigues de leurs ennemis , signe spontanément , le 
14 juin 1544, un édit par lequel il suspend toutes les 
procédures commencées contre les Vaudois, ordonne 
qu'ils soient rétablis dans tous leurs privilèges, qu'on 



— 107 — 

élargisse leurs prisonniers; « et comme le procureur 
général de Provence^ dit-il en terminant, est parent 
de l'archevêque d'Aix, leur ennemi juré, on mandera 
un conseiller de la cour, en sa place, pour m'infor- 
mer de leur innocence. » îl semblerait que tout dût 
être fini là; et sur le point de toucher à un dénoue- 
ment paisible dans ce drame si agité, on est plus loin 
que jamais de pressentir la catastrophe terrible qui va 
le terminer. 

La cour d'Aix, avant de rendre puMique la lettre de 
Françrâs P', envoya à Paris Fun des huissiers, nommé 
Courtin, pour essayer d'en obtenir la révocation. Une 
somme de soixante livres lui fut allouée pour ce 
voyage. Il était recommandé au cardinal de Toumon 
et au procureur du roi près le conseil privé. C'est an 
sein de ce conseil que les lettres de révocation furent 
présentées à la signature du monarque , le i^ jan- 
vier 1545. François i*' les signa sans les lire; plus 
tard il s'en repentit, et l'on rechercha par qui ces let- 
tres avaient été rédigées, ainsi que par quelles mains 
elles lui avaient été remises. Le procureur du roi près 
le conseil privé se nommait Jean Lederc. 

— Est-ce vous, lui dit-on, qui avez signé cette 
pièce? 



— 408 — 

— Je n'en ai aucune souvenance. 

On ouvre le sceau : point de signature. La cooi- 
mission d'enquête fait venir le substitut de Leclerc, 
nommé Guillaume Potel. 

— Est-ce vous qui avez dressé cette écriturel 

— Oui, mais je ne Tai pas signée. 

— Qui vous Ta &it écrire? 

— C'est M. Courtin, huissier du parlement de Pro- 
vence. 

—Pourquoi Ae Tavez-vous pas signée t 

— Parce qu'il manquait au dossier des pièces à 
l'appui. 

— Par qui ces lettres de révoeaticm y subreptice- 
ment obtenues et illégalement dressées^ on^-elles été 
introduites au conseil privé? 

— Par M. le cardinal de Toumon* 

Ce dernier est appelé .-^}ui a remis ces documents 
à votre Eminence? 

— L'huissier de la cx)ur d'Aix, envoyé par le pr4* 
sident d'Oppède (ce dernier avait remplacé Chassanée 
en 1543). 

— Qui a dû les présenter à la signature de Sa M a^ 
jesté? 

— Le grand chancelier. 



— 409 — 

— On fait venir ce dignitaire; les lettres de révo- 
cation sont mises sous ses yeux. On lui demande s'il 
les a eues entre les mains. — Oui; mais comme elles 
ne me paraissaient pas régulières, je n'ai pas cru 
devoir les présenter à la signature du roi. 

— Alors qui les a présentées ? 

— Celui qui les a contresignées. 

On regarde : c'était le ministre de l'Aubespine. Il 
est mandé devant la commission , et reconnaît sa si- 
gnature ; mais il dit que la pièce n'a pas été écrite 
dans ses bureaux. Aucun de ses employés ne s'en 
souvient non plus. La main cachée du clergé n'avait 
laissé aucune trace de la route tortueuse que ces let- 
tres avaient suivie. 

En outre, dit l'avocat général, en 1550, le sceau en 
est de cire blanche, et le contre-scel vert, ce qui est 
chose inusitée. 

Il est donc hors de doute que ces lettres avaient été 
déloyalement fabriquées, et présentées par surprise à 
la signature du roi. 

Voyons maintenant ce qu'elles renfermaient. 

a Considérant, y est-il dit , que les hérétiques de 

Luzerne viennent s'établir en Provence et y prêcher, 

que les Vaudois manifestent publiquement leur héré- 

4 



— 140 — 

sie, qu'ils troublent le pays... etc., la cour de Pro- 
vence devra exécuter Tarrét du i8 novembre 1540, 
nonobstant toutes les lettres de grâce postérieures à 
cette époque; et ordonnons au gouverneur de la pro- 
vince de donner pour cela main forte à la justice. » 
Quelle justice, mon Dieu ! que celle de Tiruquilé 1 Et 
ce qui rend cette affaire plus ténébreuse encore, c'est 
que le conseil pcivé, à supposer que ces pièces eussent 
suivi une marcbe régulière pour arriver jusqu'à lui, 
n'avait pas le droit de statuer, contrairement au& let» 
très de grâce et d'évocation , qui avaient été données 
par le monjjrque lui-même. — Une contravention non 
moins grave et bien plus déplorable fot encore Gomr 
mise, en ce que l'arrêt du i8 novembre 1540 nke por* 
tait la condamnation que d!un petit nombre des ha- 
bitants de Mérindol : tandis que, sous prétexte d'exé- 
cuter cet arrêt , on étendit le massacre et l'incendie 
sur une population tout entière , répandue dans dix- 
sept villages, qui furent tous détruits et ravagés. 

A peine cet ordre sanguinaire a-t-il été obtenu, que 
Courtin l'envoie à d'Oppède, par un courrier exprès. 
Ce courrier arrive à Aix Le 13 février 1545. Aussitôt la 
cour d'Aix écrit à Ck)urtin pour lui témoigner toute 
sa satisfaction, à M. de Grignan, gouverneur de Pro- 



— 111' — 

venee , pour loi commander d'avoir des troupes dis- 
ponibles, et au eardinal de Toumon, pour le féliciter 
du triomphe qu'il venait d'obtenir. 

Ici encore eut lieu une nouvelle infraction aux for- 
mes judiciaire)?. LesVaudois, qui se fiaient sur l'es dis- 
positions suspenâves rendues par Tordchnance du 
14 juin 1544, eussent dfû recevoir une notification 
immédiate de ces nouvelles pièces, qui donnaient 
suite à F arrêt primitif. Pas du tout: on lecteur cache 
avec soin ; em réunit des troupes» en silence; on pran 
fite de la sécurité des Mbîftaitts pour préparer lem 
mert. On ne veut pas qa'ils aient ïe^ temps d'adresser 
an sowerMi, une réclamation qui découvrirait la sii- 
perdierie dont il a été dupe et dont ils seront victimes. 
On attend qu'im c^aih eiqpiUiiae Ponln», baron de 
laGarde^ qui éCaitaiors en Piémont, et qui devait bientôt 
conduire de vièiltesr troupes en^ Roussillon, passe par 
la Provence pour les utiliser. 

Il arrive le^d^avrit. Du 7 au 11 , on &it tous les. 
{Nréparatifs nécessabes pour exécuter cette sentence 
rétroactive, qui n'avait pas nvême été notifiée à ceux 
qu'eQe concernait. Le lendemain, 12 d'avril, était un 
dimanche ; malgré cela, k cour se réumt sur la con^ 
voca^n deMénieré'Oppèide. L'avooatdu ro&se mxn- 



mait Giiériu ; il réclame solennellement rexécution 
de Tarrét, auquel ces lettres de révocation étaient 
censées avoir rendu toute sa force. 

La cour fait droit à sa demande , nomme des com- 
missaires, et requiert d'Oppède , comme lieutenant 
du roi , en l'absence du gouverneur, de prêter main 
forte à la justice. Quelle odieuse comédie ! Immé- 
diatement après, d'Oppède écrit au viguier d'Âpt de 
prendre les armes et de s'emparer de tous les héré- 
tiques d'alentour; puis il fait partir ses commissaires 
qui, le soir même, se rendent à Pertuis. 

En même temps, on ordonne aux habitants de Lour- 
marin de préparer une étape pour mille fantassins et 
trois cents chevaux. Les habitants répondent en pre- 
nant les armes. On renouvelle la sommation; ils de- 
mandent pour y réfléchir un délai de douze heures. 
— Des sujets ne capitulent pas avec leur prince ! leur 
est-il l*épondu. — La châtelaine de Lourmarin, nom- 
mée Blanche de Lévis, vient elle-même intercéder 
pour eux. On ne l'écoute pas. Alors, tout en larmes, 
elle se rend sur la place du village, au milieu des ha- 
bitants, et les conjure de poser les armes, pour ne 
pas s'exposer à une perte, certaine. — Notre perte n'en 
serttjqueplus prompte, répondent-ils. — Mais au moins 



— 413 — 

faites une requête. — Eh bien, qu'on nous laisse sor- 
tir du pays, et nous abandonnerons nos biens à ceux 
qui les veulent par notre mort. 

La pauvre châtelaine ne pouvait rien à cet égard. 
La dame de Gental écrit aussi à d'Oppède pour le prier 
d'épargner ses vassaux. Mais déjà le capitaine Yau- 
juine venait d'arriver à Cadenet. Les troupes répan- 
dues dans la campagne commençaient de piller et 
d'incendier. La première colonne, dirigée par d'Op- 
pède, marchait sur Lourmarin. La seconde, con- 
duite par le baron de la Garde, marchait sur la Motte 
et Gabrière d'Aiguës ; la troisième, sous les ordres de 
Vaujuine et de Redortier, se dirigeait vers Mérindol 
et Cabrières du Comtat (1). 

D'Oppède , sur son passage, commença de mettre 
le feu aux maisons de la Roque, de Ville-Laure et de 
Trezemines, qui avaient été abandonnées par les 
Vaudois; il en fait autant à Lourmarin, où cent qua- 
torze maisons furent détruites par les flammes. Puis 
il ordonna aux officiers et aux consuls d'Âpt de réunir 
le plus de monde possible à Roussillon et d'aller y at- 
tendre ses ordres. 

(i) D'après le prooès-yerbal de PèipédiUon , dressé par Brissons , gref- 
fier criminel de la cour d'Aix , qui avait été adjoint à ces commissaires 
pour cet objet. 



— 444 — 

Le 18 d'avril , les troupes réunies de Meoier , de 
Vaujuine, de Redortier et de FVMilain parurei^ devant 
Mérindol. Les habitants Ven étaient retirés; mais iin 
jeune honune attardé dans les champs fut saisi par 
les pillards. se nommait Maurice Blanc» On l'atta- 
cha à un olivier, et les soldats se faisant une cible de 
son corps, semblèrent vouloir Insulter à -son agonie 
en déchargeant de loin leurs armes contre lui. U eK- 
pîra percé de cinq coups d'arquebuse. 

C'était le nombre des plaies que son Sauveur avait 
reçues isur la croix. Le jeune martyr ds Mémé/A lui 
remit son âme en «'écriant aussi : Seigneur, reçois 
mon esprit entre tes mains ! 

Puis on incendia le village, qui fut lout entier codo- 
sumé. Quelques femmes, dit un témoin, ajaoJt été sur- 
prises dans l'église , on les dépouilla de leurs vête- 
ments, et les faisant tenir par les mains, comme poor 
une danse, les barbares les forcèrent k grands ooups 
de dagues et de piques, de faire le tour du château, au 
miUeu des éclats de rire et des outrages dont elles 
étaient T'objet Après cela, oomme elles étaient dqà 
toutes sanglantes, on les précipita les unes après les 
autres, du haut des rochers où le château était bâti. 

Beaucoup d'autres furent prises ailleurs ^ vendues. 



Un père dut aller racheter sa fille jusqu'à Marseille. 
Une jeune mère qui se sauvait à travers les Mes avec 
son enfant dans ses bras, fut atteinte et violentée par 
ces soklais, oa phitâtpar ces brutes, sans qu'elle ces- 
sât de tenir son nourrisson pressé sur sa poitrine. 

Une vieille femme, que son âge mettait à Tabri de 
pareilles violences, devint entre leurs mains un objet 
d'insulte à l'humanité et à leur propre religion. Ils 
lui firent une tonsure en forme de ctfÀx^ et l'ayant 
couveiite de qœlques pipeaux , ils la menèrent par 
les mes , en chantant avec dérision comme foot ks 
prêtres. Cela se passait à Lauris, sur la route de Ca- 
farières à Avignon. 

Le cortège arriva devant un four prêt à cuire du 
pain , et les soldats poussant leur victime avec leurs 
armes , ils lui dirent : Entre là , vieille damnée ! La 
pauvre femme allait y entrer sans résistaooe, tant elle 
avait été tourmei^e, lorsque ceux qui avaient allumé 
le four s'opposèrent à ce qu'on l'y jetât. 

Au milieu de ces brutalités mille fois reproduites, 
sous les formes les plus diverses et les plus révoltantes, 
l'armée parvint à Gabrièises. C'était une viUe fortifiée, 
située sur les terres du pape. Les troupes du roi 
n'eussent pu y toucher sans Tasseatiment du pon- 



— 446 — 

« 

tife. Mais le vice-légat Mormoiron s'était empressé de 
remettre à d'Oppède, les pouvoirs les plus étendus , 
pour cette expédition. 

On y arriva le 49 d'avril; c'était encore un di- 
manche. 

Les murailles furent battues en brèche du matin 
usqu'au soir. Digne sanctification de ce jour du Sei- 
gneur! 

Les Vaudois qui s'y étaient renfermés priaient et ne 
fléchissaient pas. L'attaque se poursuivit inutilement 
pendant toute la nuit. 

Le lundi matin , d'Oppède fait cesser le feu. 

Il écrit de sa propre main aux Vaudois , que s'ils 
veulent ouvrir les portes de leur ville ^ il ne leur sera 
fait aucun mal. Il savait probablement que d'après la 
décision du concile de Constance, on n'est pas obligé 
de tenir parole aux hérétiques. 

Les Vaudois , moins experts dans la science ca* 
nonique qui enseigne le parjure, que dans la con- 
naissance de la Bible qui recommande la sincérité, 
s'en rapportent à la parole du roi, du président de 
la cour d'Aix, et ils lui ouvrent les portes de Cabriè- 
res. Les premières troupes qui y pénètrent sont les 
vieilles bandes du baron de la Garde, venues du Pié* 



— 117 — 

mont, aguf^mes contre tous les dangers : c'étaient elles 
qui devaient commence le carnage; mais connais- 
sant la capitulation stipulée , les soldats prétendirent 
qu'il était de leur honneur de s'opposer à ce que 
nul ne la transgressât. 

Les commissaires de la cour d'Aix et du vice-l^at 
entrèrent en discussion là-dessus. 

Pendant ce temps, Ménier d'Oppède fait appeler 
les principaux de la ville, qui arrivent sans défiance. 
Ils étaient dix-huit. On leur lie les mains, et on les 
taà passer au milieu des troupes. Il» pensaient n'être 
là que comme otages, pour garantir la tranquillité du 
reste de la population. Mais au moment où ils tra* 
versaient les rangs des troupes provençales , dirigées 
par d'Oppède , le gendre de ce dernier, nommé de 
Fourrières, donna de son coutelas sur la tète chauve 
d'un vieillard dont la démarche tremblante l'avait ef- 
fleuré en passant. 

Tuez tout! s'écria d'Oppède, en le voyant tomber. 

A l'instant, on se précipite sur eux: ces troupes lâ- 
ches et fanatiques en font une boucherie. Ils étaient 
déjà morts que le même de Fourrières et \e sire de 
Faulcon allaient encore de çà et de là mutilant les 

cadavres. 

4* 



— 118 — 

Puis, ou porta sur des piques, les têtes coupées de 
ces mftlheureux. Les soldats s'excitèrent; le signal du 
massacre avait été donné. Des femmes renfermées 
dans une grange à laquelle on mit le feu , cherchè- 
rent à se sauver, en s'élançant de dessus les murailles. 

Elles étaient reçues sur la pointe des pertuisanes et 
des épées. 

D'autres s'étaient retirées dans le château. — A 
mort! à sang! s'écrie d'Oppède, et il montre à ses 
troupes le chemin de leur asile. 

Mais comment pourrai-je décrire la scène la plus 
horrible et la plus sacrilège qui eut Heu dans l'église ! 
C'est là que le plus grand nombre des femmes et des 
jeunes filles du village s'étaient réfugiées. On s'y pré- 
cipite, on les dépouille, on les outrage de la manière 
la plus scandaleuse ; les unes sont jetées du haut du 
clocher en bas , d'autres enlevées pour en abuser en- 
core. On vit des femmes enceintes, éventrées, laisser 
sortir leur Iruit sanglant de leurs entrailles. Des corps 
mutilés et respirant encore jonchaient le parvis. L'a- 
vocat Guérin, qui y était, s'exprime ainsi dans sa dé- 
position : « Je pense avoir vu occire dans cette église 
quatre ou cinq cents pauvres âmes de femmes et d'en- 
fants. » 



— 119 — 

Les prisonniers qui ne furent pas mis à mort par 
Tordre du président , furent vendus par les soldats 
aux recruteurs des galères royales. Seul , le vice-lé- 
gat ne voulait pas soufirir qu'on fit aucun quartier. 
Tel était Tesprit du papisme, dans ses représentants 
les plus élevés. C'est ce légat qui, ayant appris que 
vingt-cinq personnes, la plupart mères de famille, 
étaient cachées dans une grotte du côté de Mys, qui 
cependant ne se trouvait plus sur les terres papales, 
y fit marcher des soldats pour les exterminer. 

Arrivé devant rentrée de la grotte, il ordonne des 
décharges de mousqueterie , mais personne ne sort. 
Alors, faisant allumer un grand feu dans cet antre, 
toutes ces créatures vivantes périrent étouffées. Cinq 
ans après, leurs ossements desséchés s'y voyaient 
encore, comme cela fut vérifié par les enquêtes dont 
nous allons parler. Les résultats généraux que nous 
pouvons consigner ici sont que , dans cette exter- 
mination , il y eut sept cent soixante-trois maisons 
habitées, quatre-vingt-neuf étables et trente et une 
granges d'incendiées. Quand au nombre des morts, 
on n'a pu le savoir avec précision, mais on l'estime à 
plus de trois mille. 

Etant encore à Gabrières, d'Oppède reçut un mes- 



— 120 — 

sage du seigneur de La Goste, qui le priait d'épargner 
ses sujets. C'était le hindi soir. — Qu'ils fassent qua- 
tre brèches à leurs murailles, répond d'Oppède , et 
ensuite nous verrons. 

Le mardi matin ces brèches étaient commencées. 
Deux oiBciers arrivent avec quelques soldats. Le -sei- 
gnenr de La Coste leur offre une coilatioa devant la 
porte du diftteau. Deux domestiques la servaiei^. Les 
militaires s'attablent, et pendant qu'ils mangent ar- 
rive, à grand bniit de tamboors et de trompettes, le 
gros des troupes de Ménier d'Oppède , mavdiant 
comme à un assaut. 

Les habitants du village s'effraient, ferment les por- 
tes et interrompent les brèches commencées Alors les 
troupes se r^andent dans tes jardins du dièteau , si- 
tués hors des murs de la ville , «rachent les plantes , 
coupent les arbres fruitiers, brûlent les treillages, i^, 
dans ces parterres bouleversés comme des ruines, en- 
traînent leurs prisonniers qu'ils maltraitait cnielle- 
ment. Au dedans , les soldats qui avaient été intro- 
duits dans la ville tuèrent les deux domestiques qai 
les servaient. 

Le lendemain, mercredi 22 d'avril, d'Oppède écrit 
aux syndics de La Coste pour les engager à faire ou-* 



vrir les portes de la ville, leur promettant justice et 
protection. Les portes sont ouvertes; à l'instant cette 
soldatesque furieuse se précipite dans les rues , ren- 
verse, pille, viole, massacre, incendie dans toutes les 
directions. 

Une petite garenne s'étendait derrière le château; 
ces soldats y entraînent les captives qu'ils venaient 
de saisir, pour leur Ôter l'honneur, avant de 
leur donner la mort. Les mères cherchaient à dé» 
fendre leurs filles, à les disputer à ces brutalités. 
L'une d'elles, voyant l'impuissance de ses efforts, se 
perça le sein d'un couteau et le tendit tout sanglant à 
son enfant pour qu*elle eût à s'en frapper aussi. Ah, 
s'écrie Tavocat du roi, qui plaida dans l'évocation de 
cette affaire devant la cour des pairs, je suis vaincu 
par tant d'horreurs ! Epargnez-moi les malheureux qui 
se précipitent du haut des murailles, ou s'étranglent 
aux arbres, ou se percent le sein; les victimes fou- 
lées aux pieds, errantes, mortes de faim, déchirées 
par les corbeaux, ou saisies, tuées,, vendues, jetées 
aux galères (1). 

(1) Virot et morte peremptos 

Indiffna : raptaeque , toltUo crine, pud-la$; 

Et kUê miseris subjecla incendia vici»^ 
Le chancelier Michel de l'Hôpital. EpisL ad Franc. OMcaHim... de 
causa Jfmtulotu... etc. 



— 122 — 

Le bétail même de ces pauvres gens périssait sans 
abri ; car il était défendu de donner asile aux Vau- 
dois et à tout ce qui leur avait appartenu. Une pauvre 
femme près d'expirer d'inanition demandait un mor^ 
ceau de pain à la porte d'une grange. — H y a défense, 
lui dit-on. — Si les hommes vous le défendent, Dieu 
vous le commande ! s'écria-t-elle. Mais ce cri ne la 
sauva pas; et TEglise romaine put compter un triom- 
phe de plus. 

Que faisaient cependant ceux d'entre ces infor- 
tunés Yaudois, qui étaient parvenus à se sous- 
traire à la mort? Réunis sur les croupes sauvages du 
Leberon, ils priaient Dieu d'éclairer leurs ennemis, et 
lui demandaient les forces nécessaires pour ne pas se 
laisser aller à l'abandon de leur foi ou à des actions 
coupables par suite de la misère et du malheur. 

Cependant ils n'étaient pas au bout : car après les 
troupes réglées vinrent les maraudeurs. 

Les habitants de la bastide des Jourdains parcouru- 
rent le pays, enseignes déployées, et rentrèrent chez 
eux avec des mulets chargés de butin. 

Ceux de Puypin dévalisèrent leurs propres égUses, 
espérant mettre ces larcins sur le compte des Vau- 
dpis. Ceux de Mont-Faron tuèrent ou vendirent di- 



— 423 — 

vers enfants égarés dont ils parvinrent à s'emparer. 
Ceux de Garambois égorgèrent un vieillard dans une 
citerne. Enfin ce n'était partout que violence , pil- 
lage ou mort. La ferme du Cantal , qui était alors la 
plus belle de la Provence, fut brûlée. 

La dame de ce lieu, comme tutrice de son fils dont 
les terres avaient été ravagées, adressa une plainte 
au roi. Cette plainte fut portée devant le second tri- 
bunal du royaume, nommé la chambre de la reine. 
L.es promoteurs de ces ravages furent cités à compa- 
raître devant lui; mais ils refusèrent en se retran- 
chant derrière les arrêts en vertu desquels ils préten- 
daient avoir agi. Il fallut remonter à l'examen de ces 
arrêts eux-mêmes ; mais pour cela, la chambre de la 
reine n'était plus compétente ; et la cause fut portée 
devant le tribunal suprême du royaume, qu'on appe- 
lait la chambre du roi, et qui fut plus tard la cour des 
pairs. C'est ainsi que l'examen de toutes ces iniquités 
et de ces actes barbares a été poursuivi par des en- 
quêtes judiciaires, qui les ont mis en lumière, quoique 
leur enchaînement soit demeuré fort obscur pour ceux 
qui ne les ont pas consultées. 

Cette cause fut plaidée en septembre 1551 , sous le 



— 124 — 

règne de Henri II , qui tenait à laver la mémoire de 
son père, de cette tache de sang. 

Cependant les plus grands coupables ne furent pas 
punis. L'avocat Guérin seul , fut condamné à mort , et 
d'Oppède s'en reviat triomphant en Provence. 

Mais on peut juger de toutes les intrigues que le 
clergé dut mettre en œuvre pour le sauver, puisqu'à 
la nouvelle de son acquittement , des cantiques d'ac- 
tions de grâce furent chantés dans les églises. 

On fit en Provence des prières publiques pour de- 
mander à Dieu la conservation et le prompt retour de 
cet illustre défenseur de la foi ! Et lui-même prit pour 
devise ces paroles dérisoires : a La vérité surmonte 
tout. » Cette maxime qui convient à Thistoire, le con- 
damne aujourd'hui. Son tribunal plus haut encore 
que celui de la cour des pairs , n'est pas accessible 
comme celuides hommes, aux influences corruptrices 
des puissants, qu'elle juge sur leur cercueil. 

Ceux d'entre les Vaudois qui n'avaient pas péri , se 
retirèrent dans les vallées du Piémont , et revinrent 
ensuite en Provence lorsque l'orage fut passé. 

La révocation de l'édit de Nantes abattit de nou- 
veau les temples qui s'étaient relevés sur les bords 
de kl Duranoe. 



— 425 — 

Sous le règne déplorable de Louis XV , les vexa- 
tions contre les protestants se perpétuèrent avec Thy- 
pocrisie de plus et la grandeur de moins. 

Aujourd'hui, le protestantisme a refleuri sur les 
pentes désolées du Leberon, mais rindifférence reli- 
gieuse y fait plus de ravage dans les âmes que n'en 
fit jadis la persécution. Les habitants de ces contrées 
connaissent à peine leur histoire. 

Puisse le souvenir de leurs ancêtres rappelés dans 
ces pages, les porter à leur ressembler! La Bible qui 
lésa faits si grands, même dans rinfortune, peut seule 
rendre le caractère vaudois à ces Eglises, qui ont ou- 
blié jusqu'à leur origine, et perdu jusqu'à la dignité 
du malheur. 



GHAPmiE VI. 
LES VAUDOfS EN CALABRE. 

(De 1400 à 1560.) 



Soumcn rr aotokitis. — Perrin, Gilles, Léger. MAc'Cmu, 0wl. dtff gro- 
grêi et de l'extinction de la réforme en TteHie au Jf/e S., trad. de l'an- 
|U«, Paris 1831, m-8o p. S90. — Msiua, 1m Fom^m* m CaJUbre auXIY» 
S. (Dans la Revue Suitee, t. II, p. 647-6M et 687-709. — Thomam Costa : 
Sêêmâa parte M eampenéio deff ttlsrift di ITcpoli, p. 'SRT. -> À Pimn, 
Hittoria reformaliwie Eeetetiœ Rhetieœf t. II, p. 310, 310. — PisTixioif , 
Berum in eeeletiœ geetarum Metoriaf p. 337. — Gunicohs, Hitt, gén, du 
«sf. de Neipleâ, — Hocwmnr, !FheMtrum Àielêr, eto. Rorengo; Crcspîn, etc. 
(A rechercher : Archivée de Cotenza, de Naplee^ et de VInquitition à Borne,) 

Noos avons dit que les Vandois enrent aussi des 
Eglises en Calabre. Toici comment Ropengo raconte 
l'origine de cette émigration. 

Un jour, deux jeunes gens des rallées vaudolses 
se trouvaient à Turin, dans une hôtellerie où vint aussi 
loger nn seigneur calabrais. Les jeunes gens causaient 
de leurs affaires , et du désir qu'ils avaient d'aller 
s'établir hors de leur pays , où la culture de la terre 
commençait d'être insuffisante pour les besoins de la 
population . 



— 128 — 

L'étranger leur dit : Mes amis , si vous voulez venir 
avec moi, je vous donnerai de belles plaines, en' 
échange de vos rochers. 

Les jeunes Yaudois acceptèrent, sous ia réserve de 
l'assentiment qu'ils allaient demander à leurs familles, 
et dans l'espérance aussi qu'ifs ne seraient pas seuls à 
accepter cette offre, mais que d'autres de leurs com- 
patriotes les accompagneraient. 

Les habitants des vallées , ne voulurent prendre 
aucune détermination avant de connaître les lieux 
dans lesquels on leur proposait de s'établir. Hs en- 
voyèrent pour cela des commissaires en Calabre, ac^ 
compagnes des deux jeimes gens auxquels le seigneur 
du lieu avait offert des terres. 

« Dans ce pays, dit Gilles, il y avait de belles rives 
et collines , revêtues de toutes sortes d'arbres frui* 
tiers, pêle-mêle venus suivant leuy terroir, tels qu'oli- 
viers et orangers. Dans les plaines : vignes et châtai- 
gners; en costières: noyers, chênes, fayards et au- 
tres futaies^ aux pentes des montagnes et sur leurs 
crêtes, ainsi que dans les Alpes : mélèzes et sapins. 
Partout enfin se présentaient beaucoup de terres 
labourables et peu de laboureurs* » 

Les vallées vaudoises du Piémont, offraient en re- 



— 1Î9 — 

vanche plus de laboureurs que de champs ; elles 
étaient comme une ruche devenue trop étroite par 
suite de Taccroissement prospère de sa population. 

L'expatriation fut bientôt décidée; et voilà qu'un 
nouvel essaim de ces familles bénies et florissantes , 
s'apprête à transporter au loin ses habitudes labo^ 
rieuses et ses mœurs pures, tout empreintes de l'es- 
prit des premiers temps évangéliques. 

Les jeunes gens qui devaient partir se hâtèrent de 
se marier; les propriétaires vendirent leurs biens; 
chacun mit ordre à ses affaires. Ce devait être en l'an- 
née 1340 que cela se passait (1); jamais encore on 
n'avait vu un mouvement aussi général, une agitation 
de cœur ainsi répandue dans les familles , émouvoir 
ces paisibles vallées. 

Les fêtes d'alliances domestiques se mêlaient aux 
angoisses de la séparation. Plus d'un cortège de noces 
dut se changer en caravane d'exil. 

Mais ils pouvaient dire, conune les Hébreux, par- 
tant pour la terre promise : Le tabernacle de l'Eter- 
nel sera devant nos pas; car ils portaient avec eux la 



(1) Comparer, pour cette date, Perrio, p. 196,' et GiUef, p. 19, lignet 
10 et î«. 



— 130 — 

Bible héréditaire , l'Evangïie de consolation et de 
courage, cette arche sainte de la nouvelle alliance et 
de la paix du cœur. 

Cependant les vieillards, et surtout les pauvres 
mères, durent verser bien des larmes, ea voyant partir 
pour une terre inconnue cette jeunesse qui empor— 
tait avec elle toutes les espérances terrestres de. leurs 
derniers jours. 

Aussi toute la. famille vaudoise accompagnatt-elle , 
à son départ, les premiers pas de cette jeune colonie. 
Au pied de leurs montagnes , ils s'eoibrassaient e& 
pleurant, et priaient ensemble le Dieu de leurs pères 
de les bénir toujours, les uns et les autres, aux deux 
extrémités de Fltalie. 

Enfin les émigrants s'éloignèrent en sSenee de la 
terre natale,, et la plupart, pour n'y plus revenir. 

Ils mirent vingt-cinq jours pour se rendre en Ca^ 
labre. Ce ne fut pas sans de nombreuses iH^ivations et 
des regrets peut-être vers cette terre natale, d'autant 
plus chère qu'on s'en éloigne davantage. 

Mais ils amenaient une partie de le«v pays^avee 
eux, puisqu'ils n'étaient entourés que de compatriotes 
et d'objets connus; surtout, ils portaient dans leiu* 



cœur y cetle confiance en TEternel . qui vaut ^m 
qu'une patrie. 

Etant arrivés dans les lieux qu'ils devaient hidMter,. 
ils eonvmrent des conditions de leur établissement. 
Les seigneurs du lieu leur en aceoiNlèrent de très fa« 
vorabies. 

D'après ces conventions y les Yaudois. n'étaient te* 
nus qu'à payer une certaine redevance aux proprié- 
taires; et du reste, on leur laissait la faculté de diri- 
ger à lew gré les travaux agriccdes. On leur accordait 
le drcNt de se réunir en une ou plusieurs conunu» 
nautés indépenda»tes, de noouner leucs propres mar 
^trats, soil civils,, soit ecclésiastiques, et enfiade 
s'imposer des contributions et de les percevoir, sans 
être tenus d'en denaader l'autorisation , ni d'en ren- 
dre compte à qui que ce fût* Ge&conditioBa, de la 
scvte réglées y devinrent pour ainsi dir^b charte des 
Yaudois, dans ce nouveau pays. 

ËBes leur garantissaient une liberté fort étendue 
pour l'époque, et ce qui prouve qu'ils en coonaissaient 
taut le prix, c'est qu'ils firent dresser de ces condi- 
tions un acte authentique, qui {dus tard fut confirmé 
par le roi de Najdesv, Ferdinand d'Aragon. 

La première bouvgade fondée par ces nouveaux 



— 132 — 

colons, fut située près de la ville de Montalto; et 
comme les habitants avaient franchi , pour y venir , 
les montagnes qui les séparaient de la haute Italie , 
on nomma leur résidence Borgo doltramoniani, bourg 
d'outremont , ou bourg des ultramontains. 

Un demi-siècle après , ils bâtirent Saint-Xist , qui 
devint plus tard le chef-lieu de cette colonie. 

Dans rintervalle, et à la suite de ces deux fondations , 
s'élevèrent les hameaux de Vacarrisso, l'Ârgentiue, 
Saint-Vincent, les Rousses et Montolieu ; dénomina- 
tions qui n'étaient ptour la plupart que celles des 
lieux où ils s'établirent. Ces nombreux villages at- 
testaient la prospérité croissante de ce pays, autrefois 
presque inhabité. 

Et c'est un fait bien remarquable que Tinfluence 
dvilisatrice de l'Evangile , dont les bénédictions s'é- 
tendent sur les peuples en raison de la- pureté avec 
laquelle il est compris. Les Eglises vaudoises , si flo- 
rissantes au sein de ce pays rempli de superstitions 
et de misères, présentaient alors le môme contraste 
qu'on remarque encore de nos jours entre les pays 
protestants et les pays catholiques. 

Qu'on en- tire telle conséquence que l'on voudra : 
il est incontestable que le Brésil, où règne l'Eglise ro- 



— 133 — 

maille^ est biea inférieur en lumières , en moralilé et 
en bien-être, aux Etato-Unis de l'Amérique du Nord, 
ou le protestantisme a jeté tant de liberté et de vie. 

Quelle différence, en Enrope, entre l'Eapagne des 
inquisiteurs et T Allemagne de la réformation ; entre 
ririande catholique et l'Ecosse protestante l La France 
elle-même ne s'est améliorée qu'à mesure que le 
cathoticîsme s'y est amoindri. Et sous le ciel de l'Ita- 
lie, dan» ces terres fertiles de la Calabre, les Vandois 
laborieux et unis faisaient éclater alors ce saisissant 
contraste pour la première fois. 

Jouissant en paix des privilèges qu'ils avaient ob- 
tenus, fidèles à payer leurs impôts et leurs dîmes , se 
suffisant du reste à eux-mêmes dans le cercle restreint 
de leurs croyances et de leurs affections , il semblait 
que les destinées les plus heureuses dussent leur être 
réservées. 

Oui, Dieu les leur donnait, mais Rome les leur ôta. 

Le marquis de Spinello , fi*appé des améliorations 
qu'ils avaient introduites dans les domaines qui leur 
étaient confiés , les attira à son tour sur ses terres. 
II les autorisa à entourer de murailles la ville qu'ils y 
fonderaient. Cette ville fut pour cela appelée La Guar- 
dia^ comme devant présider à la garde de leur pays. 



— 134 — 

Vers la fin du quatorzième siècle, leurs frères de 
Provence étant persécutés, plusieurs d'entre eux re- 
tournèrent aux vallées d'où leurs pères étaient sortis; 
mais les trouvant trop peuplées pour qu'elles pussent 
recevoir de nouveaux habitants, et un certain nombre 
de ces derniers désirant même s'expatrier, ils for- 
mèrent tous ensemble une nouvelle émigration, qui 
descendit de nouveau l'Italie, et vint s'établir sur les 
frontières de la Fouille , non loin de leurs compa- 
triotes calabrais. 

Les villages qui durent leur origine à l'activité de 
ces nouveaux colons, étaient tous environnés de mu- 
railles, et furent appelés du même nom que ceux dont 
leurs habitants étaient sortis. Il y eut la CeUaie^ comme 
dans la vallée d'Angrogne; Faët^ comme dans celle 
de Saint-Martin; la Motte ^ comme au pied du Leberon, 
près de Gabrières d'Aiguës, en Provence. 

En 1500, il y eut encore des Vaudois qui sortirent 
de Freyssinières et de Pragela, pour aller s'établir en 
Calabre. Ils se fixèrent sur les bords de la petite ri- 
vière qu'on nomme Volturate, et qui coule des Apen- 
nins dans la mer de Tarente. 

Plus tard, dit Gilles , ils s'étendirent dans plusieurs 



— 135 — 

autres parties du royaume de Naples , et jusques en 
Sicile. 

On voit que ces colonies vaudoises étaient bénies 
dans leur prospérité; et non-seulement Tagriculture, 
mais les sciences y florissaient, car Barlaam de Cala- 
bre , dont Pétrarque fut le disciple , était lui-même , 
selon quelques écrivains, Tun des disciples des Vau- 
dois. 

Issus de toutes les parties des Alpes où ils avaient 
des frères, ils formaient entre eux , un résumé de la 
nation vaudoise tout entière. 

Aussi Ton conçoit qu'ils dussent se plaire dans ce 
pays , qui leur of&ait à chacun la réunion de toutes 
leurs patries. En outre , ils étaient fréquemment visi- 
tés par les pasteurs des Vallées. Le synode vaudois 
les renouvelait tous les deux ans. Chacun d'eux était 
accompagné d'un coopérateur plus jeune que lui; et 
après deux ans de séjour au sein de ces fraternelles 
Eglises, ils revenaient à TEglise-mère ; car le synode 
vaudois n'affectait pas le même champ de travail à 
toute la durée des services de ses pasteurs. 

Mais ils ne suivaient pas, dans leur retour aux Val- 
lées, le chemin qu'ils avaient suivi pour se rendre en 
Galabre. S'ils étaient descendus par la droite des A- 



— 136 — 

pennins, du côté deGènes et deNaples, ils remontaient 
par la gauche, sur les rives de T Adriatique. Ce chan- 
gement de route n'était pas sans objet (1); car dans 
presque toutes les villes de Tltaiie, à Gènes, à Venise, 
à Florence et à Rome m^e , ils avaient des frères , 
et une maison particulière pour se réunir. 

Ce û'est qu'après avdr accompli «e p^erinage 
évangélique, dont la dernière station était Milan, que 
les pasteurs missionnaires rentraient dans leur patrie. 
Ce devait être une occasion de grande joie chrétienne, 
pour ces pauvres âmes isolées, dcmt les secrètes sym- 
pathies s'attachaient avec tant d'impatience à la ve- 
nue de leurs pasteurs , lorsqu'à un signe convenu 
l'étranger qui frappait à leur porte , se faisait recon- 
naître pour le missionnaire des Alpes , que TEglise 
vaudoise leur envoyait tous les deux ans. 

Introduit avec empressement dans la demeure hos- 
{Mtali^ , où le souvenir vénéré des Barbas qui l'a- 
vaient précédé, se conservait comme un trésor de fa- 
mille, de génération en génération, cette demeure 
devenait la sienne, cette famille son troupeau : petit 
troupeau sans doute , mais qui avait le bon Berger. 

(1) Gilles, p. 90. 



— 437 — 

Le ministre fidèle portait ses titres dans l'Evangile , 
qui ne le quittait pas. 

On s'empressait autour de lui ; on le questionnait 
avidement sur les Eglises qu'il avait traversées , sur 
les firères qu'il avait visités , sur le Barba qu'on avait 
connu deux ans auparavant (1). 

Souvent les réponses étaient des nouvelles de deuil; 
puis on priait ensemble; on méditait les livres saints. 
L'homme de Dieu , étranger et voyageur sur la terre, 
recevait, sebn la coutume des anciens Vaudois et de 
la primitive Eglise, la confession évangélique de ces 
humbles fidèles, et les quittait ensuite pour aller 
chercher plus loin d'autres âmes cachées à consoler 
et à raffermir. 

Gilles rapporte que son grand-père, lors d'une vi- 
site qu'il fit à ceux de Venise , fut assuré par les fi- 
dèles qu'ils y étaient environ six mille (2). 

Mais tout progrès, quelque faible qu'il soit, en épu- 
rant le cœur, élève les pensées et développe l'intelli- 
gence. 

Nous l'avons vu par la distinction avec laquelle les 
Vaudois firent les premiers un usage prosodique de la 



(1) Meille, ReT. Sause, t. II, p. 053. 
(3) Gilles, p. ao. 



I*** 



— 138 — 

langue du temps : de oette belle langue romane , qui 
fut étouffée dans le sang des Albigeois, et avec la- 
quelle tout un avenir littéraire, toute une civilisation 
peut-être, a péri sans retour. 

En Galabre, il en fut de même; les lumières ai- 
tirent l'attention. Les Yaudois se distinguèrent ainsi 
dans une époque de ténèbres; et lorsque la réforaïa- 
tion eut éclaté, TEglise romaine, devenue plus atten- 
tive aux mouvements religieux, qui eux-mêmes de- 
venaient plus hardis, ne pouvait manquer d'ouvrir les 
yeux sur ces Eglises protestantes qui avaient pré- 
cédé le protestantisme, sur ces Eglises primitives qui 
avaient survécu aux temps apostoliques. Leur présence 
était sa condamnation. U fallait les anéantir. 

Déjà, à diverses reprises, dit Perrin (i),a la gent clé- 
ricale s'était plainte de ce que ces nltramontains ne 
vivaient pas en religion, comme les autres peuples ; 
mais les seigneurs retenaient les curés, en leur disant 
que ces cultivateurs étaient venus de terres lointaines 
et inconnues, où d'aventure les gens n'étaient pomt 
tant adonnés aux cérémonies de l'Eglise; mais qu'au 
principal ils étaient pleins de prud'homie , charita- 

(1) p. 197. 



— 139 — 

Ues envers las pauvres , exacts dans leurs loyers , et 
remplis de la crainte de Dieu; qu'ainsi il ne Calltit pas 
cpi'on les inqaiétftt en leur conscience, pour quelques 
processicms , images on luminaires qu'ils avaient de 
moins que les autres gens dm pays* » 

« Cela retint ceux qui leur portaient envie , et em- 
pêcha pour un temps les murmures de leur voisins , 
qui, ne les ayant pu attirer à leurs aOiances , étaient 
jaloux de voir leurs terres , bétails et travaux, bénis 
plus cpie les leurs. » 

Ainsi ils resterait en liberté, prospérant comme 
le peuple de Dieu, dans la terre de servitude. 

Les prèlres eux-mêmes, dit MeiUe, n'avaient jamais 
perçu d'aussi fortes dîmes que depuis que les Yaudois 
étaient venus fertiliser le pays. Les diasser, c'était se 
rendre pauvres, et ils se taisaient. 

Cependant, les feères de Calabre venaient d'ap- 
prendre que leurs compatriotes des vallées du Pié- 
mont, cédant aux conseils des réformateurs, avaient 
érigé des temples pour remplacer les maisons parti- 
culières, dans lesquelles on s'était réuni jusqu'alors ; 
et ils voulurent aussi manifester ouvertement leur exis- 
tence d'Eglise évangélique. e Mais te Barba, qui s'y 
trouvaU alois, homme d'âge et de circonspection, dit 



— uo — 

l'historien Gilles, dont il était le bisaïeul, leur repré- 
senta que ce zèle se devait louer , sans toutefois être 
porté à Textrême; car il fallait considérer si, dans leur 
position, ils pourraient agir aussi librement que leurs 
frères du val Luzerne, et faire cet éclat, sans s'expo- 
ser à la perte de leurs Eglises. » 

et Enfin, il leur conseilla de temporiser, et mêaie en 
secret, démettre oi*dre à leur affaires, afin qu'ils pus- 
sent se retirer à sauveté au moment du péril. » 

et Quelques-uns, ajoute le chroniqueur, suivirent ce 
conseil, et furent conservés; d'autres, qui l'approu- 
vaient, se mirent tardivement à le suivre, et plusieurs 
y laissèrent leur vie ; mais la plupart ne firent rien , 
soit qu'ils fussent trop attachés à ce pays pour avoir 
le courage de le quitter, soit qu'ils eussent assez de 
confiance en Dieu pour ne rien craindre. » 

Sur ces entrefaites, le Barba Etienne Négrin, de 
Bobi, dans la vallée de -Luzerne , vint remplacer en 
Galabre le vieux Barba Gilles, qui s'en retourna dans 
sa patrie. 

Mais les Calabrais voulurent avoir un pasteur à 
demeure, qui ne les quittât plus. Ils envoyèrent, pour 
cela, à Genève l'un des leurs, nommé Marc Uscegli, 
et familièrement Marquet, d'un de ces gracieux noms 



d'enfance, dont lliabîtiide se poarsoH plus tard. 

Il était diargé de solliciter, auprès de rËgKse îla- 
tienne qoî s'y tronrait alors , les moyens d'avoir en 
Calabre un ministre qni vint fésider an sein de ses 
compatriotes, et qui pût leur consacrer entièrement 
ses soins. 

Sa demande fut accueillie, et l'on désigna pour ce 
poste honorable, mais périlleux, un homme tout jeune 
enc(Mre; un Pfémontaûs aussi, qui avait quitté la car- 
rière des armes pour devenir soldat du C3irist, «t qui 
s'était préparé au mmistère évangéKque pnr des étu- 
des récemment terminées à Lausanne. 

Ce jeune homme se nonunait Jean Louis Faschal ; 
il était né è Ckmi , et deux jours avant q^'on eût fait 
choix de lui pour l'envoyer en Clalabre,îl s'était fiancé à 
Doe jeune compatriote, nommée Camilla Guarina, qui 
était née comme lui enPîémont, et comme lui s'était ré- 
fcgiéeà Genève, afin de suivre les voies de l'Evangile. 

Quand il lui eut fait connaître la vocation qu'il avait 
reçue et hii eut demandé la permission de la quitter 
pour se rendre en Calabre , la pauvre jeune fille ne 
put lui répondre que par des larmes. — Hélas ! s'écria- 

t-elle, si près de Rome, si loin de moi ! Mais elle 

était chrétienne : elle se résigna. 



— U2 — 

Paschal partit, accompagné d'Uscegli, d*un autre 
pasteur, et de deux maîtres d'école, également des- 
tinés aux Yaudois. Ce second pasteur se nommait Ja- 
cob Bovet; il était aussi du Piémont, et il souffrit le 
martyre à Messine, en 1560. 

Ces deux amis, fils de la même patrie, frères en la 
foi, en dévouement et en courage, ne devaient pas 
même se séparer dans la mort. 

A peine arrivé en Galabre, Paschal se mit à prêcher 
publiquement TEvangile, comme cela avait lieu à Ge- 
nève, comme le désiraient les Yaudois, comme son zèle 
enfin le portait à le faire. 

«Là-dessus., dit Crespin, il y eut grand bruit dans 
ces contrées, sur ce qu'un luthérien était venu, qui 

s 

gâtait tout par ses doctrines. 

« Les ignorants en murmuraient ; les fanatiques 
criaient qu'il le fallait exterminer avec tous ses adhé- 
rents. Les Yaudois seuls se pressaient autour de lui, 
en joyeuse affection de frères, toujours plus affamés 
de la parole de vie, qu'il leur multipliait comme le 
pain du Seigneur. 

«Là^'dessus, le marquis Salvator Spinello^ principal 
suzerain des Yaudois, qui pour lors se trouvait à Fos- 
calda, petite ville proche de la Guardii^ et de Saint- 



— U3 — 

Xist, envoya quérir quelqaes-uns d'entre leurs habi- 
tants, pour qu'ils eussent à s'expliquer. 

a Les Yaudois, ainsi mandés, prièrent le ministre 
Paschal de les accompagner , pour dire leurs raisons. » 
C'était au mois de juillet 4559. 

Marc Uscegli se joignit à eux , et lorsqu'ils furent 
arrivés à Foscalda, ils entrèrent dans une hôtellerie y 
avant de se rendre auprès du marquis. 

Là on ami secret de leurs doctrines , qui faisait 
partie de la maison même du seigneur^ vint deman- 
der à les entretenir. — Ecoutez, leur dit>-il, vous avez 
des ennemis puissants; la meilleure défense du faible 
est de les éviter; je vous conseille donc de repartir 
sans vous montrer. — Comment! s'écria Paschal, je 
reculerais sans me défendre, sans combattre pour la 
vérité , sans plaider pour ma chère Eglise l — On ne 
plaide que pour gagner sa cause , reprit le prudent 
conseiller; ici, elle ne peut se gagner que par le si- 
lence. — Ce ne serait pas être faible, mais lâche ! ré- 
pondit le jeune ministre débordant d'une sainte ardeur; 
le chrétien n'a pas à mesurer ses forces , mais à fwre 
son devoh». D'ailleurs, ajouta-t-il, le secours de Dieu 
ne peut manquer pour cette lutte ; où y a-t-il plus de 
force que dans sa parole? — Cette force est inutile 



— U4 — 

pour ceux qui fieTécouteat pas; prenez garde! on œ 
vous jugera point d'apcès la parole de Dieu, mais 
sur celle des^bcMnmes. — Qu*iaiporte? répondit le cou- 
rageux pasteur, l'honneur de défendre la parole de 
Dieu vaut mieux que celui de triompher des hommes. 
— Vous la défendsez mieux , en la préchant à vos 
Eglises qui la désirent, qu'ea l'exposant au mépri» de 
ceux qui veulent l'étouffer^ — Mais ce sont mes Egli- 
ses eUes-mémes à cgai l'on en demande compte , et 
leufl pasteur doit être là. 

D'ailleurs ;^ Paaebal se sentait si profondément con- 
vaiocU), ^ pénétréy si. fort de l'excellence de sa cause, 
qu'il ne désespérait pas de l'établir même dans les es- 
prits les plus prévenus. Une seule âme amenée c^q;)- 
tive aux pieds de la croix du Sauveur, vaut mieux pour 
le paaleuc que toxis les biens terrestres:. 

Le seeret émissaire, qui venait de lui donner cet 
avertissement de la sagesse humaine, se retira devant 
cette sainte Mie de la croix. 

Les Yaudois se présentèrent donc devant le mar- 
quis de Spinello , accompagnés de leur jeune et ar- 
dent défenseur. 

Mais il n'eut pas à coDSibattre„ conune il. s'y atten- 
dait, contre des erreurs sincères, dans un engage- 



— us — 

ment loyal, par des raisons et des paroles évangéli- 
ques. Ses ennemis ne cherchaient pas la vérité, mais 
le silence; ils ne voulaient pas détruire Terreur, mais 
les protestations dont elle était l'objet. 

Aussi le pauvre Paschal eut-il la douleur d'être à la 
fois privé des amis qu'il avait déjà, et des adversaires 
qu'il espérait trouver. 

Le marquis, après l'avoir entendu quelques in- 
stants, pendant que les Yaudois gardaient le silence, 
renvoya ces derniers, qu'il avait seuls assignés, et 
retint prisonniers Louis Paschal et Marc Uscégli, 
qui étaient venus pour les défendre. Ils restèrent pen- 
dant huit mois dans les prisons du Foscalda. Quelle 
tombe anticipée pour l'activité de l'esprit et la jeunesse 
da corps! Mais la tombe conduit au ciel les âmes ra- 
chetées, et des consolations célestes venaient y rani- 
mer les deux jeunes chrétiens. 

Après cette longue épreuve, ils furent conduits dans 
les prisons de Cosenza; là il paridt que Marc Uscégli 
fiit mis à la torture, comme on le voit par ces lignes 
d'une lettre de Paschal, écrite le 10 de mars 1560 : 
« Dieu m'a préservé seul de la torture. » Hélas ! c'é- 
tait pour le réserver au martyre. 

«Mon compagnon Marquet, dit-il ailleurs, était solli- 



5 



- 146 — 

cité p^r le comte d' Acillo de set ^é^\ve , e\ comfpe il 
lui mettait ei^ avant Faii^orité du n^pe ppur pardon- 
ner tout péché : « Sile pape^ ^W-A, avait le poflvoir 
de pardonner les péchés^ il e(it ét^ i^iitile que Jfésiis 
Ghiûst vînt mourir pour les péc^eur^. » 

Un Espagnol, qiii était présent^ ^'écria : Eh quoi! 
un manant qui ne sait ni lire ni écrira, y^nt se (aêler 
de disputer?— n ne s'agit pas d^ 4i^Mteip9 F^pnt )>u- 
ditpur du saint office qui s'y trouvai! aussi, mai$ de 
savoir si lu veux abjurer : Qui ou oou.-r-Nqn, l'épftQT 
dit Uscégli. — Eh bien , va-t-ep au diabk I repiqua 
Tauditeur, en faisant sur lui quatre signes de croi:^. 

A partir de ce moment, il n'est plus qiiestion du paq- 
vre Marquet; et les larmes viennent aux yeux en enten- 
dant ce diminutif enfantin désigner, au sortir des tor- 
tures , le jeuue homme que sa mère avait i^iusi api^elé m 
milieu des caresses dont elle avait comblé sou enfaace. 

Au mois d'avril, Paschal fut conduit de Cosenza à 
Naples, en compagnie de vingt-deux prisonniers casir 
damnés aux galères, et de trois compagnops qu'il ne 
nomme pas. 

ce Celui qui avait la charge de nous conduire, (Sl-il 
dans une lettre adressée à sa triste fiancée, me nùt 
des menottes si étroites que je ne pouvais reposer ni 



de jour ni de nuit. H fallut que je lui donnasse de l'ar- 
gent pour les ouvrir un peu ; et il ne me les ôta que 
lorsqu'il Ait parvenu à me soutirer tout ce que je 
possédais. Les galériens étaient attachés par le cou à 
une longue chaîne ; on ne leur donnait pour nourri- 
ture que des herbes sauvages , avec une tranche dç 
pain, et lorsque Tun d'eux tombait d*inanition ou de 
fatigue, on le forçait à se releverenle rouant de coups.» 
—Est-il possiUe que des hommes pécheurs tiiaitent 
ainsi leurs frères! Mais Tesprit despotique et irnpi*- 
toyable de Rome transformerait des frères en ba»r<- 
reaux. 

a Pendant la nuit, eontinue le prisonnier, les bétes 
étaient mieux traitées que nous, car au moins on leur 
donnait de la litière , tandis que nous, nous étions 
laissés sur la terre nue (i). » 

Ils mirent ainsi neuf jours pour arriver a Naples^ et 
dans la barque qui Ty porta, il ne cessa de prêcher et 
d'exhorter, en proclamant la plénitude et la nécessité 
du salut par Jésus-Christ. 

On voit que les menaces elles msuivais traitements 
ne rintimidaient pas. « 

(i) liCHre de Paachal, daas Crespin, fol. 5U. 



'— 118 — 

Paschal était entré à Gosenza ^ le 7 de février; il en 
était sorti le 14 d'avril. Il entra dans les prisons de 
Naples le 23 y et fut transféré dans celles de Rome j 
le 16 de mai 1560. Il y était arrivé, ayant les fers aux 
pieds et aux mains, lui, le fervent et onctueux disci- 
ple du Christ ! — Mais voyez combien le Christ a souf- 
fert de contradictions de la part des pécheurs, et sa- 
chez que Ton a ainsi persécuté les prophètes qui ont 
été avant vous. — Heureux sans doute! devait se dire 
le nouvel apôtre des gentils, emprisonné comme saint 
Paul et saint Pierre dans cette grande ville de Rome, 
qui n'a songé qu'à régner sur la terre : Heureux ceux 
qui sont persécutés pour la justice, car le royaume 
descieux esta eux (Matth. Y, 10). 

Il avait pénétré dans cette cité, par la porte d'Os- 
tie, la même par laquelle aussi avaient dû entrer les 
apôtres et les premiers martyrs. Quatorze siècles s'é- 
taient passés, et les mêmes scènes allaient s'y renou- 
veler encore au nom des idoles du papisme, plus san- 
guinaires que celles des gentils. 

Paschal fut enfermé dans la tour di Nona, où bien 
peu de personnes, dit Crespin, eurent la faculté de le 
voir. 

Déjà mort pour le monde, on n'a rien pu savoir des 



proceduresqtiiluifurent faites, sinon qu'il fut souvent 
interrogé et sollicité à se dédire , mais inutilement. 

Son frère, Barthélémy Paschal, qui n'avait abjuré 
ni le catholicisme romain, ni Tafifection fraternelle 
du cœur charnel, voulut tenter de le sauver, ou du 
Qooios de le revoir. Résolu à faire le voyage de Rome 
pour cela, il partit de Coni avec une recommandation 
du gouverneur de cette ville et une lettre du comte 
de la Trinité, » tristement célèbre dans les annales 
des vallées vaudoises, où nous le verrons bientôt di- 
riger une atroce persécution. 

Grâce à l'influence de ces puissants introducteurs, 
si bien accrédités près de la cour papale, et peut-être 
^Qssi parce qu'on espérait le voir déterminer sonfi*ère 
à une abjuration , Barthélémy Paschal obtint d'arri- 
ver au sombre et fétide cachot de Jean Louis. 

^ J'étais allé la veille, dit-il à sa famille, faire ma 
révérence au grand inquisiteur de la foi, le cardinal 
Alexandrini ; mais quand je lui parlai de mon frère, 
ilme répondit brusquement que cet hemme-là avait 
infesté beaucoup de pays, et que même dans la bar- 
que il n'avait fait que prêcher ses folies. — N'est-ce 
P^ le langage que les inquisiteurs païens tenaient ja- 
dis en parlant de saint Paul? 



— 490 — 

« J'allai ensuite parler aux juges qui rexamiuaieat : 
ils me dirent qu'il s'endurcissait de plus en plus, et 
que son affaire allait mal. Les ayant suppliés en sa fa- 
veur, ils répondirent que, pour tout autre crime^ si 
énorme fût-il, on pourrait lui faire grâce, mais que 
d'avoir attaqué l'Eglise, à moins qu'il ne se rétractât, 
on ne pourrait lui pardonner.» 

•*-* Est-ce donc là l'Eglise de celui qui pardonnait à 
ses bourreaux? — « Alors, poursuitJBiarthélemy Pas- 
chal, je retournai trouver le cardinal, et enfin il me 
fut accordé de visiter mon frère. 

a Grand Dieu ! s'écrie-t-il , c'était affreux de le voir 
dans l'obscurité de ces murailles humides, maigre, 
pâle, affaibli, la tête nue, les bras liés de petites cor- 
des qui lui entraient dans la chair, ayant la fièvre et 
n'ayant pas même de paille pour se coucher .jd 

— Faites du bien, même à vos ennemis! disaient 
Jésus et les apôtres. — 

a Mais, continue la lettre de Barthélémy, le voulant 
embrasser, je tombai par terre , et il me dit : Mon 
frère, pourquoi vous troublez-vous si fort? ne savez- 
vous pas qu'il ne tombe pas une feuille d'arbre sans 
la volonté de Dieu ? 

Le juge qui m'accompagnait lui imposa silence en 



' 



— 151 — 

disant: Tais-toi ^ hérétique !^Ct j'ajoutai :— ^ peut- 
il, mon firère^ que tu t'obstines à renier la foi catholi- 
que^ qui est tenue par tant d'autres? 

— Je tienscelle de l'Evangile, répondit-il. 

— Penses-tu donc, reprit le juge , que Dieu veuille 
damner tons ceux qui ne suivent pas la doctrine de 
Luther et de Calvin ? 

— Ce n'est pas à moi d'en juger; mais je sais qu'il 
condamnera ceux qui, ayant connu la vérité, ne l'au- 
ront pas professée. 

-—En pariant de vérité, tu sèmes des erreurs. 

— Montrez-le moi par l'Evangile. 

Mais le juge, au lieu de répondre à sa question, lui 
dit : Tu eusses bien mieux fait de demeurer en ta 
maison, de jouir de ton bien et de rester avec tes frè- 
res, que de te jeter dans Thérésie , pour perdre tout 
ce que tu avais. 

—Je n'ai rien à perdre sur la terre que je ne doive 
perdre tôt ou tard, et j'acquiers, pour le ciel, un bien 
que toutes les puissances de la terre ne pourront me 
ravir. 

N'est-ce pas là encore le langage des chrétiens pri- 
mitifs et celui des persécuteurs idolâtres, qui ne vi- 
vaient que pour les biens du monde? 



Pendant trois jours entiers, de nouveaux membres 
du saint ofBce s'entretinrent avec Paschal, plus de 
quatre heures chaque fois, dans Tespérance de l'ame- 
ner à une rétractation, et peut-être aussi de pouvoir 
dès lors le rendre à son frère; mais ils ne purent rien 
obtenir. — Alors, reprit Barthélémy, je le priai de 
fléchir un peu et de ne pas faire à sa famille le dés- 
honneur d'une condamnation. 

— Dois-je moins honorer mon Sauveur , pour lui 
être parjure? 

— Tu l'honoreras dans ton cœur, quoique tu restes 
dans l'Eglise. 

— Si j'ai honte de lui sur la terre, il me reniera dans 
le ciel. 

— Ah! mon cher frère, reviens au sein de ta famille; 
nous serions tous si heureux de te posséder. 

— Plût à Dieu que nous fussions réunis dans le sein 
du Sauveur; car le ciel natal me serait plus doux que 
les voûtes de cette prison. Mais si j'y reste, c'est que 
Jésus s'y tient avec moi, et un Sauveur vaut bien une 
famille. 

— Est-ce le perdre que venir avec nous? 

— Oui, cai* la porte de mon cachot ne s'ouvrira 



— 153 — 

que devant une abjuration, et ce serait la perte de mon 
âme. 

— Tes parents ne sont donc rien pour toi? 

— Celui, dit Jésus, qui ne sait pas sacrifier son père 
et sa mère pour l'amour ne moi, n*est pas digne de 
moi. 

Alors, dit Barthélémy, j'allai jusqu'à lui promettre 
la moitié de mon bien s'il voulait revenir avec moi à 
Coni; mais lui, versai^t des larmes, me répondit qu'il 
était plus grièvement peiné de me voir tenir ce lan- 
gage que des liens qui l'enchaînaient ; car , dit-il, la 
terre passe avec toutes ses convoitises, mais la parole 
de Dieu demeure éternellement. Et comme je pleurais 
aussi, il ajouta ; t^our moi, Dieu me donne une telle 
force, que jamais je ne me départirai de lui. — Alors 
le moine lui dit : Si vous voulez crever, crevez ! 

On voit, dans ces trois personnages, l'homme régé- 
néré, dont l'âme parle selon l'esprit de Dieu j l'homme 
charnel, adonné à la fois aux biens qu'il apprécie et 
aux affections du cœur ; enfin l'homme abruti par les 
superstitions, l'homme tel que Rome Ta fait, ignoble 
et cruel , interrompant cet entretien de l'âme et du 
cœur, du martyr et du frère , par l'invective grossière 

que nous venons de rapporter. 

o 



— 154 — 

« Trois jours après , continue d'écrire le frère de 
Jean-Louis Paschal , je trouvai moyen de lui parler 
encore; et comme le moine le voulait exhorter dere- 
chef, il lui dit : Tous vos discours sont fondés sur la 
prudence humaine, mais ne fermez point les yeux à la 
grâce de Dieu, carvous serez inexcusable auprès (lelui. 

a Le moine demeura fort étonné y disant : Dieu ait 
pitié de nous ! — Dieu le fasse ! ajouta le prisonnier. 
— Mais le jour suivant, il me fit signe, sans sonner 
mot, que je m'en allasse, ayant compris que les in- 
quisiteurs commençaient à me soupçonner ; aussi je 
partis sans rien dire, et m'en revins en Piémont. » 

Toujours rhomme charnel et timide, parce qu'il 
n'a d'autre force que la sienne , en face du chrétien 
invincible, parce qu'il s'en remet à la force du Christ. 

Te voilà donc seul , pauvre Paschal , enseveli vi- 
vant dans les entraillesde la terre, en attendant d'être 
consumé vivant par le feu ! Mais le meilleur des pè- 
res, des frères et des amis n'était-il pas toujours au- 
près de toi ? 

a L'affection que je vous porte , écrit-il à sa fian- 
cée, augmente parcelle de mon Dieu; et d'autant plus 
j'ai profite en religion chrétienne, d'autant plus aussi 
je vous aiTiimée.— Puis, lui laissant entrevoir sa mort 



— 155 — 

prochaine : — Consolez-vous en Jésus-Christ : que 
votre vie soit un portrait de sa doctrine. » 

Telles sont les exhortations que Paschal adressait à 
Camilla Guarina, qui devait être sa veuve avant d'a- 
voir été son épouse. 

Le dimanche y 8 de septembre 1560 , il fut conduit 
de la tour di Nona^ au couvent délia Minerva, pour y 
entendre sa condamnation. 

n confirma, dit Crespin, d'un cœur ferme et joyeux, 
toutes les réponses qu'il avait faites, rendant grâces à 
Dieu , de ce qu'il l'appelait à la gloire du martyre; et 
le lendemain, lundi 9 de septembre, il fut conduit sur 
la place du château Saint- Ange , près du pont du Ti* 
bre^ où le bûcher avait été élevé. 

Le pape Pie IV assistait à cette exécution; a mais , 
observe Perrin, il eût bien voulu être ailleurs, ou que 
Paschal eût été muet^ ou le peuple sourd; car ce di- 
gne personnage dit beaucoup de choses qui touchè- 
rent les assistants et lui déplurent fort. » Aussi les in- 
cpiisiteurs le firent-ils étrangler aussitôt, craignant 
peut-être que sa voix ne s'élevât encore du milieu des 
flammes pour proclamer la vérité. 

Le bûcher ne dévora donc qu'un cadavre, et ses 
cendres furent jetées dans le Tibre. 



— 156 — 

Ainsi fiait ce courageux martyr^ enlevé à sa compa- 
gne avant de l'avoir épousée^ à son Eglise avant d'y 
avoir résidé y mais non pas à la profession de la foi 
chrétienne sans Tavoir servie | car son exemple à lui 
seul valait toutes les prédications qu'il eût pu faire 
dans le cours de sa vie* 

Pendant sa captivité^ le marquis de Spinello, qui 
jusque-là s'était montré le zélé protecteur des Vau- 
dois , sans doute à cause du résultat productif de leur 
fermage, apprenant les rigueurs de la cour de Rome, 
et craignant avec raison qu'elles ne s'étendissent jus- 
que sur ses fiefs, voulut du moins prévenir les consé* 
quences de l'accusation qu'on lui faisait déjà, d'y avoir 
introduit et favorisé les hérétiques. 

Peut-être aussi espéra-t-il^ en se dédsffant contre 
eux, se réserver les moyens de les protéger avec plus 
d'efficacité. Quoi qu'il en soit, il prit le parti de les 
accuser lui-même d'hérésie et de réclamer auprès du 
saint office a les moyens de les réduire. Bien qu'on 
sût, dit Gilles, qu'en secret il désirait leur conserva- 
tion (1). Sur ce, continua-t-il, l'évêque de Cosenzay 
mit la main^ et le marquis, sous l'apparence d'y ai- 
der, apportait toujours quelque tempérament. » 

(1) GUles, p. 178. 



— 4W — 

Mais les {Mcâdures de Paschal et de ses compa- 
gnons ayant fait connattr(e à Rome rimt)ortance des 
Eglises évangéiiques de la Calabre, le saint office 
jugea qa'U n'était pas de trop d'y envoyer le grand 
inquisiteur. Le cardinal Alexandrini, qui Venait d'as- 
sister au supplice du jeune et courageux pasteur de 
ces antiques Bglises , s'apprêta doilc à les visiter, tl 
arriva à Saint-Xist, accompagné de deux moines do- 
minicains qui avaient revêtu l'extérieur le plus afik- 
ble, comme les loups déguisés en bergers, dont parle 
l'Evangile. 

Ils firent assembler les habitants , et dirent que 
leur intention était de ne faire de mal à personne , 
(biratôt on les égorgea tous); qu'ils venaient seule- 
ment les engager amicalement à ne plus écouter d'au- 
tres ministres que ceux qui leur étaient envoyés par 
l'évêque; et que s'ils voulaient ccmgédier les maîtres 
d'école et prêcheurs luthériens , qui les infestaient 
encore, ils n'auraient rien à craindre. Puis, sans doute, 
pour connaître par eux-mêmes le nombre de ceux 
qui respectaient les pratiques de l'Eglise romaine , ils 
firent sonner la messe , et convièrent le peuple à s'y 
rendre. 

Aucun ne s'y rendit. Tous les habitants quittèrent 



unanimement la ville, et se retirèrent dans un bois, ne 
laissant chez eux qu'un petit nombre d'enfants et de 
personnes âgées. 

Les moines , sans affecter aucune irritation y assis— 
tent seuls à la messe , puis sortent de cette ville dé- 
serte, et se rendent à la Guardia, dont ils font préa- 
lablement fermer les portes derrière eux. 

Les cloches sonnent; le peuple se rassemble. — 
Très chers et bien-aimés fidèles, disent-ils , vos frères 
de SaintrXist ont abjuré leurs erreurs , et assisté una- 
nimement à la très sainte messe ; nous vous engageons 
à suivre un exemple si sage : autrement nous serons 
obligés, avec douleur, de vous condamner à mort. 

Ce langage hypocrite ne laissait pas d'hésitation 
entre ses deux alternatives : le peuple alarmé', pour 
suivre l'exemple de ses coreligionnaires, qui doivent 
n'avoir agi qu'à bon escient, se résigne à entendre 
la messe. Après cette cérémonie, les portes de la ville 
sç>nt ouvertes. Des habitants de Saint-Xist arrivent 
et apprennent la vérité. Aussitôt toute la popula- 
tion de la Guardia, indignée de cette tromperie et 
rougissant de sa faiblesse , se rassemble sur la place 
publique, criant de tous côtés que Rome n'a vécu 
que d'erreurs et de superstitions. Les moines cher- 



— 459 — 

chent à calmer ce peuple irrité qui , pour ne plus les 
entendre, se décide à aller rejoindre dans les bois les 
habitants de Saint-Xist. 

Mais le marquis de Spinello arrive , chercbe à les 
retenir, et peut à peine , dit Mac'Crie , à force de re- 
présentations et de promesses, les empécber de met- 
tre leur projet à exécution. 

Voilà déjà les Yaudois divisés -, les uns sont dans 
la ville, les autres dans les bois. 

Alors, le grand inquisiteur, en vertu des pouvoirs 
dont il était nanti , requiert la force publique , pour 
exécuter son mandat. 

Deux compagnies de soldats sont mises à sa dispo- 
sition, n les envoie dans les bois de Saint-Xist pour 
en ramener les fugitifs ; mais à peine ont-elles décou- 
vert leur retraite, qu'elles tombent sur eux en criant : 
Tue ! tue ! Les malheureux Yaudois cherchent à s'é- 
chapper; les soldats les poursuivent dans toutes les 
directions, comme s'il s'agissait d'une battue contre 
des bétes sauvages. Enfin , quelques-uns des fugitifs 
se réunissent sur une montagne et demandent à par- 
lementer. Le capitaine des soldats s'avance. — Grâce ! 
grâce! s'écrient-ils; que vous avons-nous fait? Prenez 
pitié de nos femmes et de nos enfants ! Ne sommes- 



— 160 — 

nbus pas ici depuis des siècles, satis avoir donné au- 
cun stijet de plainte ? Ne soihmes-nôùs pas deè sujets 
fidèles, des travailleurs laborieux , des gens paisibles 
et bienfaisants? 

•^ Vous êtes des diables, transformés en anges de 
lumière, pohr séduire les simples^ mais lé saintrdfficô 
a démasqué vos erreurs. 

— Eh bieli , si Ton iie veut pas nous permettre de 
professer en paix la fbi de nos aïeux, dans tes con- 
trées que nous avons i^endues fertiles, nous offrons de 
les abandonner, et dé faous retirer dans un autre pays. 

— Vous iriez y semer le poison de Votre hérésie ; 
pdint de jpitlé pour les rebelles ! — Et donnant l'ordre à 
sa troupe de les attaquer, il s'avance avec elle entre 
lés rochers sur lesquels les Vaudols étaient retranchés. 
Mais alors Voyant l'inutilité de leurs efforts, la néces- 
sité de combattre , le salut de leurs familles dans la 
victoire qui dépend de Dieu seul, les fugitifs se mu- 
nissent des armes qu'ils avaient pu se faire ou empor- 
ter, ébratilent des quartiers de rochers qu'ils précipi- 
tent sur les assaillants , les écrasent , s'élancent , les 
dispersent , en tuent plus de la moitié, et se retran- 
chent de nouveau sur ces hauteurs qu'ils avaient si 
vaillamment défendues. 



Mais que peut le courage contre le nombre, à moins 
d'un secours miraculeux, comme celui qui fut accordé 
aux Israélites contre Sennachérib? Le cardinal Alexan- 
drin! s'adressa au vice-roi de Naples, en traitant de 
rébellion ouverte contre Tautorité, la légitime défense 
desYaudois. Le vice-roi se mit lui-même en marche 
à la tête de ses troupes, et arrivé à Saint-Xist, il pro- 
clama que tout serait mis à feu et à sang si les ultra- 
montains n'abjuraient pas leur hérésie. 

Ce n'était pas le moyen de les soumettre ; car, réso- 
lus à ne pas abjurer , ils résolurent aussi de se défen- 
dre. Leur parti acquit à l'instant une force et une 
unité qui lui avaient manqué jusque-là. Les Yaudois 
se fortifièrent avec enthousiasme sur les montagnes; et 
leur position devint bientôt si formidable, que le vice- 
foi n'osa pas les attaquer avec les troupes qu'il avait 
amenées. Alors, il fit paraître une nouvelle proclama- 
tion, par laquelle il offrait à tous les repris de justice, 
bannis et condamnés qui vivaient en vagabonds dans 
l6 royaume de Naples, le pardon de leurs fautes, à 
condition qu'ils vinssent se ranger sous ses drapeaux 
pour exterminer les hérétiques.* 

C'est ainsi déjà qu'avait agi Gattanée ; ce sont là les 
^utiens de la cause de Rome , dont le sang et Top- 



ph)bre dé(kiuleilt de toutes pattB^ comme utteép&nge 
impréghée de fongé qui se dégorge dès qu'on y met 
la main. 

Une multitude de proscrits sans honneur, de misé- 
rables de tout âge, de maraudeurs et de brigands, qui 
connaissaient tous les sentiers des Apennins, s'o&irent 
aie servir. Les Vaudois furent cernés, poursuivis, at- 
tendus au passage, égorgés dans ses guet-apens; on 
mit le feu aux forêts, dans lesquelles on ne put les at^ 
teindre : la plupart d*entre eux périrent, et plusieurs 
d*entre ceux qui s'échappèrent, moururent de faim 
dans les cavernes où ils s'étaient retirés. 

Que faisaient cependant les moines et les inquisi- 
teurs? — Nous ne pouvons supporter la vue du sang 
répandu! s'écriaient-ils; ces exterminations nous révol- 
tent; oh! venez, venez avec nous dans le bercail; ce 
n'est point auprès de nous que vous trouverez cet ap- 
pareil militaire que réprouvent des hommes de paix* 

Et pour mieux témoigner leur aversion , ils s'éloi- 
gnèrent^ de la ville, en invitant les habitants de La 
Guardia, qui survivaient encore , à se réunir sans ar- 
mes auprès d'eux. 

Pauvre peuple , toujours tronlpé par la grande dé- 



— 463 — 

ceptrice du monde, qui j&iit la douce voix et précipite 
ensuite le corps et l'âme dans la Géhenne! 

Cette voix perfide fut encore écoutée 5 le peuple se 
réunit, mais des soldats étaient cachés; soixante et 
dix Vaudois furent saisis et chargés de chaînes. 

C'était le nombre des premiers disciples du Sau- 
veur. Ces nouveaux confesseurs de l'Evangile, ëh face 
d'un nouveau paganisme, plus cruel et plus traître que 
l'ancien, furent conduits prisonniers à Monialto. 

Là on les mit à la torture; l'inquisiteur Panza les 
fit tous passer par le chevalet, les cordes, la roue, les 
coins de fer ou l'eau bouillante , pour les obliger , 
nonnseulement à renier leur foi , mais encore à dé- 
noncer^eurs frères et leurs pasteurs ! 

O Rome l'hypocrite ! verse des larmes comme le 
crocodile, de ne pouvoir, dans ta décrépitude, te ras- 
sasier de chair humaine comme par le passé ; qu'a- 
vons-nous besoin, pour te combattre, d'entrer dans la 
lice des discussions? Tes propres actes te condamnent 
bien plus que nos paroles, et ton histoire deviendra 
ton cercueil. La vérité le creiise chaque jour, et lors- 
que l'Evangile aura vaincu tes principes de haine et 
d'orgueil par ses maximes d'humilité et d'amour, il 
inscrira trioriiphant sur ta tombe : Ne haïssez que le 



— 164 — 

mal, mais aimez les méchants. — ^Une des choses que 
les tortionnaires avaient surtout à cœur d'obtenir des 
patients, était l'aveu des prétendues abominationsdont 
on accusait les Yaudois, et dont on voulait charger 
leurs mœurs par les témoignages mêmes de leurs 
frères. 

Etait-ce bien un tribunal ou un repaire que ce sûnt 
office de la foi catholique, qui voulait non-seulement 
égorger ses victimes, mais les déshonorer? 

Stéphane Carlino, auquel on voulait arracher cet 
aveu, fut, dit Mac'Grie, torturé d'une manière si hor- 
rible, que ses entrailles s'échappèrent de son ventre. 

Un autre prisonnier, nommé Yerminello, avait 
promis, dans les angoisses de la douleur, d'assister à 
la messe. Cette concession fit espérer à l'inquisiteur 
qu'en augmentant la violence des tortures, il lui arra- 
cherait enfin l'aveu des crimes qu'il avait tant à cœur 
de faire peser sur les Yaudois, et que nul témoignage 
n'avait encore établis. Dans ce but, le malheureux 
captif fut tenu, pendant huit heures entières, sur un 
instrument de souffrances appelé Y enfer; mais Yer- 
minello nia constamment l'objet de ces atroces ca- 
lomnies. Bernardino Ck>nto fut enduit de poix à Co- 
senza et brûlé vif devant tout le peuple. Un autre 



— <65 — 

martyr, nommé Mazzone, fut dépouillé de ses vête- 
ments et flagellé avec des chaînettes de fer^ puis 
traîné en lambeaux dans les rues, et assommé enfin 
à coups de bûches embrasées. De ses deux fils, l'un 
fut écorché vif, comme un mouton dans la boucherie, 
et l'autre fut précipité du haut d'une tour. 

Sur cette môme tour fut conduit un jeune honmie 
d'une force prodigieuse, et que, pour cela, on avait 
surnommé Samson. 

Mais la force d'âme du chrétien fut plus remar- 
quable encore que la vigueur de l'israélite. Comme 
il avait résisté à toutes les tentatives qu'on avait 
faites pour obtenir son abjuration, on lui demanda 
du moins de se confesser. — Je ne me confesse qu'à 
Dieu, répondit-il. — Viens à la messe, ou tu es mort. 
— Quand même vous seriez morts, vous vivrez, dit 
Jésus, si vous croyez en moi. — Eh bien, baise ce 
crucifix. — Mon Jésus n'est pas sur ce bois, mais 
au ciel, d'où il reviendra pour juger les vivants et les 
morts. — Tu ne veux pas le baiser? — Je ne veux 
pas être idolâtre. — Et les soldats le précipitèrent sur 
le pavé. Tout brisé, mais vivant encore, il implorait 
la miséricorde de Dieu. 
Le vice-roi vint à passer. — Qu'est-ce que cette 



— 4^6 — 

charogne, dit-il en le voyant? — Un hérétique qui ne 
peut mourir. — Le monarque lui donna un coup do 
pied à la tête en disant : Faites-le manger aux pour- 
ceaux. — Et le pauvre enfant vécut encore pendaal 
vingt-deux heures avant de rendre le dernier sou- 
pir. — Qui, du roi ou du prêtre, était le plus mépri- 
Sî^ble? — Peuples, pro(Steraez-vous clivant eux!... 

-r- Quand donc le Christ vous afifranchira-t-il? 

Soixante femmes de Saint-Xist, à ce que rapporte 
Gilles, furent tellement torturées, que les coràes 
étant entrées ^n leu? chair sa^s qu'on leur e&t fait 
aucun remède, il s'engendra dans leurs plaies une 
vero^ine dévorante, qu'on ne put faire tomber qu'avec 
de la chaux vive. Quelques-unes d'entre elles mou- 
rurent ensuite au fond des cachots; d'autres furent 
brûlées vivantes , et les plus belles vendues, comme 
en Turquie, aux plus oi&ants qui n'étaient que les 
plus corrompus. 

Mais toutes ces atrocités furent encore surpassées 
par les barbaries commises à Montalto, sous le gou- 
vernement du marquis Buccianici. a Les malheureux! 
s'écrie un témoin oculaire (1), ils étaient quatrc- 

(1) Ascanio Caracciali, Mac'Crie^ p. 295. 



vii^-huH {uiipimier^ r^l^fi^riDéf^ d»m UW eha^nbre 
basse. L-exéciit^ur est ir^ou ; il est entré, eii a F^ris iin, 
et après lui savoir enveloppé la tête d'ua liage, il Ta 
conduit sur le terrain qui toucha au bâtiment; Ta fait 
n^^ttre à genoux, et lui a coupé la gon^ avec un cou- 
teau, le sang a jailli sur ses (xras et i^ur i^s y^lemepta; 
maiSj déUcbant |e Ungei en^nglaaté 4e cette tête 
coqpée, il e^ e^tré de nouveau, a pris UQ autne jMrir 
sopnier et Ta égprgé de la même miaj(|îèf e. 

a Tous mes membres frissonnent encore quafid je 
n^e figure le ][)ourreau, avec son couteau ensanglanté 
entre les dents et le linge dégouttant à la main , les 
bras rougis par le sang des victin^es, entrant et ressor^ 
tant près de cent fois de suite pour cette œuvre de 
mort. 

a On ne se représentera jan^ais la douceur et la pa-r 
tience de ces pauvre^ gens, qu'on allait prendre comme 
des agneaux à la berg^ie* Tous les vieillards sont 
morts avec un calme imperturbable. En ce moment 
même j'ai peine à retenir mes larmes; il est près de 
huit heures, et Ton vient de rendre un décret qu) 
condamne à la question une centaine de femmes qui, 
ensuite, seront mises à mort. On fait monter à seize 
cents le nombre des hérétiques qui ont été arrêtés 



— 468 -- 

dans la Calabre, et ils sont tous condamnés à périr 
On dit qu'ils sontoriginaires des vallées du Piémont, t 

a Quelques-uns d'entre eux, ajoute un historien na- 
politain (1), ont eu la gorge coupée; d'autres ont ét^ 
sciés par le milieu du corps ou précipités du haul 
des rochers. Le père voyait périr son fils, et le fils son 
père, sans donner le moindre signe de douleur, mais 
s'applaudissant au contraire d'être délivrés de leurs 
maux, et d'aller se réunir au sein de Jésus qui était 
mort pour eux. » 

Et l'historien que je cite insulte à cette résignation 
céleste, en disant que c'était un esprit de démon qui 
animait ces victimes si résignées. 

On Ta dit aussi de Jésus-Christ. 

Heureux ceux qui ont suivi avec la même foi la 
voie douloureuse qu'il a suivie I Un autre témoin ocu- 
laire, qui était de la suite du cardinal Alexandrini, 
complète ainsi cette lugubre narration. « Avant l'arri- 
vée de Monseigneur, quatre-vingt-six relaps avaient été 
écorchés vifs, puis fendus en deux parts, et leurs 
tronçons furent placés sur des piquets tout le long du 
chemin, dans une étendue de trente-six milles 3 cela 

(1) Thomaso Costo, ieamd/ij^rte àel Compendio deU'htoria di iVapo/t, 
p. 257. 



raffermit beaucoup le catholicisme et ébranla consi- 
dérablement l'hérésie. 

« Il y a déjà dans les prisons , quatorze cents de 
ces ultramontains ; quelques-uns errent encore par 
les montagnes, mais dix écus sont promis pour chaque 
tête qu'on en rapportera* Des soldats ont été mis à 
leur pour^ite^ et chaque jour on ramène quelques 
prisonniers. Leur nombre a fini par être si considé- 
rable, que Monseigneur, d'accord avec le commissaire 
et le grand vicaire de Cosenza, ont résolu de ne sou- 
mettre la plupart d'entre eux qu'à la pénitence, sauf 
les plus obstinés , qui seront mis à mort. Quant aux 
ministres prêcheurs , et chefs de cette secte , ils se- 
ront brûlés vifs. 

fl On en a déjà envoyé cinq à Cosenza, pour qu'ils su- 
bissent ce suppHce, oints de résine et de soufre; de la 
sorte, étant consumés peu à peu, ils endureront da- 
vantage pour correction de leur impiété; plusieurs 
femmes sont demeurées prisonnières, et toutes seront 
brûlées vivantes. On doit en brûler cinq demain. » Cette 
lettre est datée du 27 de juin 1 561 (1 ) , et elle se termine 



(1) Elle est écrite par Luiggi d'Appiano et conservée par Gilles, p. 182- 
^U. Xoitt M'en doaaoat ici que des extraite. 

5** 



— 170 — 

par une platsanterie grossière sur Tétat de grossesse 
de quelques-unes de ces infortunées. 

Oh! quand l'indignation éclate sur les auteurs de 
pareilles atrocités , on conçoit que l'Eglise romaine 
ait pu être nommée l'Eglise des démons. Des païens , 
des barbares, des sauvages n'agiraient pas aussi cruel- 
lement; il fallait le papisme pour dégrader Thomme 
au-dessous de la brute. 

Un homme est brûlé vif : laconisme terrible ! mais 
combien de douleurs et d'angoisses ! et quand un 
peuple tout entier est livré à de pareils supplices!... 
Ah ! ne reconnaît-on pas, dans Rome persécutrice, 
cette grande réprouvée de l'Apocalypse qui s'enivre 
du sang des saints et des martyrs? cette ville abomi- 
nable, dans laquelle le sang de tous ceux qui ont été 
mis à mort sur la terre, a été retrouvé? (Apocalypse 
XVn, 5, 6, XVin, 24.) 

Le pasteur Jean Guérin , qui était venu de Bobi en 
Calabre pour y remplacer le Barba Gilles , dont nous 
avons parlé, mourut de faim dans les prisons de Go- 
senza, pour n'avoir pas voulu renoncer à l'Evangile : 
nourriture immortelle de son âme si cruellement 
éprouvée. Les quatre principaux notables de La Guar- 



— 174 — 

dia furent pendus à des arbres, sur un coteau nommé 
Moran. 

La ville de Sainte-Agathe, située près de Naples, 
paya aussi à la soif sanguinaire de Rome son tribut 
de victimes. Et cGmlnen d'autres encore dont les noms 
ne nous sont pas parvenus! Pendant deux ans, la rage 
du monstre que les Yaudois avaient nommé TAnte* 
christ, dévora ce malheureux pays. Pendant deux 
aimées entières , les bûchers restèrent allumés, les 
prisons obstruées, les bourreaux dans le sang. 

Quelques-uns d'entre les malheureux Yaudois par- 
vinrent à retourner dans les vallées du Piémont. Mais 
à travers quelle série de difficultés et de périls I On 
avait ordonné, sur la traversée des ponts, des barques 
et des voitures, de ne laisser passer aucun voyageur 
sans qu'il eût un billet de son curé. Une peine sévère 
menaçait les aubergistes qui auraient reçu des étran- 
gers dépourvus de ce sauf-conduit; de sorte que ces 
pauvres persécutés étaient contraints de voyager de 
nuit, passant les rivières à gué, se cachant dans les 
^is, vivanlt de racines, de timides glanures, de fruits 
^uvés sur quelques arbres : et c'est ainsi cependant 
que plusieurs familles, dont les femmes s'étaient ha- 
billées en homipes, parvinrent, après des dangers mul- 



— 172 — 

tipliés et des fatigues inouïes, à regagner V asile de 
leurs aïeux. 

Oh ! combien le refuge paiâble des vallées Vaudoi- 
ses, qui devaient aussi tant souffrir, dut leur être en 
bénédictions après d'aussi longs tourments! 

Mais il pàratt que tous les Vaudois de cette mal- 
heureuse Calabre n'étaient pas encdre anéantis; car 
Pie lY y etivoya plus tard le marquis de Butiana pour 
achever d'y détruire l'hérésie ; et afin de l'encourager 
dans cette œuvre, il promit d'en récompenser le suc* 
ces en accordant à Joseph Butiana, son fils, le chapeau 
de cardinal. 

Il n'eut pas de peine à y réussir. L'inquisition , cet 
appui du papisme , en déclin depuis qu'elle a été 
abolie i l'inquisition , cette puissance de l'enfer , qui 
n'a pas prévalu cependant contre l'Eglise de Dieu , 
l'inquisition avait déchiré assez longtemps ces con* 
trées évangéliques. 

Les Romains, irrités des sanglantes iniquités qu'elle 
avait commises, brûlèrent eux-mêmes son palais à 
la mort de Paul III. 

Sans doute qu'ils n'étaient pas encore d'assez bons 
catholiques. Aussi Pie IV, dont le pontificat fut signalé 
par les événements que nous venons de raconter , 



— 173 — 

transporta le siège du saint-oflSce sur la rive opposée 
du Tibre , à l'endroit même où Ton prétend qu'était 
placé l'ancien cirque de Néron : dans lequel tant de 
chrétiens primitifs avaient été livrés aux dents des 
bêtes féroces. 

C'étaient des chrétiens primitifs aussi qui venaient 
de périr à Gosenza, à La Guardia, à Saint-Xist : seule- 
ment aux bêtes féroces s'étaient' substitués les prê- 
tres, les moines et les inquisiteurs de l'Eglise ro- 
maine. 



?*** 



CHAPITRE Vn. 

INFLUENCE DÉ LA RÉFORMATION 

DAMS LES VALLÉES VÀUDOISES. 

(L£ SYNODE ET LÀ BIBLE). 
(De 15^0 à 158B.) 



Sonun «t AiTTouTif . -^ Gilles, Léger. — Clacbi BAftmL t Aela nuir- 
tyrvin... (C'est uoe tradaction de CKBSPiif.) Bible d'OIÏTétan (imprimée à 
Serrières, près de Neochâtel , en 1535) : en voir la préface. — Id. pour le 
Brief Discours de* pertéeution» turvenuet.,, etc. Genève 168Ô. — Le JHtwtiél 
i* vray chrétien.,., par Danul PiSToa, ministre en Pragela, 1652, in-8o. 
-Aiipotm al libro delSr GUUo titolato : Terre evangelica... 16S8. — Ru- 
CHAT, Hist. de la Réf. de la Suiaêe.... 1728, en 6 vol. (t. III.) — La suite 
dent ouvrage, qui était encore inédite en 1836, a été publiée depuis. — 
ScDLTiTus , AtuuUe» Evangelii rénovait. M S C Dublin : bibl. ool. Trin. 
class. C, tab. Y, no 18, contenant une collection de lettres et d*autres pièces 
ntotwt à la mission de Gwrgê Morsl, et de Pierre Masson, auprès des ré- 
lormUeurs , en 1530. (On peut voir des détails sur ce M S C dans le Ha- 
S^ Britannique, no CXIII, p. 397 et suivantes]. — Documents transmis 
pir M. Merle d'Aubigné : Lettre des Eglises de Bohême , aux Yansdais , en 
1S33; autre, d'AdamtéS à Farel... etc. 

Les grands événemeûts de la réformation, qui ve- 
naient de retentir d'une manière si douloureuse dans 
la Galabre et en Provence, ne pouvaient rester sans 
influence sur les vallées vaudoises , d'où les Eglises 
évangéliques de ces deux pays étaient jadis sorties. 
Voici comment se présentait alors la situation du ca- 
tholicisme, de la réforme et des Vaudois. 

Les premières Eglises chrétiennes fondées par les 



— 176 — 

apôtres étaient des sociétés religieuses unies les unes 
aux autres par les liens de la foi et de la charité, mais 
indépendantes par leur organisation. 

Ainsi, pendant longtemps les Eglises particulières 
purent demeurer unies à TEglise universelle sans re- 
noncer à la liberté de conscience qui faisait leur in- 
dividualité. 

L'Eglise vaudoise en est une preuve particulière; 
et la longue lutte que le papisme eut à soutenir pour 
soumettre la plupart des autres Eglises à son autorité, 
prouve d'une manière plus générale, mais certaine, 
qu'elles ne lui étaient pas d'abord soumises. 

Le mot d'Eglise lui-même ne signifiait alors qu'une 
simple assemblée; et ce qui caractérisait les assem- 
blées chrétiennes, c'est qu'eUes étaient des Eglises 
de frères. 

Le catholicisme, en se constituant, changea toutes 
ces significations; il voulut dominer le monde , et se 
servit pour cela des éléments du paganisme qui ve- 
nait d'y régner. Relevant les débris de ses autels bri- 
sés, rajeunissant le prestige de ses pompes abandon- 
nées , il rattacha le souvenir des fêtes idolâtres aux 
noms variés des légendes nouvelles; en un mot, il 
adopta les formes du paganisme pour attirer à lui les 



— 477 — 

païens; on appelait cela les convertir! La grandeur du 
catholicisme sortit donc tout entière de celle des cul- 
tes antérietirs; mais en môme temps il étouffa Tesprit 
chrétien sous la magnificence de ces dehors d'em- 
prunt; le culte du cœur fit place à celui de la vue, et 
sans qu'on voulût renoncer à TËvangile^rEvangiie se 
trouva remplacé. Les invasions des barbares étaient 
venues détruire Tempire romain , et le catholicisme 
ûe fut que le résultat d'une sorte d'accouplement hi- 
deux entre le paganisme corrompu et la barbarie sau- 
vage qui mit en poussière l'ancienne civilisation. Alors 
on vit cette Eglise grandir de toute la hauteur du 
passé abattu, et comme un édifice épargné dans une 
grande inondation, s'élever seule pendant des siècles 
sur un horizon aplani, mais couvert de ténèbres, au 
milieu des débris du vieux monde qui achevait de dis- 
paraître ou de se transformer. 

Son orgueil croissait avec sa force; le papisme vou- 
lut alors assujettûr les puissances temporelles au nom 
du pouvoir spirituel, qu'il s'attribuait, et ainsi il pro- 
clama à son insu la supériorité de l'esprit sur la ma- 
tière, que cependant il avait comme épousée dans son 
culte tout matériel. L'esprit humain s'étant réveillé 
protesta alors contre ce culte indigne de lui; l'aurore 



des lettres repa^ues, éclaira de ses premiers rayons la 
Bible qui protestait aussi ; tous les cœurs généreux 
s'unirent autour d'elle , avec l'ardeur de la vie, pour 
briser en son nom ces formes grossières d'un monu- 
ment de mort; et comme deux cordes à l'unisson qui 
se font vibrer l'une l'autre, malgré la distance qui les 
sépare, le retentissement soudain de la réforme dans 
l'Eglise vaudoise, fit connaître l'harmonie secrète qui 
existait entre les deux par l'accord subit dans lequel 
des deux parts tressaillirent les cœurs. Les Yaudois 
se hâtèrent d'envoyer aux réformateurs quelques-uns 
de leurs Barbas , George Morel de Freyssinières et 
Pierre Masson , désigné dans les écrits latins sous le 
nom de Latomus. 

Ce n'est pas sans surprise, dirent-ils à OEcolampade, 
que nous avons appris l'opinion de Luther touchant 
le libre arbitre. Tous les êtres , les plantes mêmes, 
ont une vertu qui leur est propre; nous pensions 
qu'il en était ainsi des hommes, à qui Dieu a donné 
plus ou moins de forces pour accomplir le bien^ 
comme la parabole des talents semble le faire enten- 
dre. Et quant à la prédestination , ^ous sommes fort 
troublés, ayant toujours cru que Dieu a créé tous les 
hommes pour la vie étemelle, et que les réprouvés se 



— n9 — 

sont faits tels par leur propre faute ; mais si toutes 
choses arrivent nécessairement, dételle sorte que ce- 
lui qui est prédestiné à la vie ne puisse pas devenir 
réprouvé, ni ceux destinés à la condamnation parve- 
nir au salut, à quoi servent les prédications et les 
exhortations ? 

Vis comprirent plus tard que la prescience divine n'a 
aucun rapport avec les prévisions humaines, et que la 
volonté elle-même est un don de la grâce de Dieu : 
de qui viennent à toutes choses la vie^ le mouvement 
et l'être, et au coeur de l'homme le vouloir et Texéeu- 
tioa, selon son bon plaisir. 

Sur ce point, ainsi que sur beaucoup d'autres, les ré- 
formateurs de la Suisse et de Strasbourg donnèrent 
aux Yaudois des réponses évangéliques qui les rem- 
plirent de joie. 

Comme ils revenaient, avec leurtrésor, et passaient 
par Dijon pour regagner le Dauphiné, leurs conver- 
sations pieuses les signalèrent comme luthéHens. C'é- 
tait déjà un crime dans cette ville inhospitalière. 

La France, cependant, avait précédé l'Allemagne 
et la Suisse dans ce mouvement de la réforme qui de- 
vait rajeunir ou briser l'Eglise catholique. Nulle part 
l'impérieuse ambition du papisme n'avait été tenue en 



— 480 — 

bride avec plus d'énergie que par cette nation* L.a 
sœur du monarque régnant, Marguerite de Valois , 
duchesse d'Alençon, s'était convertie à TEvangile, aux 
paroles doctes et humbles d'un professeur en Sor- 
bonne et d'un évéque de Meaux (i). Mais c'est là aussi 
que la réaction se montra d'autant plus forte, que les 
manifestations bibliques avaient été plus réservées. 

Les délégués vaudois, revenant de Strasbourg aux 
Vallées , furent doue arrêtés à Dijon. On ignore les 
détaUs de cet événement, mais en voici Tissue. 
George Morel parvint à s'échapper, avec le dépôt pré- 
cieux des lettres et des instructions religieuses qu'il 
apportait à ses compatriotes 3 mais comme si elles 
n'avaient pu être dignement payées que par le mar- 
tyre, Pierre Masson les scella de son sang, en mou- 
rant, le 40 septembre 1530, avec le calme d'un chré- 
tien qui se sent racheté. 

Déjà, dans ces montagnes, avaient retenti les gran- 
des nouvelles, du papisme qui s'écroulait, et de l'Evan- 
gile immortel qui renaissait comme un soleil de vie à 
rhorizon des sociétés renouvelées. En 1526, un pas- 
teur d'Ângr<^e , nommé Gonin , avait été en Aile* 
magne et en avait rapporté les livres de Luther. 

(1) Lefèbyre et Brisfonnet. 



Diverses conféreaces eurent lieU; pour examiner les 
solutions données par les réformateurs. Il fallait que 
les esprits s'entendissent, comme les cœurs s'enten- 
daient déjà. Enfin un synode fut tenu dans la com- 
mune d'Angrogne, auquel se rendirent les représen- 
tants de toutes les paroisses vaudoises : non-seule- 
ment des Vallées, mais aussi de la Calabre, de Sa- 
luées, de la Provence et du Dauphiné. 

Cette assemblée solennelle se tint en plein air, au 
hameaii de Ghanforans, en présence de tout le peu- 
ple (1). C'était sur un de ces plateaux ombragés, si- 
tués à mi-côte des montagnes, dans un bassin de ver- 
dure, fermé comme une arène de géants par les pentes 
lointaines du Pra du Tour, couroimées alors d'étin- 
celantes neiges. 

Déjà un plus rapide échange de pensées et de re- 
lations s'était établi autour des vallées vaudoises; 
beaucoup de personnes qui, jusqu'à ce jour, étaient 
demeurées indifférentes à l'Evangile, commençaient 
de le rechercher. Les seigneurs de Miradol, de Rive- 
noble, de Solaro, se rendirent à ce concile de la foi 
et de la liberté. Quelques-uns des réformateurs de la 

(1) En ftresencia de tuti li minislri et eeiam Dio del pùfnUo. (Maou- 
«îil de George Morel, Dublin, class. C. Tab. 5. n» 18.) 

7 



— 482 — 

Suisse y étaient eux-mêmes venus. Farel montait un 
cheval blanc, avec cette noblesse naturelle aux gens 
d'une haute origine. Saulnier Tavait accompagné , et 
chacun se pressait sur les pas de ces hommes illustres 
et modestes, qui venaient sceller le pacte de fraternité 
entre les successeurs de l'Eglise primitive et les pro- 
moteurs d'une nouvelle ère d'évangélisation. 

L'assemblée synodalejfut réunie à Angrogne, le 12 
de septembre 153S, et elle dura six jours. 

Les réformateurs, dit un témoin de cette réunion, 
« eurent grande joie à voir ce peuple de constante fi- 
délité , cet Israël des Alpes à qui Dieu avait remis en 
garde depuis tant de siècles l'arche de la nouvelle 
alliance, s'empresser ainsi pour la cause de son ser- 
vice. Puis, dit-il, considérant avec intérêt les exem- 
plaires manuscrits du Vieux et du Nouveau Testament 
en langue vulgaire qui étaient parmi nous (on voit 
que c'est un Yaudois qui parle), lesquels s<nit correc- 
tement copiés à la main depuis si longtemps qu'on 
n'en a point souvenance, ils s'émerveillèrent de cette 
faveur céleste, dont un si petit peuple avait été par- 
tagé , et rendirent grâces au Seigneur de ce que la 
Bible ne lui avait jamais été retirée. Alors aussi^ par 
grand désir de rendre profitable à plus de gens le bé- 



— 183 — 

néfice de sa lecture , ils adjurèrent tous les autres 
frères , pour l'honneur de Dieu et le bien des chré- 
tiens, d'aviser à la répandre^ remontrant combien il 
serait nécessaire d'en faire une traduction générale 
en français, revue à mesure sur les textes originaux 
et imprimée en abondance.» Tous les Vaudois applau- 
dirent à ce dessein et, selon le texte précité, s'ac- 
cordèrent joyeusement à l'œuvre proposée (1). Ainsi, 
c'est à l'existence de ces anciens manuscrits vaudois, 
les premiers qui eussent reproduit la Bible en langue 
vulgaire (appelée alors la langue romane), que le 
monde chrétien a dû plus tard la première traduction 
complète de la Bible, imprimée en français. 

Cette décision préalable du synode vaudois ne fut 
pas, on le voit, une des moins importantes. On passa 
ensuite à la discussion des articles sur lesquels il exis- 
tait quelque diversité d'opinion entre les Vaudois et 
les réformateurs. 

La première question qui fut examinée avait pour 
objet le serment. Jésus-Christ a dit « que votre oui soit 
oui, que votre non soit non. » (Math. V, 37.) Le chré- 
tien ne doit jamais mentir. Lorsqu'on lui défère le 

(1) Ces détails sont tirés des préliminaires de la Bible d'OlivéUn , au 
recto do troisième feuillet : ApoiogU du Irantkttetw. 



— 484 — 

serment, lui est-il permis de jurer? L'assemblée con- 
clut à TaSirmation. 

La seconde question reçut la réponse suivante : 
a Nulle œuvre ne doit être appelée bonne que celles 
que Dieu a commandées; nulle ne doit être appelée 
mauvaise que celles qu'il a défendues. » Cette doc- 
trine, qui semble impliquer la possibilité de choses in- 
différentes dans la vie de l'homme, apportait une lé- 
gère modification aux anciennes croyances des Vau- 
dois par lesquelles tout en nous est ou bien ou mal, 
sans exception. 

En troisième lieu, la confession auriculaire est re- 
poussée comme contraire à TEcriture; mais la confes- 
sion mutuelle et la répréhension secrète sont main- 
tenues. 

La question suivante est biffée dans le manusciit 
contemporain dont nous tirons ces détails; elle est 
ainsi conçue : La Bible nous défend-elle de travailler 
le dimanche? — Conclusion : Thomme ne doit s'oc- 
cuper ce jour-là qu'à des œuvres de charité ou d'édi- 
fication. 

Ou lit ensuite : Les paroles articulées ne sont pas 
indispensables à la prière; s'agenouiller, se frapper 
le front, trembler et s'agiter, sont choses superflues. 



— 485 — 

Il a été conclu que le service divin doit se foire en es- 
prit et en vérité. 

L'imposition des mains est-elle nécessaire ? — Cette 
question et sa réponse sont également biffées dans le 
nianuscrit; mais les termes peuvent encore s'en lire , 
les voici : Les apôtres ont fait usage de l'imposition 
des mains, ainsi que les Pères de l'Eglise ; mais c'est 
une chose extérieure, laissée à la liberté de chacun. 

La treizième question porte que le mariage n'est 
interdit à personne ; la quinzième , que vouloir im- 
poser des vœux de célibat , est une chose et une 
œuvre antichrétienne. 

Les huit derniers articles sont les suivants : 

XVni. Toute espèce d'usure est défendue dans la 
Parole de Dieu. (On entendait alors par usure la per- 
ception d'un intérêt quelconque pour de l'argent pré- 
té.) Cette phrase est encore effacée ; mais on lit en- 
suite que les prêts doivent être effectués et convenus 
en tout office de charité. 

XIX. Tous les élus ont été désignés avant la fonda- 
tion du nK)nde. 

XX. Il ne se peut faire que ceux qui doivent être 
sauvés ne le soient pas. 



— 486 — 

XXI. Quiconque établit le libre arbitre nie complè- 
tement la prédestination de Dieu. 

XXn. Les ministres de la parole de Dieu ne doivent 
pas être errants , ni changer de résidence , à moins 
que ce ne soit pour le bien de TEglise. 

XXIII. Ils sont autorisés à avoir, pour nourrir leur 
famille, d'autres revenus que les fruits de la commu- 
nion apostolique. — Il est ensuite question des sacre- 
ments qui, d'après les saintes Ecritures, se réduisent 
à deux : le baptême et la sainte cène. 

On voit que les questions les plus diverses, de culte, 
de discipline et de doctrine, furent agitées dans 
cette intéressante réunion. Elle se termina par des 
paroles toutes de fraternité et de prière. 

«Puisqu'il a été selon le bon esprit du Très-Haut, 
y [est-il dit, de permettre que nous nous trouvions en 
ce lieu un si grand nombre de frères réunis, nous 
avons adhéré d'un commun accord à la présente dé- 
claration. L'esprit qui nous anime étant, non des 
hommes, mais de Dieu, nous le prions que selon les 
vues de sa charité, rien ne nous divise désormais; et 
que, lorsque nous nous serons éloignés les uns des 
autres , nous demeurions toujours unis dans ce 
même esprit, soit pour enseigner ces doctrines, soit 



pour expliquer à autrui les saintes Ecritures, d 
Telle fut la déclaration signée par la plupart des 
assistants. Mais cet accord ne fut cependant pas una- 
nime, car il y eut, dit Gilles, plusieurs contredisants, 
et deux pasteurs, ayant refusé de signer, se retirèrent 

du synode. 

Ainsi, quoique appuyées sur TEvangile, cespremiè- 
res formules écloses au souffle des hommes, devinrent 
dans l'Eglise vaudoise la cause du premier schisme 
qui s'y manifesta. 

On doit observer, néanmoins, que les deux pasteurs 
dissidents n'étaient pas des Vallées, mais du Dauphiné. 

Ils se rendirent en Bohême auprès des frères de ce 
pays, qui entretenaient de rares mais constantes re- 
lations avec les Eglises vaudoises, au sein desquelles 
leurs conducteurs sphîtuels venaient s'instruire de la 
parole de Dieu. 

Les Barbas qu'ils y trouvèrent en exercice, avaient 
donc aussi passé dans leur jeunesse quelques temps 
aux Vallées. Mais le bruit de la croisade, dirigée con- 
tre elles en 1487, avait fait croire en Bohême à l'en- 
tière destruction de ces chèrei et primitives Eglises 
des Alpes. 

Les deux ministres qui en arrivaient alors, les rassu- 



•- 188 — 

rèrent à cet égard -, mais ils se plaignirent amèrement 
de ce que les docteurs étrangers y avaient apporté des 

doctrines nouvelles^ que le synode d'Ângrogne avait 
trop facilement accueillies. 

La-dessus les Eglises de Bohême écrivirent une 
lettre fraternelle à celles du Piémont, pour les enga- 
ger à ne pas se départir de leurs anciennes coutumes 
et à user surtout d'une grande circonspection en fait 
de doctrine. 

Les ministres dauphinois rapportèrent cette lettre 
aux Vallées, huit mois après qu'ils en étaient sortis. Un 
nouveau synode eut lieu à Pral, le 14 août 1533. On 
y prit connaissance de la missive des frères de Bohê- 
me, auxquels il fut répondu que nulle doctrine n'avait 
été et ne serait depuis reçue dans l'Eglise vaudoise 
par autorité de docteurs humains, mais seulement par 
celle de la Bible. Cette assemblée synodale sanctionna 
du reste les décisions qui avaient été prises Tannée 
précédente. 

Les pasteurs étrangers, persistant dans leur dissi- 
dence, se retirèrent d^s Vallées; mais un fait moins 
excusable que leur dissentiment fut la soustraction de 
divers manuscrits et mémoires anciens, concernant 



— 189 — 

l'histoire des Vaudois, dont ils s'emparèrent avant de 
partir. 

Pendant que la dissidence se signalait d'une ma- 
nière aussi peu honorable, le corps sévère et dévoué 
du clergé vaudois suivait fermement les sentiers de 
la foi agissante par la charité, en donnant les soins 
les plus assidus à la version de la Bible que le synode 
d'Angrogne avait résolu d'imprimer. 

Depuis dix ans déjà, les quatre Evangiles avaient été 
publiés en français, par Lefebvre d'Ëtaples (1). Le 
reste du Nouveau Testament, puis des fragments de 
l'Ancien, parurent à Anvers, de 1525 à i534t. Olivétan, 
chargé de diriger la version vaudoise, profita sans dou- 
te de ces travaux; mais il est à croire que d'autres 
Vaudois l'aidaient aussi, car la préface de la Bible qui 
porte son nom, est datée des Alpes, ce VII de Féhvrier 
1535. C'est un beau volume in-folio, de près de deux 
mille pages (car les feuillets ne sont pas numérotés). 
Il est imprimé sur deux colonnes en caractères go- 
thiques, d'une netteté remarquable, et porte le titre 
suivant : La Bible qui est toute la saincte escripture, en 
laquelle sont contenus le Vieil Testament et le Nouveau, 
translates en françoys, le Vieil de Lebrieu et le Nouveau 

(1) Imprimés à Paris en 1523. 



— 490 — 

^ du Grec. On lit ensuite cette épigraphe tirée du pro- 
phète Ësaïe : Ecoutez cieulx, et toi terre preste lau- 
reille, car Letemel parle. Le nom du prophète cité 
est écrit Isaiah, ce qui rappelle mieux c(ue notre or- 
thographe moderne la prononciation hébraïque. La 
date de cette publication est consignée à la fin du vo- 
lume, en ces termes : achevé dimprimer en la ville et 
comté de Neufchastelypar Pierre de Wingle, dictPtroty 
tan M.D.XXXVf le iiijsmejour de Juing. Cette Bible 
coûta aux Yaudois quinze cents écusd'or; et Ton de- 
vrait s'étonner qu'un si petit peuple ait pu se soumet- 
tre à des sacrifices aussi considérables, si Ton ne 
savait que la foi rend possibles les œuvres les plus 
grandes, et que le plus faible peut tout quand Christ 
le fortifie. 

Cette entreprise , conçue sous l'influence de Farel 
qui était Français, fut aussi poursuivie spécialement 
en vue de l'Eglise réformée de France. 

Les Yaudois, qui s'adressent à elle comme à une 
sœur, lui disent dans la préface, en rappelant l'asile 
que les disciples de Valdo vinrent chercher auprès 
d'eux : a Le pauvre peuple qui te fait ce présent, fut 
deschassé et banni de ta compagnie il y a plus de trois 
siècles; c'est le vrai peuple de patience, lequel, en foi, 



— 491 — 

espoir et charité, a silencieusement vaincu tous les 
assauts et efforts que Ton a pu faire à rencontre de 
lui.» — (X C'est le peuple de joyeuse affection et de con- 
stant courage , répondent les Eglises de France pir 
l'organe d'un de leurs synodes ; son nom est le petit 
troupeau ; son règne n'est point de ce monde; sa de- 
vise est piété et contentement; c'est une Eglise qui 
a combattu , brune et hâlée au dehors, belle et de 
bonne grâce au dedans: de laquelle la plupart d'entre 
nous ont méconnu les traces ; car le zèle de la religion 
n'est plus qu'aux monuments de l'histoire et aux 
cendres de nos pères, lesquelles sont encore chaudes 
de leur ardeur à la propagation de TEvangile. » 

Ces belles paroles , si vraies à cette époque , plus 
vraies encore de nos jours, sont extraites d'un petit 
ouvrage composé par l'ordre du synode de Briançon, 
tenu du 2S^ au 30 de Juin 1620. Il est ainsi intitulé : 
Brief discours des persécutions advenues en ce temps 
aux Eglises du marquisat de Saluées. 

Ces Eglises faisaient aussi partie de la grande fa- 
mille vaudoise; et c'est d'elles que bientôt nous de- 
vons nous entretenir. Mais avant de terminer ce 
chapitre, disons encore que le ministre vaudois dans 
la paroisse duquel s'était tenu le synode de 1532, 



le Barba Martin Gonin, pasteur d'Angrogne, pour 
compléter Tœuvre d'enseignement et de rénovation 
instituée par ce synode , se chargea d'aller lui-môme 
fff Genève pour y chercher les ouvrages religieux né- 
cessaires à ses compatriotes. Il avait autrefois visité 
les Eglises de la Provence, il allait maintenant visiter 
celles de la Suisse. Cette mission chrétienne, que les 
ennemis de TEvangile rendaient fort périlleuse, fut 
entreprise en 1536. 

La Bible des Vaudois avait été publiée en 1535. 

Ainsi, un an après avoir répandu dans le monde le 
livre des livres, ce peuple, aussi avide de s'instruire 
que d'enseigner, redemandait au monde le tribut 
des lumières que la Bible y avait ^it éclore. 

Déjà en 1526, Gonin avait fait un voyage auprès 
des réformateurs et en avait rapporté un grand nom- 
bre de livres. Le digne Barba repartit des vallées 
deux ans après, au sortir de l'hiver, parce que les 
chemins étant alors plus difficiles et moins fréquen- 
tés, étaient aussi moins surveillés. Un autre Vaudois, 
nommé Jean Girard, l'accompagna à Genève, oii il 
avait le projet de fonder une imprimerie, spéciale- 
ment destinée à pourvoir aux besoins de ses com- 
patriotes, n la fonda en effet, et eut plus tard l'occa- 



— 193 — 

sion d'imprimer le récit des premières persécutions 
intentées aux Yaudois dans le seizième siècle. 

Quant au Barba Martin Gonin , après avoir fait 
choix des livres qu'il était chargé d'acquérir, il se 
remit en route pour les vallées vaudoises, au mois 
de mars 1536. 

Le duc de Savoie était alors en guerre avec le roi 
de France, qui venait de s'emparer de la Bresse, de 
la Savoie et d'une grande partie du Piémont. Les 
Bernois profitèrent de ces circonstances pour reven- 
diquer la rive droite du Léman, que le duo de Savoie 
possédait encore. C'est alors qu'ils s'emparèrent du 
pays de Yaud, et embrassèrent la réformation. Ils 
avaient envahi jusques au Chablais et au pays de Gex. 

Pour éviter tous ces conflits , Martin Gonin du 
suivre une route différente de celle qu'il avait prise 
d'abord; il passa par la France; et comme il traver- 
sait le Champsaur pour se rendre dans le Gapençois 
et gagner de là les vallées vaudoises du Dauphiné^ 
on le soupçonna d'être un espion du duc de Savoie, 
et il fut arrêté. On le conduisit à Grenoble, où il dut 
répondre à l'interrogatoire que lui firent subir quel- 
ques membres du parlement 3 mais ceux-ci ayant 



— 494 — 

reconnu son innocence, ordonnèrent qu'il fftt mis 

en liberté. 
Le geôlier, avant de déférer à cette décision et dans 

le but sans doute de dépouiller son prisonnier des 
valeurs qu'il eût trouvées sur lui, se permit de le 
fouiller, sous prétexte de ne rien lui laisser de sus- 
pect. 

S'étant livré à cette brutale recherche, il lui sem- 
bla reconnaître des papiers cachés sous la doublure 
de son habit. Ce n'étaient que des lettres fraternelles 
de Farel, de Saulnier, et d'autres ministres de Ge- 
nève, que ces dignes serviteurs du Christ adressaient 

à leurs coreligionnaires des Vallées, par l'intermé- 
diaire de leur pasteur. 

Le geôlier s'empara de ces cciits, et pour se jus- 
tifier aux yeux des juges, !peut-être même pour se 
faire un mérite de sa mauvaise action, il les livra au 
prévôt, qui ordonna de remettre Gonin en prison. 

Deux jours après, le captif fut soumis à un nouvel 
interrogatoire, comme accusé de luthéranisme. In- 
vité à répondre : Je ne suis pas luthérien, dit-il, car 
Luther n'est point mort pour moi, mais seulement 
Jésus-Christ dont je porte le nom. — Quelle est la 
doctrine?— Celle de l'Evangile. —Vas-tu à la messe? 



— 196 — 

— Non. — Reconnais-tu rautorité du pape? — Non. 

— Reconnais-tu ceDe du roi ? — Oui; parceque toute 
puissance qui subsiste est établie de Dieu. — Mais 
le pape est aussi une puissance qui subsiste. — Elle 
ne subsiste que par Tappui du diable. — A<;es derniers 
mots les juges, hors d'eux-mêmes, au lieu de poursui- 
vre Texamen de Taccusé qui demandait à prouver 
toutes ses croyances par la Bible, lui imposèrent si- 
lence, le déclarèrent hérétique et le condamnèrent à 
mort. 

Mais Grenoble était une ville plus éclairée que Di- 
jon. Les lumières nouvelles y avaient pénétré. Les 
seigneurs de Bonne, de Viiiars, de Mailhet, de Bar- 
donanche et d'autres familles de haut lignage, pré- 
paraient déjà pour les luttes prochaines de puissants 
défenseurs à la réformation. On craignit que le lan- 
gage évangélique du Barbe vaudois, n'éveillât trop 
de sympathies, et Ton voulut que son exécution 
n'eût pas lieu en public; appréhendant, disent les 
relations, que par sa douceur et son bien dire, il n'é- 
branlât les assistants. En conséquence il fut résolu 
qu'on l'étranglerait de nuit et qu'on jetterait ensuite 
son corps dans l'Isère, 



Pendant ce temps Thumbie martyr priait pour l'a- 
vancemeut du règne de Dieu , pour sa malheureuse 
famille, pour son Eglise et ses compatriotes. 

Seigneur 1 disait-il, du fond des ténèbres de son 
cachot, daigne avancer cet heureux temps où il n'y 
aura plus qu'un seul troupeau et un seul berger ! 

Il se consolait du présent par Tespérance de Tave- 
nir, et le Seigneur exauça sa prière en avançant 
pour lui cet état dans les cieux. Le 26 avril 4536 , 
vers les trois heures du matin, des pas inaccoutumés 
retentirent sur Tescalier humide' de sa prison. Une 
lanterne sourde en éclairait les marches désolées. La 
porte s'ouvrit , et le boun'eau avec ses aides parut 
sur le seuil. — Je vois bien ce que vous venez faire, 
dit le pasteur, prêt à mourir; mais croyez- vous trom- 
per Dieu? — En quoi? reprirent-ils. — Vous voulez 
me jeter dans la rivière sans que personne ne me 
voie; mais Dieu ne vous verra-t-il pas? — Préparez 
vos cordes : dit le bourreau à ses agents, sans répon- 
dre au chrétien. -^ Et vous, pauvres pécheurs, dit 
Gonin aux autres prisonniers, un seul fait grâce: 
c'est Jésus-Christ ; et quand même vos âmes seraient 
rouges comme le vermillon, il les rendrait blanches 
comme la neige. — Que signifie ce langage? disaient 



ses compagnons d'infortune. — Les souillures les 
plus ineffaçables même devant les lois humaines , 
reprit-il, peuvent être effacées par lui. 

Amendez-vous, et convertissez- vous, car le royaume 
de Dieu est proche. 

Ces cordes sont-^Ues prêtes? interrompit le bour- 
reau. Les aides s'avancèrent; et ces exécuteurs de ce 
qu'on appelle la justice humaine lièrent les mains du 
martyr. Puis on le conduisit sur les bords de l'Isère. 
Là le bourreau l'ayant attaché par un pied, le laissa 
s'agenouiller et prier Dieu; puis, il lui entoura le cou 
d'une petite corde, et y passa un bâton qu'il fit tour- 
ner de manière à ce qu'elle se serrât toujours davan- 
tage. Ne pouvant plus respirer, Gonin tomba par 
terre. On acheva de l'étrangler, et lorsqu'on l'eut vu 
immobile on le jeta dans la rivière. Mais la fraîcheur 
de Feau ramena la vie dans le sein du condamné; 
son corps tressaillit; ses membres s'agitèrent : doit-il 
survivre à ce supplice? Non; le bourreau retenait 
d'une main prévoyante et ferme la corde qu'il avait 
attachée au pied de sa victime. laissa flotter ce 
corps convulsif et moribond, jusqu'à ce que son ago- 
nie ffit achevée. Les secousses imprimées au lien 
devenaient de plus en plus faibles; et lorsque les 



— 498 — 

derniers tressaillements se furent éteints, dans cette 
double asphyxie de la corde et de Teau , le lien 
fut coupé, et Teau entraîna le cadavre du martyr 
vaudois, dont Tâme était remontée dans les cieux* 



(fflAPITRE Vin. 

HISTOIRE 

DE DIVERS MARTYRS. 



SonicBg ST AUTOftiTis. — PeiTin , p. 151-160. — Gilles , p. 53, 67 , 74, 
m, 180, 908,390, 318, 436, 454, 853 ete. -^ Léger, Ile partie, p. flft- 
138.— Crespin, édit. fol. de 1619, f. 3, 117, 320-334, 418-432. — Rorengo, 
Mmorie hittotiehe,..* p. 64, 66. — >Founiier : Hittoirê iêt Alpes maritimeê 
9t 6o(tienne«, et particulièrement d'Embrun leur métropolitaine,,., etc. Mar 
nuscrit in-fol. Traduction de JaTénig ; bibl. du petit Sémin. à Gap. fol. 260- 
390. (L'onginftl eii en latin, et dam la bibl. de Lyon. -^ Une «opie eat à 
Paris.) -^Cartulaire de V Abbaye d'Oulx , MSC.fol., Arcli.de TEv. de Pi- 
gnerol. — JfetnotrM des capucine missionnaires (en italien) même source. 
- ArclÛTea de Grenoble (de U cour des Comptes, du iparlement et de VA^- 
eien Evèché.) — A rechercher : documents extraits des Archives du Saint' 
Ofiee et de V Archevêché de Turin; des Bvéchés ou munioipaUtéa d'Asti, de 
(^gnan, de Pancalierf de CaraU, de Saluées et de Suze^ enfin, les Archi' 
w de flnquisifion à Rome. 

n n'est pas de ville en Piémont, disait un Bàvba 
vaudois dans ses mémoires (1) , où n'ait été mis à 
mort quelqu'un de nos frères. 

Jordan Tertian fut brûlé vif à Suze; Hippolyte 
Roussier fut brûlé à Turin ; Villermin Ambroise, pen- 
du sur le col de Jtféane ; Ugon Cbiamps de FenestreUe, 

(1) Tignaux, cité par Perrin, p. 151. 



— 200 — 

fut pris à Suze, et conduit à Turin, où on lui arracha 
les entrailles, qui furent vidées dans un bassin, sans 
même que cetafBreux supplice terminât son martyre. 
Pierre Geymonat de Bobi périt à Luzerne , avec un 
chat vivant dans le corps; Marie Romain fut enterrée 
vivante à Roche-Plate; Madeleine Fontane subit le 
même sort à Saint-Jean; Michel Gronet, presque cente- 
naire, fut brûlé vif à la Sarcena; Suzanne Michelin, 
au même lieu, fut laissée mourante sur les neiges. 

Barthélemi Frache, tailladé à coups de sabres, eut 
les plaies remplies de chaux vive, et expira ainsi à 
Fenil. Daniel MicheUn eut la langue arrachée à Bobi, 
pour avoir loué Dieu. Jacques Baridon périt, couvert 
de mèches soufrées, qu'on lui avait attachées entre 
les doigts, les lèvres, les narines et toutes les parties 
du corps. Daniel Rével eut la bouche remplie de 
poudre à laquelle on mit le feu, et dont l'explosion 
fit sauter sa tête en éclats. Marie Mounin fut prise 
dans la combe de Liousa; on lui enleva la chair des 
joues et du menton, de manière que la mâchoire 
était à nu , puis on la laissa périr ainsi. Paul Gamier 
fut déchiqueté lentement à Rora, Thomas Marguet 
mutilé d'une manière inouïe au fort de Mirabouc, Su- 
zanne Jaquin taillée en pièces à la Tour. 



— Î0< — 

Plusieurs jeunes filles du Taillaret, afin d'éviter 
des outrages plus redoutables pour elles que la mort^ 
se précipitèrent et périrent dans les rochers. Sara 
Rostagnol fut fendue vivante par le milieu du corps, 
et laissée naoribonde sur la route des Ëyrals à Lu- 
zerne. Anne Charbonnier se vit empalée et portée 
m&\j en guise de bannière, de Saint-Jean à la Tour. 
Daniel Rambaud, à Paêsane, eut les ongles arrachés, 
puis les doigts coupés , puis les pieds et les mains 
abattus à coups de haches , puis les bras et les jam- 
bes séparés du corps, à chaque refus qu'il faisait d'ab- 
jurer l'Evangile. 

n n'est pas un rocher, dans les vallées vaudoises, 
qui ne soit un monument de mort, pas une prairie 
qui n'ait vu quelque supplice, pas un village qui n'ait 
eu des martyrs. 

Nulle histoire, si complète qu'elle soit, ne peut les 
faire connaître tous. Nous rapporterons à mesure les 
faits les plus saillants, à la suite des circonstances qui 
les ont amenés. Dans ce chapitre nous ne voulons 
que réunir ceux qui se sont produits d'une manière 
isolée avant l'époque des grandes persécutions. 

Les vallées du Dauphiné inscrivent dans ce marty- 
^%e le premier souvenir. 



m 

Deux ans après le martyre de Marlin Gonin, à Gre- 
noble, un jeune homme, nommé Etienne Brun, né à 
Réortiw, dans la vallée de la Durance, fui emprisonné 
à Embrun comme hérétique. 

C'était un simple fermier; mais Dieu tire sa gloire 
des existences les plus humbles, et choisit souvent 
les choses les plus faibles pour confondre les fortes. 

Etienne avait une femme et cinq enfants; on essaya 
d'obtenir son abjuration au nom de sa famille. Ma 
famille, dit-il, est en ceux qui font la volonté de Dieu ! 

— Veux-tu donc laisser ta femme veuve et tes en- 
fants orphelins ? 

— Je ne vous laisserai point orphelins , leur dit 
Jésus-Christ. C'est le céleste époux des âmes fidèles. 
Un rédempteur immortel vaut mieux qu'un mari qui 
doit mourir. 

— Mais lu peux retarder ta mort en venant à la 
messe. 

— Dites, au contraire, que je la hâterais, car ce se- 
rait la mort de mon âme. 

— Ne crains-tu pas le supplice qui s'apprête pour 
toi? 

— Ne craignez pas, dit Christ, ceux qui ne frappent 



— 203 — 

que le corps, mais bien celui qui peut jeter le corps 
et rame dans la géhenne. 

— Alors, prépare-toi à mourir ! 

— Je me prépare à l'immortalité. 

Et lorsqu'on vint lui annoncer sa condamnation, il 
s'écria que c'était son affranchissement. 

Le jour du suppliée étant arrivé , le bourreau vint 
lui déclarer sa mort prochaine. — C'est la vie , dit-il, 
que vous m'assurez par là ! 

On était au i 6 septembre 1538 ; il faisait de l'orage ; 
Etienne fut attaché au centre d'un bûcher, qui avait 
été élevé sur l'esplanade de l'évêché d'Embrun. 

A peine le feu y eut-il été mis , qu'il s'activa prodi- 
gieusement sous les pieds du martyr. Mais la flamme 
emportée par le vent montait à peine jusqu'à sa poi- 
trine, et ne put l'étouffer, comme il arrive lorsqu'elle 
s'élève jusqu'au-dessus de la tête. Le feu lui dévora 
successivement les jambes et le bas du corps j mais 
Etienne respirait toujours, et vivait encore après une 
heure de ce cruel supplice. Une heure passée dans les 
flammes : quel siècle de douleurs ! 

Le premier martyr dont il soit fait mention dans 
l'Evangile, cet autre Etienne qu'on lapida, n'avait pas 
confessé le Sauveur avec plus de courage. 



— 204 — 

Quoiqu'on eût renouvelé le bois du bûcher, le feu 
semblait devoir s'éteindre sans emporter la vie du 
supplicié. Etienne était toujours debout comme Sha- 
drac dans la fournaise. Alors le bourreau qui tenait à 
la main un long crochet de fer ^ destiné à remuer les 
tisons y lui en donna un coup sur la tête pour le faire 
périr. Puis il lui en perça les entrailles, qui se répan- 
dirent sur le feu lorsqu'il retira son crochet. Enfin le 
corps d'Etienne étant tombé, on le couvrit de^bûches 
embrasées qui l'eurent bientôt réduit en cendres. 

Ceux qui veulent vivre selon la piété, dit sdnt Paul, 
souflriront persécution. Jérémie et Daniel furent jetés 
dans la fosse aux lions; Esaïe fut scié avec une scie de 
bois; Zacharie fut tué entre le temple et l'autel; saint 
Jean, décapité. Quel est le prophète que vos pères 
n'aient persécuté? disait le^ premier Etienne aux. pha- 
risiens. Ce martyr lapidé vit les cieux ouverts avec 
le Fils de l'homme, qui, assis à la droite du Père, 
l'appelait à lui. Le pauvre martyr de Réortier ex- 
pira sans prodiges extérieurs; mais Dieu en faisait 
en lui. 

«Quelle est donc la puissance d'un martyr? s'écrie 
un cffateur catholique. C'est d'avoir mille fois raison , 
et de pouvoir dire : Tuez-moi ! mais vous ne me ferez 



— 205 — 

pas changer de langage. Je ne connais pas de pui^ 
sance au monde plus formidable que celle d'un 
homme convaincu se laissant immoler pour ses 
doctrines. C'est ainsi qu'a conunencé le salut de 
l'univers. » 

C'est ainsi , pouvons-nous ajouter , que TEglise 
chrétienne s'est maintenue dans les vallées vaudoises, 
et qu'elle s'est réveillée dans le monde à la voix des 
réfonnateurs. 

Mais la puissance antichrétimme , que saint Paid 

nomme le fils de perdition^ et qm s'élève au-dessus de 

, tout ce qu'on appelle Dieu , en s'opposant à Dieu 

ne s'attachait qu'à détruire la Bible pour maintenir sa 

I^imauté. 

Un colporteur biblique en fut alors victime; et 
quoique étranger aux vallées vaudoises y son souvenir 
doit trouver place dans leur histoffe , puisqu'il servit 
leur cause et mêla son sang à celui de leurs martyrs. 

Barthélémy Hector était né à Poitiers. Ayant apfHris 
à connaître l'Évangile , il se retira à Genève avec sa 
femme et ses enfants. Là, pour gagner la vie de sa pe» 
tite famille , il allait de côté et d'autre , vendant des 
exemplaires de la sainte Écriture. Il était venu en Pié« 
QK)Qt, au mois de juillet iS55 , et déjà il avait placé 



►»» 



— 206 — 

un grand nombre de Bibles dans les hameaux des 
vallées vaudoises. 

Un jour, étant monté jusques au plus hauts chalets 
des montagnes d'Angrogne , il s'arrêta à TAlp de la 
Vachère. (On nomme Alp, ou Alpage, le lieu dans le- 
quel les bergers vaudois conduisent leurs troupeaux 
en été. Pendant la courte absence des neiges, ces 
cimes élevées semblent se hâter de fleurir et prodi- 
guer alors en quelques jours toutes les richesses de 
leur végétation annuelle.) Le lendemain , il se rendit 
plus haut encore, à TAlp de Tlnfernet^ qui domine de 
ses pentes rapides les immenses rochers du Pra-du- 
Tour. Ce colporteur ne se laissait pas arrêter par les 
obstacles du chemin, et le poids de ses Bibles lui pa- 
raissait léger en songeant au bien qu'il allait faire; 
car on ne doit pas oublier qu'à ces grandes hauteurs , 
si éloignées des demeures habituelles de la population 
vaudoise , les pfttres et les alpagers qui suivent leurs 
troupeaux, sont nécessairement privés d'une partie de 
la nourriture spirituelle, qui leur serait offerte au 
centre de leur paroisse. 

Barthélémy Hector, satisfait sans doute de son 
excursion, résolut d'aller de TAlp de l'Infemetà celui 
du Laouzoun, et de se rendre de là dans la vallée de 



— 207 — 

Saint-MartiD. Mais en descendant il fut arrêté à Rio- 
claret par les seigneurs du lieu, nommés Truchet, qui 
le firent conduire à Pignerol ^ d'où Ton transmit au 
sénat de Turin le catalogue de ses livres. 

Après ravoir laissé gémir et prier pendant sejfit 
mois d'oubli, dans les prisons de Pignerol, on s'avisa 
enfin d'instruire son affaire. Son premier interroga- 
toire eut lieu le 8 de mars 4556. 

— Vous avez été surpris vendant des livres hérétir 

m 

quesjlui dit-on. 

—Si la Bible contient des hérésies pour vous , elle 
est la vérité pour moi. 

—Mais on se sert de la Bible pour détourner les 
gens d'aller à la messe. 

— Si la Bible les en détourne y c'est que Dieu ne 
l'approuve pas ; car la messe est une idolfttrie* 

Cette dernière réponse aggravait singulièrement sa 
position , aux yeux des défenseurs du culte officiel , 
qui hors de soi ne reconnaît pas de salut. 

— Hors de Christ^ disait le colporteur, point de salut 
sans doute; et par sa grftce je ne l'abandonnerai pas. 

Son interrogatoh*e fut repris le lendemain. Il vou- 
lait exposer les doctrines évangéliques. 



— 208 — 

*- Nous ne discutons pas avec l'erreur , lui dit le 
tribunal. 

— Mais les juges sont établis pour discerner l'er^ 
reur de la vérité^ laissez-moi donc prouver que je suis 
dans la vérité. 

•— Si vous n'êtes pas dans TËglise, vous n'êtes pas 
dans la vérité. 

— Je suis dans l'Eglise de Christ, et je le prouve par 
PEvanglle. 

— Rentrez dans l'Eglise romaine si vous voulez con- 
server votre vie. 

— Celui qui voudra conserver sa vie la perdra^ dit 
Jésus; et celui quila perdra pour moi^ vivra éternelle- 
ment. 

— Réfléchissez à l'abjuration qui vous est deman- 
dée : c'est le seul moyen qui vous reste de vous 
sauver. 

— Qu'importe de sauver mon corps si mon ftme est 
perdue ? 

Les instances et les menaces qui furent IBûtes pour 
obtenir son abjuration, demeurèrent donc inutiles. 
Alors il ftit envoyé à Turin. 

Ce n'était pas le duc de Savme qui y régnait alors, 



— 809 — 

mais François I*', neveu de Charles ITI, qu'il en avait 

chassé. 

Barthélémy Hector parut devant ses nouveaux juges, 
qui étaient fort disposés à la clémence. Mais la fer- 
meté de ses convictions ne pouvait se pUer à aucun 
compromis. 

— Si vous ne voulez pas abjurer votre foi, rétractez 
da moins vos premières déclarations. 

—Prouvez-moi qu'elles sont erronées.' 

^ n ne s'agit pas ici de prouver, mais de vivre. 

— Ma vie est dans ma foi ; c'est elle qui m'a fait 
parler. 

Les juges n'osant prendre sur eux de condamner 
un homme si simple et si persévérant, à qui on n'avait 
aucun crime à reprocher, rendirent un arrêt, daté 
du 28 mars iS56, par lequel ils déféraient la cause 
aux inquisiteurs. 

C'était faire comme Pilate , qui renvoyait du pré- 
toire entre les mains des brigands. 

Le 27 avril , l'humble colporteur parut devant le 
saint-office, n est à croire que son langage évangé- 
lique et pénétrant, la foi sincère de son âme, son air 
modeste et résigné, troublèrent encore la conscience 
(le ce tribunal; car les inquisiteurs ajournèrent la 



6 



♦♦♦ 



^aose, et s'adjoigniieat pour la juger les vicaires gé- 
néraux de rarchevéché de Turin et de Tabbaye de 
Pignerol. 

En leur présence Hector fut toujours le même; il 
changeait de juges» mais non de cause. 

On hii renouvela Tassurance que, pour une simple 
rétractation, on lui'laisserait la vie» 

De plus grands honunes que lui n'y ont pas re- 
gardé de si près. Mais les premiers sur la terre sont 
souvent les derniers dans les ci^ux. Lui qui était l'un 
des derniers ici-bas, manifesta une force et une dou- 
ceur célestes contre ces tentations. 

-^ J'ai dit la vérité : comment puis-je changer de 
langage et faire une rétractation ? PeutK)n changer de 
vérité comme de vêtement ? 

Ah ! le pauvre colporteur de Bibles était bien digne 
de cette grande mission^ ses mains pieuses ne pro- 
fanaient pas le livre de vie qu'il distribuait aux hom- 
mes; pourquoi faut-il que les hommes lui en aient 
fait une sentence de mort? 

On lui laissa cq[)endant un nouveau délai pour ré- 
fléchir et abjurer ; mais plus il y réfléchissait, plus il 
était convaincu. L'éternité se fût passée qu'il n'aurait 
pas abjuré. 



Ce délai expirait au S8 de mai ; on le prolongea 
jusqu'au 5, puis jusqu'au 10 de juin, en Texhortant 
toujours à se dédire. Il est plus difScile peut-être de 
résister aux instances de Tindulgence qu'à la violence 
des rigueurs. Mais Hector, sans sortir de son humi- 
lité, ne fléchit pas d'une ligne, disant que quiconque 
retrancherait un point de la parole sainte, perdrait sa 
part du royaume des cieux. 

Il préféra perdre plutôt sa part , déjà si troublée, 
d'existence terrestre. 

Le tribunal ecclésiastique^ fidèle aux traditions de 
Rome, par lesquelles si souvent les commandements 
de Dieu ont été anéantis, ne put que le déclarer cou- 
pable d'hérésie. 

Mais il le fit comme à regret y car, en le livrant au 
bras séculier, il le recommanda à l'indulgence des 
juges qui devaient prononcer la peine encourue pour 

ce crime. 

La loi était formelle ; la peine était la mort. Les 
juges séculiers le condamnèrent donc à être brûlé vif, 
sur la place du château, à Turin, un jour de mar- 
ché. Cet arrêt est du 19 juin 1556; mais eu égard 
à la recommandation des juges ecclésiastiques, la 



cour autorisa le bourreau à étrangler le condamné, 
au moment où Ton allumerait le bûcher. 

Lorsque la sentence lui fut lue dans sa prison : 

a Gloire à Dieu ! s*écria-t-il , de ce qu'il me juge 
digne de mourir pour son nom! » 

D'autres personnes vinrent encore pour l'engager à 
abjurer, lui promettant d'obtenir à cette condition 
que la sentence fût révoquée. 

Hector les engagea à se convertir, et à embrasser 
l'Evangile. Ses discours étaient si onctueux et si tou- 
chantS; qu'on le menaça de lui couper la langue s'il 
s'avisait de parler au peuple en allant au supplice. 
C'est peut-être la crainte de l'effet qu'il aurait pu pro- 
duire, qui explique la longue indulgence de ses juges. 

Quoi qu'il en soit, Hector ne tint compte de cette 
menace, et pendant tout le trajet qu'il accomplit de 
sa prison jusqu'au bûcher , il ne cessa de faire en- 
tendre des paroles chrétiennes. 

Assurément cet homme avait en lui une puissance 
que subissaient à leur insu ses juges effrayés; car, au 
moment où il montait sur le bûcher, un nouvel émis- 
saire arriva de la part de la cour, pour lui promettre 
encore la vie et la liberté s'il voulait seulement ré- 
tracter ses opinions hérétiques. 



— 213 — 

il n'aurait eu qu'à dire : je désavoue toute hérésie; 
cela ne l'engageait à rien , il eût conservé ses croyan- 
ces, il fftt rentré au sein de sa famille: combien de 
puissantes raisons on eût pu invoquer pour excuser 
de telles réticences ! 

Mais ces formules insidieuses n'étaient pas même 
soupçonnées par la franchise du chrétien; c'eût été 
pour lui désavouer sa foi , se renier lui-même. Aussi^ 
en face du bûcher qui allait le réduire en cendres^ près 
du bourreau qui allait l' étrangler , à cette nouvelle inat- 
tendue d'une grâce qu'il lui eût été si facile de saisir, 
l'humble colporteur des Alpes, au lieu de répondre à 
rémissahre, s'agenouilla, disant: a Seigneur, fais-moi 
la grâce de persévérer jusqu'à la fin ; pardonne à ceux 
dont la sentence va délier mon âme de son corps; ils 
ne sont pas iniques, mais aveuglés. Seigneur, éclaire 
de ton esprit ce peuple qui m'environne et amène-les 
bientôt tous à la connaissance de la vérité. » 

Qr le peuple pleurait, s'étonnantque l'on fit mourir 
un tel homme, qui ne parlait que de Dieu. 

Mais les bourreaux ayant reçu l'ordre d'accomplk 
leur office , firent monter Hector sur le bûcher ; on 
mit le feu au bois , on jeta de la poudre et du soufer 



— 214 — 

sur le feu, pour voiler l'agonie du martyr, et au même 
instant il tomba étranglé. 

De sorte que sa mort fut très prompte, et Ton peut 
dire très douce , puisqu'il s'endormit avec tant de sé- 
curité dans le sein de Dieu. 

.A la même époque à peu près , un pasteur de Ge- 
nève , nommé Jean Vernoux , avait été envoyé dans 
les vallées vaudoises, pour exercer le ministère évan- 
lique. 

L'un des premiers compagnons d'œuvre de Calvin, 
il s'était trouvé avec lui au synode de Poitiers qui 
prépara l'organisation de l'Eglise réformée de France. 

Lorsqu'il vint aux Vallées, il était accompagné 
d'Antoine Laborie Quercy, ancien juge royal à Caiart, 
qui avait abandonné la magistrature pour se vouer 
plus activement à la cause de l'Evangile. 

Après avoir séjourné pendant quelques mois en 
Piémont, ils retournèrent ensemble à Genève, afin de 
s'occuper des arrangements nécessaires à leur établis- 
sement définitif chez les Yaudois. 

Ces arrangements étant pris, ces préparatifs termi- 
nés, ils repartirent de Genève pour les Vallées, accom- 
pagnés de deux amis nommés Batailles et Tauran, et 
d'un troisième nommé Tringalet , qui n'avait Fiuten- 



— 245 — 

tion de les suivre que jusqu'aux frontières de TEtat de 
Genève; mais qui, étant intimement lié avec Antoine 
Laborie j ne put se résoudre à s'en éloigner au mo- 
ment de la séparation. 

— Je ne le quitte pas, lui dit-il; j*iraî voir avec toi 
ces vallées vaudoises , qui ont précédé dans la voie 
du sâlut notre sainte réformation. 

— Les Yaudois n*ont jamais été réformés, dit un 
autre, ce sont encore des chrétiens primitifs, des té- 
moins de FEglise apostolique. 

—Vous augmentez mon impatience de les voir; le 
Seigneur m'y pousse; je ne veux pas vous quitter. » 

Sa décision fut prise ; ils ne se quittèrent pas. 

Les voilà tous les cinq en route pour les vallées du 
Piémont. 

Ayant déjà traversé une partie de la Savoie, ils arri- 
vèrent dans le Faucigny , où ils furent mystérieuse- 
ment prévenus d'avoir à se tenir sur leui*s gardes. 

Os se détournèrent des grandes routes , et prirent 
des sentiers de montagnes. Mais il paraît que l'aver- 
tisseur était bien renseigné, car dans les gorges du 
coi Tamis, ils furent cernés par des soldats de la ma- 
réchaussée qui se saisirent d'eux. 

Amenés prisonniers à Chambéry, ils ne dissimulé- 



— 216 — 

rent pas leur foi, et reçurent de nombreuses sollicita- 
tions tendant à les y faire renoncer. Mais la foi chré- 
tienne, lorsqu'on Fa éprouvée de cœur, n*est pas une 
compagne à laquelle on consente à renoncer si aisé- 
ment. 

Le 10 juillet 4555, après une longue conférence 
dans laquelle on chercha vainement à les convaincre 
d'hérésie, le juge instructeur s'écria : A quoi bon tout 
cela! ne savez-vous pas qu'on vous fera mourir 
comme hérétiques, si vous ne vous désistez pas? 

— Oui, reprit le pasteur Vernoux, la première chose 
que nous avons apprise de notre Maître , c'est que 
ceux qui le suivront doivent s'attendre à la persé- 
cution. 

— Mais Jésus ne vous commande pas de mourir? 

— Il nous dit que quiconque veut aller après lui 
doit se charger de sa croix ; et il porta la sienne au 
Calvaire. 

— Vous êtes bien jeunes; réfléchissez à votre 
avenir. 

— Notre avenir est dans les cieux, et loin de le dé- 
tniire vous nous l'assurez plus invinciblement. 

— Peut -on parler ainsi d'une condamnation à 
mort? 



— 217 — 

— C'est par elle que notre âme acquerra la pléni- 
tude de sa vie. 

Et malgré tout ce que les juges purent faire pour 
obtenir quelque concession de leur part, rien ne put 
triompher de l'héroïque fermeté de ces courageux 
disciples de Christ. 

Ah! ils étaient dignes de prêcher sa parole, ceux 
qui mouraient ainsi pour lui ! Heureux les pasteurs 
dont l'existence répond à de telles morts ! 

Déclarés coupables d'hérésie, les deux pasteurs^ 
Vernoux et Laborie, qui appartenaient déjà au clergé 
des Eglises vaudoises , et leurs trois compagnons de 
voyage, furent livrés aux tribunaux séculiers. 

Par une première sentence, datée du ai août 1555, 
ils ne furent (Condamnés qu'aux galères; mais le pro- 
cureur du roi appela de ce jugement, et le procès dut 
recommencer. 

Les égards que l'on avait pour eux semblaient aug- 
menter à mesure que leur affaire s'instruisait mieux. 
Ainsi, Laborie ayant refusé de prêter serment devant 
un crucifix , on lui apporta une Bible, ce qui était 
contraire aux usages reçus; car le papisme l'avait 
proscrite de partout. Puis, après son interrogatoire, 
le président s'efforça de lui démontrer avec bonté qu'il 



— 218 — 

pourrait vivre en paix et servir Dieu aussi librement 
daoB sa demeure qu'à Genève. 

Laborie^ qui préférait Texil, avec ses coreligiounai- 
t^f à sa patrie où ne régnait pas encore TEvangile, 
répondit avec douceur : — Les chrétiens primitifs se 
nommaient frères entre eux , et il faut des frères en- 
core aux chrétiens réveillés. 

-^ Mais ce n'est pas servir Dieu que de se retirer 
avec scandale de l'Eglise. 

— Le scandale vient de ceux qui ont abandonné la 
pureté de son service, et non de ceux qui y retour- 
nent. 

Alors le président , l'attaquant sur ses doctrines , 
chercha à lui prouver, par l'Ecriture sainte, que 
l'homme n'était pas prédestiné de toule éternité, soit 
au mal, soit au bien^ qu'un grand nombre de céré- 
monies catholiques, quoique superflues, étaient ce- 
pendant supportables, puisque l'Evangile ne les con- 
damnait pas , et que saint Paul lui-même avait cir- 
concis Timothée, quoiqu'il s'élevât contre la circon- 
cision. , 

C'est une chose assez rare^ à cette époque, qu'un ' 
juge catholique consentant à descendre, la Bible à la 
main, sur le terrain de la discussion, pour que nous ! 



— 249 — 

ayons cru devoir le mentionner. Ce commerce scrip- 
turaire, d'ailleurs, en le familiarisant avec les doctri- 
nes évangéliques, ne devait pas tarder à le faire aussi 
soupçonner d'hérésie. 

Les inculpés exposaient librement leur croyance. 
La circoncision, disaient-ils, s'appuyait sur un ordre 
de Dieu , tandis que les superstitions papistes n'ont 
pour origine que les erreurs deThomme. 

Ne pouvant convaincre leul*s prisonniers, les juges 
les supplièrent, par des instaUc^s presque paternelles, 
de rentreî spontanétnent dans l'Eglise, et de ne pas 
les forcer au regret d'une inévitabja condamnation. 
Ils ajoutèrent même qu'eux aussi désiraient une bonne 
réforme dans l'Eglise, mais non pas hors de l'Eglise. 

«Plût à Dieu, Messieurs, dit alors Laborie, que tous 
les ecdésiastiques de France pensassent comme vous, 
car nous serions bientôt d'accord ; et si je suis héré- 
tique, Monsieur le président n'est pas loin de Tétre 

comme moi. » 

Les conseillers sourirent , et l'un d'eux répliqua : 
« n faut que vous le soyez comme lui , et non lui 
comme vous. » 

Mais cette position flottante, indécise, intermédiaîi*e 
entre la vérité et l'erreur, entre l'Eglise et le monde. 



— 220 — 

■ 

entre Christ e^Bélial, ne convient pas aux coeurs de 
franche volonté. C'est la voie large que beaucoup sui- 
vent; les récents pasteurs des Vallées, et leurs amis 
chrétiens, suivaient une route plus étroite et moins 
douce. — Oui, moins douce pour les mondains, mais 
plus heureuse pour les enfants du Christ. 

Après cette séance, on sépara Laborie de ses co- 
accusés, de sorte que, se trouvant seul, il pria Dieu 
ardemment de ne pas le laisser succomber. 

Je demeurai ainsi, dit-il dans une de ses lettres, 
priant et méditant jusqu'à deux heures après minuit. 
Le lendemain,, il adjura ses juges, au nom de 
leur âme immortelle, de ne pas repousser la con- 
naissance du salut qui leur était offerte. Il leur re- 
présenta les devoirs de leur charge, et leur dit qu'é- 
tant les défenseurs de la vérité , ils ne devaient pas 
condamner la vérité ; si nous ne sommes pas dans la 
vérité, prouvez-le; si nous y sommes, absolvez-nous; 
car vous avez à juger la cause de Jésus en nos per- 
sonnes , et vous ne pouvez être de ceux qui jugent 
par ignorance, car Dieu vous a fort éclairés. 

Je fus écouté d'eux pendant environ une heure 
sans interruption; et j'en vis plusieurs des plus jeunes 
qui pleuraient. 



— Dieu n'a-t*il pas enjoint à Moïse la punition 
des hérétiques? dit un des plus experts. 

— Je lui accordai cela, raconte-t-il lui-même , et 
lui alléguai même Servet, qui avait été puni à Ge- 
nève; mais prenez garde seulement de ne pas traiter 
comme hérétiques de vrais enfants de Dieu ! 

— Eh bien, mon ami, donnez -nous une simple 
rétractation de vos hérésies, sans en préciser aucune. 

— Je serais aussi lâche d'abjurer la moitié de la 
vérité que de la renier tout entière. 

— Cela n'engagera en rien votre avenir, et votre 
vie pourra encore être utile, même à votre cause. 

— Je la servirais mal , si je commençais par la 
trahir. 

— Vous la servirez bien moins étant mort. 

— La mort des fidèles est une semence de vie, qui 
reste après eux plus longtemps que n'eussent fait 
leurs œuvres. 

C'était renoncer à la vie pour l'immortalité. 

Le 28 d'août ils furent tous les citiq condamnés à 
être brûlés vifs. 

On leur laissa la liberté de se voh*, d'écrire à leurs 
amis, à leurs parents, à leiu*s collègues de Genève. 



— n% — 

a Nous rendons grâce è Dieu et attendons Theure , 
disent-ils, nous recommandant à vos prières. » 

Le stoïcisme le plus admiré dans Tantiquité s'in- 
cline devant cette force d'âme si sereine et si puis- 
sante du chrétien. Le courage n'a que des élans , 
mais la résignation est le courage en permanence. 
Elle n'est pas de l'homme , mais de Pieu» 

Antoine Laborie était marié avec une jeune feaime 
née catholique , mais convertie h l'Evangile. Voici 
quelques passages des lettres qu'il lui adressa pour 
la préparer au veuvage qui l'attendait: 

ce Anne, ma bien-aimée sœur et très fidèle épouse, 
tu sais combien nous nous sommes toujours aimés 
aussi longtemps qu'il a plu au Seigneur de nous lais- 
ser ensemble; sa paix n'a cessé de résider au milieu 
de nous, et tu m'as grandement obéi en toute chose. 
Je te prie donc que tu sois encore trouvée telle , et 
meilleure s'il se peut, quand je ne serai plus. Si le 
monde et la pauvreté épouvantent ta jeunesse , re- 
marie-toi , comme je te le conseille , avec un autre 
frère qui ait pai€illement la crainte de Dieu ; et alors, 
qu'il ne te souvienne plus de moi comme ayant été 
ton mari , mais comme d'une poignée de cendres ; 
car dès ce moment nous ne sommes plus unis que 



— 223 — 

par le lien de la charité fraternelle , en qui j'espère 
tes prières tant que je serai vivant. 

« Quand ton père sera averti de ma mort , je ne 
doute pas qu'il ne te vienne quérir pour te ramener 
dans le papisme ; mais je te supplie au nom du Sei- 
gneur de demeurer attachée à la vérité. Confie-toi en 
Dieu ; prie-le, aime-le et sers-le, il ne t'abandonnera 
pas. Notre petite fille lui sera chère comme toi; car 
il est le protecteur de la veuve et le père des orphe- 
lins. L'exemple de Moïse te doit sufSre pour cette' 
confirmation (1).» 

Que de pensées pénétrantes renfermées dans ces 
paroles graves et contenues ! 

Calvin adressa aussi d'austères exhortations aux 
prisonniers de Ghambéry : a Puisqu'il a plu à Dieu de 
vous employer à ce service (le martyre), continuez de 
faire ce que avez commencé. Si la porte vous est 
fermée d'édifier par doctrine ceux auxquels vous 
aviez dédié votre labeur (les Vaudois), le témoignage 
que vous rendez ne laissera pas de les consoler de 
loin; car Dieu lui donnera vertu, pour résonner plus 
outre que voix humaines ne sauraient parvenir (2). » 

(1) Crespin, fol. 329. 
(3) Crespin, fol. 332, 333. 



— 224 — 

Quels Iipmmes et quels temps ! N'est-ce donc là 
qu'un chef de secte^ que cet autre Moïse, législateur 
d'un peuple nouvellement acquis au Seigneur , qui 
ose parler du martyre comme d'un service ordinaire ? 
Et ces disciples, dévoués à une mort cruelle, qui don- 
nent congé à leur famille comme pour un prochain 
rendez-vous! 

Seigneur ! augmente en nous la foi } elle s'est 
éteinte sur les bûchers ! 

. Les prisonniers de Chambéry ignoraient encore le 
jour que devait avoir lieu leur supplice. Un matin on 
les fit sortir de la prison ; ils croyaient se rendre à 
quelque nouvel interrogatoire ; mais un ami trouva 
moyen de les instruire au passage du sort qui les at- 
tendait. 

Rendons grâce au Seigneur , dit Laborie , de ce 
qu'il nous juge dignes d'être martyrs pour lui ! 

Mais le pasteur Vemoux, plus sensible aux impres- 
sions inattendues, ne put se défendre d'un saisisse- 
ment involontaire. Une sueur froide couvrit ses 
tempes; un tremblement nerveux le prit; il allait 
défaillir. Tout à coup il se sent fortifié au dedans de 
lui-même; l'âme a raffermi le corps; la main de 
Dieu l'a soutenu. Mes frères, dit-il avec une humble 



— 225 — 

fermeté, je vous prie de ne pas vous scandaliser de 
ma faiblesse, car j'ai senti en moi la plus terrible 
guerre qu'il soit possible de soutenir. Mais, gloire à 
Dieu, par qui l'esprit a surmonté la chair. Marchons ? 
je puis tout par Christ qui me fortifie. 

Et son Sauveur ne l'abandonna pas ; car le bour- 
reau l'ayant saisi pour l'attacher le premier sur le bû- 
cher, il demanda un instant pour prier. On le lui ac- 
corda, et voici les paroles qui sortirent de ses lèvres 
mourantes, mais assurées : a Seigneur Dieu, Père Eter- 
nel et tout puissant, je confesse devant ta sainte ma- 
jesté que je ne suis qu'un pauvre pécheur, incapable 
par moi-même de faire le bien. Veuille donc avoir 
pitié de moi, Dieu très bon, père de miséricorde, et 
me pardonner mes péchés pour l'amour de Jé- 
sus-Christ ton fils, mon unique Rédempteur. » 

Il s'était agenouillé sur le bûcher, et il prononça 
ainsi cette admirable confession des péchés, qui sortit 
pour la première fois des lèvres de Théodore de Bèze 
dans rimposant synode de La Rochelle. On sait que 
cette prière si touchante et si forte, est encore en 
usage dans les Eglises réformées. 

Mais combien ce pasteur qui, allait mourir devait 
la rendre plus onctueuse du haut de son bûcher, que 



— 226 — 

tant de voix indiiférentes , du haut des chaires , sans 
péril et trop souvent sans vie. 

Laborie s'élança lui-même sur le bûcher d'un pied 
ferme et d'une face joyeuse, comme s'il devait se 
rendre à une fête. 

C'était une fête aussi que le triomphe de ces âmes 
régénérées. 

Isaac put gémir sur la colline de Morija; mais le 
pasteur chréti^ s'offirit en holocauste, la joie dans le 
cœur et le sourire sur les lèvres. 

Quelle est donc cette mystérieuse puissance de la 
foi qui opère de pareils prodiges ! 

Tringalet pria pour ses ennemis. Les deux autres 
martyrs prononcèrent aussi quelques paroles pieuses, 
et tous les cinq ayant été étranglés, furent abandon- 
nés aux flammes, qui ne dévorèrent plus que des ca- 
davres. 

Peu de temps après, le Barba Gilles, dont il a été 
cpiestion dans l'histoire des Eglises de Calabre, reve- 
nant de ces contrées par Venise et le Tyrol, était 
passé en Allemagne, et en redescendant à travers la 
Suisse, il s'arrêta à Lausanne. 11 y fit la connaissance 
d'un jeune pasteur de grand talent mais d'une con- 
stitution fort délicate, qui se nonim^it Etienne Noèl. 



— m — 

L'ayant engagé à consacrer ses services aux Eglises 
vaudoises, ils partirent ensemble pour le Piémont; 
mais en traversant la Savoie, ils furent accostés un 
soir, dans une hôtellerie proche de Ghambéry, par un 
officier de justice qui conunença de les aborder, 
<t avec beaucoup plus de compliments , dit Gilles , 
qu'ils n'en eussent désiré. Ils se iirent passer pour 
des parents de quelques soldats qu'ils allaient voir au 
camp. (C'était l'époque des guerres de François I<' 
en Italie. ) Mais l'ofScier de justice, ne se montrant 
qa'à demi satisfait, annonça le désir de les entrete- 
nir encore le lendemain. Ils. n'eurent garde de l'at- 
tendre; et grâce à la protection de l'hôte qui les fa- 
vorisait (mais avant tout à celle de Dieu |qui les ga- 
nmtit), ils purent s'échapper pendant la nuit , prirent 
des sentiers détournés, et arrivèrent sains et saufs en 
Piémont. 

D'autres martyrs devaient y répandre leur sang. 

On se souvient de la croisade ouverte par Inno- 
cent VIII contre les Vaudois. Au nombre des chefe 
qui se signalèrent à la tête de ces troupes sangui- 
naires, se trouvait le capitaine V,aragle (prononcez 
Varaiile)^ dont le fils, doué d'une intelligence remar- 
quable, entra dans les ordres en 1522. Il demeurait à 



peu de distance des vallées vaudoises^ dans la petite 
ville de Busqué , Fune des plus isolées du Piémont. 
Ses rapides succès dans les lettres , ses connaissances 
théologiques, son éloquence dans la chaire, attirèrent 
l'attention de ses supérieurs. 

C'était l'époque oii l'influence de la réformation 
se faisait partout sentir. L'Eglise romaine sentait le 
besoin de raffermir sa puissance ébranlée. Le synode 
d'Angrogne auquel avaient assisté Parel et Saulnier, 
allait encore imprimer une impulsion plus vive à ce 
mouvement d'inquiétude, de recherches et de réveil, 
qui agitait alors tous les esprits d'élite. 

Le jeune Varagle fut choisi pour le comprimer. Il 
se nommait Geoffroy , et nous écrirons son nom de 
fkmille Varaille, pour conformer notre orthographe à 
la prononciation. 

On lui confia la mission difficile de parcourir les 
principales villes d'Italie , afin d'y relever le crédit 
de l'Eglise romaine par ses éloquentes prédica- 
tions. 

Un religieux observantin du couvent de Monte- 
Fiascone, dans le comté d'Urbin, fut chargé de l'ac- 
compagner. Il se nommait Matteo Baschi, et c'est lui 
qui, réformant Tordre des Gordeliers en 1525, donna 



naissance à celai des Capucins, qui compta bientAt 
en Europe près de cinq cents couvents et plus de 
vingt-cinq mille religieux. 

A ces deux missionnaires^ dix autres membres du 
clergé séculier avaient été joints pour eette impor* 
tante entreprise. 

Etant forcés, pour l'accomplir, d'examiner eux- 
mêmes les arguments des réformés contre le catho- 
licisme, ils ne tardèrent pas d'en connaître la force, 
et furent bientôt soupçonnés (l'une tendanoe favo- 
rable aux doctrines qu'ils devaient combattre. 

Ces soupçons se changèrent en certitude, et ils fu- 
rent tous emprisonnés à Rome sous le poids de cette 
inculpation. Leur captivité dura cinq ans (1). On pensa 
que ce n'était pas trop de cette longue détention pour 
ethceT de leur esprit des empreintes si redoutables, 
si l'esprit était juste et sincère , ce n'était que les y 
forlifler davantage par cette réclusion, qui devait les 
isoler de toute autre pensée. C'est ce qui arriva à 
Varaille. 

Renonçant d'abord à une lutte active contre la ré- 
forme, il s'attadia au légat du saînt-siége près la 

(1) Procès-Terbaux des séances du parlement de Turin, du S7 et du 28 
septembre 1597. 



— 230 — 

cour de France, et raccompagna à Paris, où il de- 
meura quelque temps. 

Mais les rayonnements lointains de la réformation, 
cet orient d'en haut, qui ouvrait Tère des libertés 
modernes par la lumière débordante de TEvangilel, 
lui arrivèrent avec plus de puissance enc/Ore dans cette 
capitale. 

Le massacre des Vaudois de Mérindol et de Ca- 
brières, dont la cause venait d'être plaidée devant la 
cour des pairs, excita son indignation et son dégoût 
contre TEglise abreuvée du sang des justes; vaincu 
sans doute par sa conscience, il quitta spontanément 
la haute position qu'il occupait à Paris, pour se ren- 
dre à Genève, afin d'étudier à leur source les docU*i- 
nés nouvelles. Sa surprise fut aussi douce que pro- 
fonde, en reconnaissant dans la Bible que c'étaient au 
contraire des doctrines antiques, les seules primitives. 

Quelle époque éminente que celle où les grands in- 
térêts de la foi avaient une réalité si puissante, qu'à 
leur seule considération toute une vie se transfor- 
mait ainsi ! 

Et Varaiile avait alors près de cinquante ans; mais 
la foi rajeunit, et plein d'une ardeur qu'avait ignorée 
sa jeunesse , il rompit sans hésitation avec son passé, 



— 834 — 

prêt à recommencer une vie nouvelle avec plus de 
forces morales qu'il n'en avait jamais eu. Cet homme, 
chargé d'un demi-siècle de papisme, avait réalisé la 
parole de Jésus à Nicodème, et vint humblement re- 
cevoir l'imposition des mains, pour être reçu au nom- 
bre des pasteurs évangéliques destinés à défendre 
cette cause dont il ne s'était d'abord approché qu'à 
titre d'adversaire. 

Les Eglises vaudoises demandaient alors un pasteur 
c|ui pût prêcher en italien. On leur envoya Geoffroy 
Varaille, et il fut installé dans la paroisse de Saint-Jean. 

Le voilà donc dans ces mêmes Vallées où son père 
avait conduit une croisade persécutrice. Oh ! que les 
voies de Dieu sont bien diverses de nos voies! Le fils 
était appelé à prendre soin, comme pasteur, de ce 
même troupeau que le père avait voulu exterminer. 

Après avoir passé quelques mois aux Vallées, il dé- 
sira voir la petite ville de Busqué, où il était né ; sa 
famille n'y était pas éteinte, et des chrétiens évangé- 
liques, qui commençaient à s'y montrer, lui en pré- 
paraient une non moins chère à son cœur. 

Ce voyage, cependant, n'était pas sans danger; on 
l'avertit qu'il serait épié par des ennemis. Mais il sem- 
blait avoir pris plus de courage avec les années, comme 



— 23« — 

si Tardeup du jeune âge était revenue sous ses che- 
veuxlblancs avec la ferveur évangélique. 

C'est que la vie de l'âme est, pour les vieillards, 
une jeunesse sans déclin , l'aurore de rimmortalité. 
n eut néanmoins la satisfaction de visiter sa fomille et 
d'édifier les frères de Busqué , sans qu'il lui arrivât 
aucun accident. 

Mais, à son retour, passant par Barges, au pied du 
mont Viso , il fut dénoncé par le prieur de l'abbaye 
de Staffarde (à laquelle avait été cédée, dans le neu- 
vième siècle, une partie des vallées vaudoises) (i), et 

arrêté par un lieutenant criminel, neveu de l'archi- 
diacre de Saluées. 

On le traita avec égards^ une riche demeure lui ser- 
vit de prisoQ, et U y fut même laissé en liberté sur pa- 
role. Combien de prisonniers ordinaires en eussent pro- 
fité pour s'enfuir! Mais le chrétien n'est paa un 
de ces papistes qui déclarèrent en concile ((£cum. 
Const. 1415) que l'on pouvait manquera sa parole sans 
manquer à la loi de Dieu. Ayant même appris que les 
réformés de Bubiane^, qui faisaient partie de sa pa- 



(i) Entre autre la combe de Giauearand ou vcd Guichard. Voy. Monu- 
menta palriœ T. I, no DXIII, anno 821. 



— 233 — 

roisse, avaient riutention de venir le délivrer de vive 
force, il leur fit dire de s'en abstenir et de laisser faire 
à Dieu. 

Cependant les édits (l)'de François I*% qui avait 
conquis le Piémont, et de Henri n, qui y régnait 
alors, autorisaient contre lui les plus sévères rigueurs* 

Après divers interrogatoires, il fut conduit à Turin, 
étroitement lié. Les réponses qu'il fit à ses juges, et 
les considérations écrites qu'il leur présenta à l'ap- 
pui de sa foi , sont un monument de ses talents, de 
son savoir et de sa piété (2). 

Durant sa détention, Calvin lui écrivit de Genève 
une lettre en latin , dont voici la traduction : 

a Très cher et bien-aimé frère ! Bien que la nou- 
velle de votre emprisonnement nous ait été extrême- 
ment fâcheuse, le Seigneur, qui sait tirer la lumière 
des ténèbres, y a mis une joie de consolation, par la 
vue des tvmis qu'a déjà produits votre épreuve , et 
la gloire qui soutenait saint Paul, vous doit aussi 
donner courage; car, si vous êtes captif, la parole de 
Dieu n'est point captive , et vous pourrez en rendre 



(1) Edit dn 93 juillet 1543, du SI octobre 1551, Let. 
(a) EUei ont été ooniervéet pw Creipin, fol. 418-490. 



— 234 — 

témoignage 'à plusieurs , qui répandront plus loin la 
semence de vie qu'ils auront reçue de votre bouche. 
Jésus-Christ requiert de chacun ce témoignage; mais 
il vous y^a obligé d'une manière toute spédale, par 
le sceau du ministère que vous avez reçu, pour prê- 
cher la doctrine du salut, qui est maintenant assailbe 
en votre personne. Qu'il vous fiouvienne doue de si- 
gner au besoin de votre sang œ que vous avez en- 
seigné de votre bouche. Il a promis que la mort des 
siens lui savait précieuse ; que cette réeompeme vous 
suffise. 

e Je ne m'arrôterai pas davantage sur ce point, 
persuadé que vpus vou$ reposes fermement en celui 
dans lequel , goit que pous vivions , soit que nous 
mo^^ions, réside potre éternel bonheur. Mes Compa- 
gnons et frères vous saluent. Genève, 17 de septem- 
bre 1557, » 

On aimerait à trouver des épanchements plus ten- 
dreg dans le cœur du gr^pd hpmme dont une partie 
de TEglise chrétienne porte encore le nom. Mais la 
force d'enchaînement par laquelle il a consolidé la 
réforme > nécessitait peut-être cette inflexibilité. 

Le modeste pasteur vaudois ne porta personne à 
chercher le supplice , mais il y marcha lui-même , 



— «35 — 

avec une héroïque fermeté. Lorsqu'on lui annonça 
son arrêt de mort, il dit d'une voix grave : « Soyez 
certains , Messeigneurs , que vous manquerez plutôt 
de bois pour les bûchers, que de ministres de l'Evan- 
gile pour y sceller leur foi ; car, de jour en jour, ils 
se multiplient, et la parole de Dieu demeure éternel- 
lement. » 

La cour, dit Crespin, donna sentence de mort contre 
lui, plutôt par crainte de reproche que par conviction 
qu'il la méritât. — Pilate, Pilate! que ta lignée est 
grande dans le monde ! 

Geoffroy Varaille fut brûlé vif, sur la place du châ- 
teau, à Turin, le 29 de mars 1558. 

Lorsqu'il fut monté sur le bûcher, l'exécuteur s'ap- 
procha; on crut qu'il allait y mettre le feu. Pas du 
tout : il s'agenouilla aux pieds du martyr, en le priant 
de lui pardonner la mort qu'il allait lui Mve subir. 
—Non-seulement à toi, dit Varaille, mais à tous ceux 
qui l'ont causée. 

Alors, pendant que les aides exécuteurs mettaient 
le feu par devant, le bourreau l'étrangla par derrière; 
et plusieurs personnes, dit Crespin, a racontent, comme 
une chose notable , qu'une colombe voltigea à Ten- 
tour du feu et s'éleva en l'air, ce qui fut estimé un 



— 236 — 

signe de rinnocence de ce martyr. Mais pour let 

choses advenues en cette mort, nous nous sommes 

borné au principal, sans nous arrêter curieusemient 

aux choses extérieures. » 
Oui, les miracles de la foi sont ceux de l'Evangile ; 

car FEvangile de Christ est la puissance de Dieu, pour 

le salut de ceux qui croient. 
Avec Varaille , dit Gilles , on conduisit sur le lieu 

du supplice un bon vieillard, qui avait déjà beaucoup 
souffert pour la cause de la vérité ; et, après l'avoir 
fait assister à la mort de ce digne martyr du Seigneur 
et l'avoir fouetté, on retira de ce même bûcher des 
fers rouges, dont on le marqua à la marque du 
roi. 

Dans la même année, un jeune homme, qui était 
né à Quiers, à peu de distance des vallées vaudoises, 
se trouvant à Aoste, le jour du vendredi saint, en- 
tendit un prédicateur qui disait que le sacrifice de 
Jésus-Christ se renouvelait tous les jours dans le sa- 
crifice de la messe. 

— Christ n'est mort qu'une fois, murmura le jeune 
homme, et il est maintenant au ciel, d'où il ne re- 
viendra qu'au dernier jour. 

— Vous ne croyez donc pas à sa présence corpo- 



— 237 — 

relie dans Thostie, lui demanda un employé, nommé 
Ripet. — A Dieu ne plaise! certes; savez-vous le 
Grédo? — Oui ; mais pourquoi cela? — N'y est-il pas 
dit que Jésus est maintenant assis à la droite du Père? 
— Oui. — Eh bien, il n'est donc pas'^ans Fhostie. 

Faute de pouvoir répondre à cet argument, on em- 
prisonna celui qui le faisait. 

Il avait vingt-six ans , et se nommait Nicolas Sar- 
toire. Ses amis réussirent à le faire évader pendant la 
Duit; il sortit alors de la ville d'Aoste, cette ancienne 
Âugusta Prsetoria, toute de ruines et de superstitions; 
puis, comme il avait déjà habité Lausanne, il prit la 
route du Saint-Beniard, pour se réfugier en Suisse. 
Mais au village de Saint-Remy, le dernier qu'il eut à 
traverser avant de franchir la frontière, on l'arrêta de 
nouveau, et il fut ramené en prison. 

Ses amis d'Aoste écrivirent alors à ceux qu'il avait 
à Lausanne , afin qu'ils s'adressassent aux autorités 
de Berne, pour qu'elles le réclamassent comme un 
habitant du pays. 

Ces démarches furent faites, mais demeurèrent in- 
fructueuses. 

Nicolas Sartoire fut mis à la torture. — Rétracte 
tes erreurs! lui dit le juge ecclésiastique. — Prouvez- 



— 238 — 

moi que j'en ai. — L'Eglise te condamne. — Mais là 
Bible m'absout. — Tu encours le supplice par toii 
obstination* — Celui qui persévérera jusqu'à la fin 
sera sauvé. — Tu veux donc mourir? — Je veux avoir 
la vie étemelloii — Et les souffrances aussi bien que I 
les sollicitations restèrent sans effet. 

Après la torture, on lui fit subir l'estrapade; mais 
son courage ne se démentit pas. 

Et pour son opiniâtreté , dit la sentence , il fut 
condamné à être brûlé vif. 

Ses amis le supplièrent de se rétracter ^ assurés, di- 
saient*ils, de pouvoir encore obtenir sa grâce. 

La grâce que je désire, leur répondit-il, je l'ai déjà 
obtenue de mon Dieu. 

Ce courageux enfant du Seigneur mourut sur le 
bûcher, à Aoste, le 4 de mai 1557, refusant encore 
la vie au prix de l'abjuration* 

Environ ce même temps, dit Gilles, un des mi- 
nistres du Yal Luzerne, revenant de Genève, fut ar- 
rêté prisonnier à Suze et de là conduit à Turin. Sa 
persévérance fut la méme^ la barbarie de ses juges 
fut la même aussi. Il fut condamné à être brûlé vif. 
Mais il parait que sa dignité, sa douceur, la gravité 
imposante et modeste de son langage, avaient pro- 



— 239 — 

duit une impression profonde autour de lui; car le 
jour du supplice étant venu^ l'un des bourreaux fei- 
gnit d'être malade et se cacha; l'autre, après avoir 
mis à mort quelques malfaiteurs, crainte d'être con- 
traint d'exécuter le ministre, s'enfuit; tellement que 
l'exécution ne pouvant avoir lieu, le ministre trouva 
mojen de s'échapper, et retourna dans son Eglise (1). 

Gilles no nous a pas même conservé le nom de ce 
pasteur; il raconte en deux mots cette histoire ex- 
traordinaire, dans laquelle nous voyons les bourreaux 
fuir devant la victime ; les bourreaux, plus conscien- 
cieux que les juges, se refuser à l'exécution ; les bour- 
reaux donner à l'Eglise romaine une leçon d'huma- 
nité. 

Beaucoup d'autres chrétiens des vallées vaudoises, 
on m leurs alentours , furent encore condamnés à 
mort dans le seizième siècle ; mais bien rares sont 
ceux qui purent échapper à l'exécution de la sen- 
tence; et l'exemple est unique peut-être d'Un pas- 
teur rentré dans son Eglise, après avoir été épargné 
par quatre ou cinq bourreaux. 

En 1560, on fit beaucoup de prisonniers parmi les 

(i) <>ill«s, Ghip. X, p. 67. 



— 240 — 

réformés ou Yaudois du Piémont^ qui étaient surpris 
en flagrant délit de prières communes et d'assem- 
blées religieuses , en dehors du territoire actuel des 
vallées vaudoîses ; et, par une procédure plus mu- 
sulmane que chrétienne 7 on les condamnait au feu, 
trois jours après leur incarcération, sans débat, sans 
examen, sans instruire leur affaire, et par le fait seul 
qu'ils étaient accusés. Cependant, s'ils faisaient pro- 
fession de papisme , on les mettait en liberté ; mais 
s'ils refusaient d'aller à la messe, leur hérésie était 
démontrée : alors ils avaient ces trois jours pour l'ab- 
jurer; ne fléchissaient-ils pas, c'en était fait de leur 
vie. L'abjuration ou la mort : tel était le langage de 
la jurisprudence éclose à Tombre du catholicisme. 

C'est dans la ville de Carignan que les exécutions 
avaient commencé. Un fugitif françafs, nommé Mathu- 
rin, fut le premier saisi. Les commissaires lui enjoi- 
gnirent d'abjurei* sa religion s'il ne voulait mourir. Il 
préféra la mort. — Nous te laissons trois jours pour 
réfléchir ,lui dirent-ils, mais après ce temps tu seras 
brûlé vif si tu refuses encore de venir à la messe. 

La famille de Mathurin était plus émue que lui- 
même. Il avait épousé une Vaudoise. Sa femme de- 
manda aux commissaires la permission de le voir. 



^Poiilrvu que tu ne Tendurcisses pas dans ses er- 
reurs, lui dit-on. 

—Je vous promets de ne lui parier que pour son 

bien. 

Les commissaires ne pensaient pas qu'il fût de plus 
grand bien que la vie, et amenèrent la jeune femme 
auprès du prisonnier, dans Tespérance qu'elle l'enga- 
gerait à sauver ses jours par une abjuration. 

Mais la courageuse fille des martyrs redoutait au 
contraire , que son mari ne se laissât entraîner dans 
cette voie par affection pour elle ou par fidblesse hu- 
maine , et le bien qu'elle voulait lui faire était de le 
raffermir. Aussi, dit notre vieux chroniqueur, en pré- 
sence descommissaires, elle Texhorta, le plus vivement 
qu'il lui fut possible , à persévérer constamment dans 
sa religion, sans mettre en balance la mort corporelle 
qui est de peu de durée , avec le salut étemel de son 



Les commissaires, transportés de fiiretu» à Touïe 
d'un langage si différent de celui qu'ils attendaient de 
sa part, l'accablèrent d'injures ; mais elle , impassible 
et sérieuse , continua de s'adresser à son mari , en lui 
disatn d'une voix ferme et douce : Que les assauts du 



r»* 



méchant ne te fassent pas abandonner la profession 
de ton espérance en Jésus-Christ. 

— Exhorte-le à nous obéir, ou vous serez tous deux 
pendus , s'écrièrent les magistrats. — Et que l'amour 
des biens de ce monde ne te fasse pas perdre ceux du 
ciel ! dit la femme chrétienne , sans interrompre ses 
calmes exhortations. 

— Satanée hérétique ! si tu ne changes pas de lan- 
gage, tu seras brûlée demain. 

— Serais-je venue l'engager à mourir plutôt que 
d'abjurer, si je pouvais fuir la mort dans l'apostasie ? 
— Crains du moins les tourments du bûcher. — Je 
crains celui qui peut jeter le corps et l'âme dans un 
feu plus redoutable que vos tisons. — L'enfer est pour 
les hérétiques; sauvez-vous en renonçant à vos er- 
reurs. — Oii serait la vérité sinon dans les paroles de 
Dieu? — Ce sera vous perdre tous les deux, lui dirent 
les magistrats , si ce nom peut être donné à d'aussi 
cruels fanatiques. — Dieu soit béni l dit-elle à son j 
époux de ce que nous ayant unis dans la vie , il ne 
nous séparera pas dans la mort ! 

Au lieu d'un nous en brûlerons deux . grommelèrent 
en ricanant les satellites du bourreau. — Je serai ta 



— 243 — 
compagne jusqu'au bout ; ajouta simpitfnent rhéroM|Uc 
femme. 

—Voulez- vous venir à la messe et avoir votre* 
grâce. 

-—J'aime mieux aller au bûcher et avoir la vie 
éternelle. 

—Si vous n'abjurez pas, Mathurin sera brûlé de- 
main, et vous trois jours après. 

—Nous nous retrouverons dans les cieux ! répondit- 
elle doucement. 

— Songez au délai qu'on vous laisse. 

—Le terme n'y fait rien, car ma résolution est pour 
la vie. 

— Dis plutôt.pour la mort. 

—La mort du corps, mais la vie de l'âme. 

— Tu n'as rien autre chose à nous dire, opiniâtre 
damnée? 

— Rien, sinon que je vous prie de ne pas renvd^er 
mon supplice à trois jours , mais de me faire mourir 
avec mon mari. 

Sa demande lui fut accordée. Entrée libre, elle resta 
prisonnière et ne ressortit que pour monter sur le 
bûcher. 



— 244 — 

Cette femme se nommait Jeanne; et ce nom pro- 
noncé en de telles circonstances rappelle involontai- 
rement celui de Jeanne d*Arc. Pourquoi l'héroïsme de 
la chrétienne ne serait-il pas admiré comme celui de 
la jeune guerrière d'Orléans ? Les victiq^es de la foi 
ont-^lles moins de prix que celles des batailles 1 Ah ! 
Ton s'illustre ici-bas en faisant couler le sang des en- 
nemis, plus qu'en répandant le sien pour l'amour de 
ses frères. 

Mais ceux qui le répandent ainsi ne le font pas en 
vue de la gloire du monde. 

Les deux époux martyrs eurent une dernière soirée 
de prière et de recueillement à passer ensemble sur 
cette terre. On aime à crobe qu'elle n'aura pas été 
la moins douce pour eux; car Jésus a dit : Là où deux 
personnes seulement seront assemblées en mou nom, 
je serai au mUieu d'elles. Et quand jamais les condi- 
tions de cette promesses durent-elles se trouver plus 
complètement réalisées que dans ce moment-là? 

Le lendemain, 2 de mars 1560, un bûcher fut élevé 
sur la place publique de Carignan, et ces dignes con- 
fesseurs de l'Evangile y moururent les mains jointes, 
et ayant leurs âmes unies en l'amour du Sauveur. 

Un nouveau bûcher s'éleva douze jours après, dans 



— 245 — 

ce même lieu, pour Texécution d'un jeune homme 
qui avait été arrêté trois jours auparavant sur 
la route de Luzerne à Piguerol. Il se nommait Jean 
de Cartignon, et comme il était bijoutier, on l'appe- 
lait Johanni délie Spinelle. U avait déjà été prisonnier 
pour cause de religion ; c'est pour cela qu'il s'était 
retiré dans la vallée de Luzerne, car il n'y était pas 
né. Se voyant captif une seconde fois, il pensa que 
ce serait la dernière. 

Ma délivrance, dit-il, ne viendra plus des hommes, 
mais de Dieu. £t en effet, Dieu le soutint, car il en- 
dura son supplice avec un rare courage. 

L'inquisition appelait ces atroces barbaries des actes 
de foi : auto da fe. Tels étaient donc les actes de la foi 
catholique; ceux de la foi protestante étaient de glo- 
rieux martyres. Lesquels senties plus dignesde ce nom? 

Eu 1535, dit Gilles, Bersour ayant été chargé de 
poursuivre les Vaudois, en prit en si grand nombre 
qu'il en remplit son château de Miradol , les prisons 
et le couvent de Piguerol, ainsi que les cachots de 
l'inquisition à Turin. 

Plusieurs d'entre les prisonniers furent condamnés 
à être brûlés vifs; l'un d'eux, Catalan Girardet de 
Saint-Jean, en marchant au supplice, prit deux pierres. 



— 246 — 

et les frottant Tune contre Tautre dans ses mains : 
— Voyez! dit-il aux inquisiteurs, ces cailloux impé- 
nétrables : tout ce que vous pouvez faire pour anéan- 
tir nos Eglises ne les détruira pas davantage que je ne 
puis user et détruire ces pierres. 

lu supporta la mort avec une constance admirable. 
Ce propos a fait conserver son nom; mais combien 
d'autres qui sont morts comme lui avec le même cou- 
rage ! combien de prisonniers enfin qui ont péri sans 
qu'on ait jamais su ce qu'ils sont devenus ! 

De ce nombre furent, à cette époque, Marc Cha- 
navas, de Pinache; Julian Colombat, de Villar-Pé- 
rouse, et Georges Stalè, de Fenil. 

Donnons un souvenir à ces victimes ignorées, dont 
les souffi*ances et le courage ont dû, peut-être, s'ac- 
croître pendant des années entières dans les angoisses 
sans mesure de l'oubli, des maladies et de la faim. 

Il suffit d'un trait éclatant pour illustrer un nom; 
combien cette persévérance séculaire (car une année 
est un siècle dans les cachots), combien cette rési- 
gnation sans terme n'est-elle pas de nature à user 
plus de forces , à exciter en nous de plus profondes 
sympathies, que l'enthousiasme d'un moment! 

Peu d'années après, le pasteur de Saint-Germain 



— f47 — 

fat attiré par un traître , entre les mains d'une troupe 
de malfaiteurs, soldée par les moines de l'abbaye de 
Pignerol. Quelques-uns de ses paroissiens, qui avaient 
essayé de le défendre , furent arrêtés avec lui. Mais 
les supplices infligés aux victimes de Rome, et las vio- 
tohres de leur foi , étaient des choses si habituelles 
à cette époque , que Gilles , sans même nommer 
ce pasteur , dit simplement qu'après avoir surmonté 
tontes les tentations qui lui ibrent proposées pour le 
faire abjurer, il fut condamné à être brûlé vif, à petit 
feu: et quelques femmes de Saint-Germain, ajoute- 
t-il, prisonnières avec lui, furent contraintes de por- 
ter des fegots sur le bûcher où leur pasteur endu- 
rait patiemment le martyre. 

Quel tableau cependant, que celui de cette force 
d'ftme au sein de pareilles douleurs! 

En 1560 encore, le hameau des Bonnets, situé entre 
La Tour et Le Villar, fut assailli par des soldats ve- 
nus à la fois de ces deux dernières bourgades, où il 
y avait alors des fortifications, aujourd'hui démolies. 
Après avoir tout brisé et pillé, ils emmenèrent qua- 
torze prisonniers. Deux hommes seuls leur avaient 
échappé. Ces hommes allèrent se poster au-dessus 
d'une pente rapide par laquelle les agresseurs de- 



— 248 — 

valent passer. A peine la troupe spoliatrice fut-elle 
engagée sur cette pente avec ses prisonniers, que les 
deux Vaudois en embuscade firent rouler sur elle un 
si grand nombre de pierres, qu'ils la mirent en dé- 
route, et douze des prisonniers purent prendre la 
fuite. Les deux captifs qui restaient aux assaillants 
appartenaient Tun et Tautre à la famille Geymet; 
Tun se nommait Jean et l'autre Odoul. Ils furent 
conduits dans le château de La Tour. Là, après au- 
tant d'outrages que de sollicitations tentées pour les 
faire abjurer, le capitaine de la garnison, nommé 
Joseph Banster, étrangla de ses propres mains le pre- 
mier. Odoul fut attaché sur une table, dépouillé de 
ses vêtements, et victime d'un supplice inouï. Voici 
de quelle manière Gilles le raconte, en quelques 
lignes aussi simples que laconiques : a Les soldats ayant 
ramassé un grand nombre de ces bêtes i{ui vivent 
dans les fientes et les charognes d'animaux, en rem- 
plirent une écuelle qu'ils lui mirent sur le ventre , et 
l'attachèrent à son corps, de manière, dit-il, que ces 
bestioles lui entrèrent dans les entrailles et le rongè- 
rent tout vivant. Ces cruautés ont été racontées par 
les soldats mêmes de la garnison. Ainsi périt ce pauvre 
martyr, dans la soixantième année de son âge. » 



— 249 — 

Arrêtons-nous ici. L'imagination elle-même recule 
épouvantée devant tant de victimes, devant ces 
atroces raffinements de cruauté. Est-il un peuple bar- 
bare qui ait pu, de sang-froid, répandre tant de 
sang? 

S'il en était qui Teussent fait au nom de leur reli- 
gion, cette religion serait exécrée parmi les hommes, 
et les autels desservis par l'Inquisition, le jésuitisme, 
la simonie, prétendraient aux hommages serviles des 
hommes civilisés ! 

Ah! Cain tua son frère par envie ^ il le tua dans 
un moment de colère ; il le tua, sans être éclairé par 
l'Evangile : il ne tua que lui ; mais Rome, qui se dit 
chrétienne, Rome, qui s'est transmis, jusque sous la 
tiare, la tradition de l'assassinat, Rome a fait périr 
des milliers de victimes; elle les a égorgées de sang- 
iroid , elle a médité le supplice , prolongé l'agonie, 
raffiné les tortures ; et toutes les fois que son empire 
y était intéressé, elle n'a cherché qu'à trahir, à cor- 
rompre, à tuer. 

Mais ils savaient aussi, ces pauvres opprimés, vic- 
times de sa tyrannie ; ils savaient, ces chrétiens sans 
repos, ces martyrs sans faiblesse , qu'il est dit dans 



— 250 — 

TEvangile : ce Bienheureux sont ceux qui sont persé- 
cutés pour la justice, car le royaume des cieux est à 
eux. » Mais il n'est pas nécessaire de souffrir le mar- 
tyre pour mourir au Seigneur ; et le chrétien, dans la 
condition la plus pauvre, dit aussi comme le vieillard 
biblique : Oh! que je meure de la mort du juste, et 
que ma fin soit semblable à la sienne ! » 



CHAPITRE IX. 



HISTOIRE DES ÉGLISES ÉVANGÉLIQUES 



DE PAESANE, DE PHAYIGLELM ET DE SALUCBS. 



(De 1550 à 1580.) 



SouicBS BT ACT0RITK8. — Perrio , GîUes, Tiéger, Boreogo. — Brief dû- 
court de* persécutionâ advenue* aux Eglûe* du marquUat de Saluée*. Ge- 
nève, chez Paul Marceau, 1620. (Cet ouvrage a été composé par ordre, et 
imprimé aux frais du Synode tenu à Briançou en jaitt 1620.)'— Memora- 
hilit historia persee. bellorumgWf inpop. vulgo Yaldeosem appellaium etc... 
Gewva. Exeudehat Euttalhius Vignon H.D.LXXXI. (Petit in-8ode 150 pages 
eo italiques.) — Relatione ail' eminentiseima congregatione de propaganda 
fide, dei luoghi di aletme valli di Tiemonle^ ail' A. R. di Savoja sogetti.., 
Torino. Sans date, petit in-lS de 323 pages.— Massi, Storia de Pinerolo... 
'■i vol. — Semeria, Sloria délia ehieta metropt^itafia di Torino, in-8o 1840. — 
^ hanniseement de* gem de la religion prétendue réformée, kor* des eetatg 
i* Savoye, le tout , selon l'ordonnance et arrest de l'Inquisition et Sénat de 
Piedmont, Parie, M.D.C.XIX (se rapporte exclusivement aux Vaudois de 
Saluées). — Lettre* de* fidèle* du Marquisat de Saluée*, souveraineté du duc 
de Savoye , envoyée à MM, les Pasteurs de l'Eglise de Genève , contenantes 
ihisloire de leurs persécution* etc.... Jouxte la copie écrite à Genève, 1619. 
— Soleri, Diario dei fatti *ucce*si m Torino etc.. — Huletti; Mém. kist. 
nr le marquisat de Saluées (t. VI.) — Costa de Beauregard, Mém. kist. 



rail, pour juger pur ses propres yeux de leur op- 

pûrtnnité* 
Emmaiiuel Philibert arriva à Garail vers la fin du 

moi» d'aoûi iS66« Deiuv: jours avant son arrivée , il 
avait ordonné aux protestants étrangers d'en sortir. 
A son approche les réformés du lieu eurent le tort 
de pceadce la fuite à leur tour. Cette fuite fut consi- 
dérée eonuoe une preuve d'éloignement pour le sou- 
verain et de sympathie pour les étrangers qu'il venait 
de bannir. On conçoit que ces dispositions pouvaient 
ètee motivées y mais en réalité le peuple ne céda qu'à 
UA sentiment de frayeur et de timidité qu'il ne rai- 
sonnait pas. 

Le dttcirrité fit immédiatement publier^ dans Garail^ 
une défense expresse de tran^rter hors de la ville 
aucone espèce de vivres , afin de punir ainsi les réfor- 
més qui avaient eu le malheur d'en sortir à son arrivée» 
Un pareil accueil toutefois n'était pas de nature à 
l'y retenir^ et il en repartit bientôt en laissant une gar- 
nison, dont les soldats devaient être nourris et logés 
dans les maisons même des protestants , soit fugitifs, 
soit à demeure , jusqu'à ce que ces derniers se fus- 
sent convertis au catholicisme* 

Mais comme ceux qui s'étaient éloignés ne rêve- 



^ ISO — 

naient pas^ on les assigna devant le podestat de GcMii, 
qui était avocat fiscal et connu par son opposition aux 
doctrines bibliques. Ces tribus errantes et dépossédées 
n'ayant osé comparsdtre devant lui , il prononça la 
confiscation de leurs biens et leur bannissement. 

Alors l'archevêque de Turin se rendit à Carail (i), 
dans l'espérance de les ramener avec plus de facilité 
à l'Eglise romaine. Il y parut escorté d'une suite nom- 
breuse , et ne manifesta d'abord que des dispositions 
paternelles et bienveillantes , appelant ces chrétiens 
fugitifs de pauvres brebis égarées. 

Il leur envoya des sauf-conduits et les invita à en- 
trer en conférence avec lui. 

Quelques-uns se présentèrent, mais la plus grande 
partie s'abstint, et d'entre ceux qui étaient venus, un 
petit nombre fut ramené au papisme. 

I^ sentence de bannissement et de confiscation fùï 
confirmée contre ceux qui n'auraient point paru, où 
£[ui auraient résisté ailx sollicitations du prélat. 

Cependant, des apparences de guerre s'étant é\e^ 
vées entre la Savoie et la France , Ëmmanuel-Phfli'- 
bert donna ordre au podestat de Coni de réintégrer 



(1) Le 90 de septembre iM. 

9 



— 290 — 

les dispersés dans leurs demeures, à condition qu'ils 
s'abstiendraient de tout exercice religieux, sous peine 
de la vie. 

Les riches revinrent; les pauvres préférèrent l'exil. 
Mais ceux qui étaient revenus ne tardèrent pas à s'en 
repentir. Ils furent arrêtés les uns après les autres, 
sous prétexte de religion, comme cela avait déjà eu 
lieu dans la ville de Coni. 

Une fois arrêtés, s'ils refusaient d'abjurer, on les 
laissait périr dans les prisons, ou bien on les envoyait 
aux galères. 

La famille des Villanova-Sollaro sut noblement con- 
server sa grandeur au milieu de cette décadence. Elle 
avait soutenu l'Eglise protestante dans ses jours de 
progrès, et ne l'abandonna pas dans son affaiblisse- 
ment. La conviction oblige autant que la noblesse, se 
disaient ces antiques seigneurs d'une contrée jadis si 
florissaiite, et alors désolée. Us étaient six frères. Le 
chancelier comte deStropiano, leur parent, les réunit 
au nom de son Altesse Royale, pour solliciter de leur 
part une abjuration; mais ils furent inébranlables. — 
Que notre souverain nous demande tout autre sacri- 
fice et nous serons heureux de l'accomplir. — Il vous 



-1SI91 — 

répète par ma bouche que sa résolution est de ne 
plus soufirir deux religions dans ce pays. 

Les nobles réformés comprirent la menace renfer- 
mée dans ces paroles , revinrent à Carail, vendirent 
une partie de leurs terres, et se retirèrent dans le 
marquisat de Saluées alors possédé par la France. 

Cinq années de troubles et d'agitations domestiques 
se passèrent pour eux, tantôt en France, tantôt en 
Piémont, toujours errants et agités. Le récit de ces 
événements a été conservé dans la chronique encore 
existante de cette illustre et malheureuse maison. 

En 4570 les seigneurs de SoUaro furent cités à 
comparaître devant le sénat de Turin, avec d'autres 
grands personnages, coupables comme eux d'être 
revenus à l'Evangile, ce que l'Eglise romaine ne pou- 
vait pardonner. 

Grâce à de hautes intercessions, au nombre des- 
quelles on doit placer en première ligne celles de la 
duchesse de Savoie et de l'électeur palatin(l), les pour- 



(1) Il ETait eoToyé & Turin, en février 1566 , no ambassadeur spécial 
nommé Jfunias. L'arocat fiscal, Barbéri , ayant appris que son secrétaire 
ChaîUet était un ministre protestent le fit arrêter dans rh6tel même de 
l'ambassadeur. Ce secrétaire a raconté toutes les opérations de l'ambassade 
dans one longue lettre eonserrée par GiQes. Ghap. ZXXIU. 



— 292 — 

suites dirigées contre eux furent momentanément 
suspendues. On les reprit plus tard; lesSollaro furent 
condamnés et bannis^ leurs biens confisqués, les 
membres de leur famille dispersés dans Toubli. 

Ce fut le troisième d'entre les six frères qui vint se 
retirer dans la vallée de Luzerne, où sa famille se 
perpétua pendant plus d'un siècle. Elle donna le jour 
à cette pieuse et belle Octavie SoUaro, dont Gilles a 
conservé l'attendrissant souvenir, dans une page de 
ses chroniques si simples et si sévères. 

Un de ses descendants nommé Vallerio SoUaro, se 
présenta au synode de Villar tenu en 1607, pour ob- 
tenir la main d'une jeune fille de la vallée de Saint- 
Martin qui refusait de s'allier à lui parce qu'il était no- 
ble et qu'elle n'était qu'une simple paysanne. Les 
représentations que le synode lui-même adressa au 
jeune seigneur sur les inconvénients d'mie union aus- 
si disproportionnée ne l'ébranlèrent pas, et le ma- 
riage fut conclu. 

L'antique blason néanmoins ne dérogeait pas dans 
cette alliance; car l'antiquité de la famille vaudoise 
était plus haute encore, et ses titres de noblesse, in- 
scrits dans la Parole de Dieu, sont plus impérissables 
que les titres héraldiques des hommes. 



— «93 — 

Pendant que TEglise de Carail succombait ainsi 
dans les Etats du duc de Savoie^ les Eglises de Saluées 
jouissaient sous la domination française, d'une tolé^ 
rance égale à celle des autres réformés ; mais leurs 
pasteurs étaient la plupart étrangers, et originaires 
soit de la Suisse, soit des vallées vaudoises, ou de 
quelques autres parties du Piémont. 

Déjà dans ces dernières, on avait ordonné à tous 
les étrangers d'en sortir dans l'espace de vingt-qua- 
tre heures (1). L'année suivante le vicaire de Chiéri, 
ville peu éloignée de Saluées, reçut l'ordre de faire 
partir du territoire, tous les protestants qui s'y étaient 
établis sans autorisation, ou dont les permis de sé- 
jour se trouvaient expirés (2). Le duc de Savoie de- 
mandait en même temps au lieutenant du roi de 
France dans la province de Saluées (3), de faire sortir 
de son gouvernement tous ceux qui n'étaient pas nés 
dans le royaume, et de n'y recevoir aucun des fugitifs 
originaires du Piémont qui pourraient s'y retirer. 

Le gouverneur de Saluées rendit des ordres en 
conséquence. Les étrangers durent quitter le pays 



(1) Edit da iO d'atril 1566. 
(3) Edit da 1er d'avril 1567. 
(3) C'était alon le duc de Netert. 



— «94 — 
avec leur famille , dans Tespace de trois jours, avec 
défense d'y rentrer sans une permission spéciale, sous 
peine de la vie et de la confiscation des biens (1). 

Ce coup était principalement dirigé contre les pas- 
teurs qui se trouvaient étrangers au marquisat; 
mais ne pouvant se résoudre à abandonner leurs 
troupeaux, ils demeurèrent dans le pays. Truchi, né 
à Cental en Provence, et Soulf, né à Goni, en Ké- 
mont, furent emprisonnés à Saluées. Leur collègue 
Galatée, quoique fort âgé, se rendit à La Rochelle 
pour solliciter leur grâce du roi de Navarre et eut 
le bonheur de l'obtenir. Le duc de Nevers, gouver- 
neur de Saluées, reçut même Tordre d'élargir tous 
les prisonniers (3). Ces pauvres Eglises, un instant 
effrayées, se relevèrent avec plus de courage ; conome 
une plante vigoureuse que l'orage fortifie quand il ne 
la brise pas. 

Elles se crurent assurées d'un long et paisible 
avenir, à la nouvelle du mariage qui venait d'être 
conclu entre le roi de Navarre (Henri IV) et Margue- 
guerite de France (la sœur de Charles IX). Elles comp- 
taient sans Catherine de Médicis. 



(1) Arrêté du 19 d'octobre 1567. 
(3) Par lettre datée da U d'octobre 1571. 



— «96 — 

Tout àcoup éclatent les foudres sanglantes de la Saint- 
Barthélémy ; soixante mille victimes sont égorgées en 
quelques jours. Des transports de joie inexprimables 
accueillirent la nouvelle de cet événement dans les 
pays catholiques. Pie V venait de mourir, après avoir 
lancé une bulle d'exconmiunication contre les princes 
qui toléreraient des hérétiques dans leurs Etats. Il ne 
put jouir du fruit tardif de ses efforts , mais son suc- 
cesseur, Grégoh*e XIII, quoique moins cruel que lui , 
n'en répudia pas Théritage. Il fit frapper une médaille, 
célébrer des réjouissances publiques , et chanter des 
Te Deuniy en mémoire de cette immense extermi- 
nation. 

L'ordre de faire massacrer, dans une nuit, tous les 
protestants de la province de Saluées, avait été donné 
à Birague, qui en était alors le gouverneur. Ignorant 
que cette mesure s'appliquait à toute la France , il fut 
fort troublé de cet ordre, et le soumit au Chapitre du 
lieu. Plusieurs opinaient pour qu'il reçût une complète 
et immédiate exécution ; mais des sentiments plus hu- 
mains furent aussi exprimés; et ici, disons-le bien 
haut, avec une joie chrétienne dont nous sommes 
heureux de pouvoir faire remonter la source à un 
prêtre catholique , ce fut à l'archidiacre de Saluées , 



— 296 — 

nommé Samuel Vacca , qui s'opposa avec le plus de 
force au massacre des protestants. 

II n'y a que peu de mois, dit-il, que nous avons 
reçu les patentes du roi par lesquelles les pasteurs 
détenus devaient être élargis, et leurs ouailles laissées 
en liberté. Or , il n'est rien survenu depuis lors qui 
puisse motiver un pareil changement ; il est à croire 
que cet ordre cruel n'est que le résultat de quelques 
faux rapports. Donnons avis à Sa Majesté que ce sont 
des gens honnêtes et paisibles, à qui personne u'a rien 
à reprocher, hors de leurs opinions religieuses, et si le 
roi persiste dans son dessein, il ne sera toujours que 
trop tôt pour Texécuter. 

Ainsi les protestants de Saluées furent sauvés , car 
la réprobation qui s'éleva bientôt contre ces lâches 
tueries, eût empêché de les renouveler. Rorengo 
biftme cette modération , en disant qu'elle ne servit 
qu'à fortifier l'hérésie; nous espérons au contraire 
qu'elle servira à couvrh» bien des fautes, bien des cruau- 
tés inquisitoriales en les voilant sous les souvenirs 
de reconnaissance et de bénédiction qui s'attachent à 
l'humanité de ce digne vieillard. Que n'a-t-il eu de 
plus nombreux émules ! Les temps approchent, dit un 
publiciste , où Rome donnerait toutes les Saint-Bar- 



— 297 — 

thëlemy, toutes les proscriptions , tous les auto-da-fé 
du monde pour un seul acte de foi, d'espérance ou de 
charité. 

Dans le trouble que la nouvelle de ces massacres 
causa presque partout , le duc de Savoie se hâta de 
rassurer les vallées vaudoises, en déclarant hautement 
qu'il réprouvait de pareils attentats ; à Saluées même, 
plusieurs familles protestantes redoutant l'exécution 
des ordres qu'on avait reçus, se retirèrent au sein de 
diverses familles catholiques , dont la bienveillance 
leur était acquise et où elles furent fraternellement 
abritées jusqu'à ce que l'orage fut passé. 

Ainsi l'humanité triomphait en deçà des Alpes , et 
c'est une belle page de notre histoire que celle où 
nous pouvons deux fois rendre une telle justice à nos 
adversaires et à nos souverains. 

En 1574, le maréchal de Bellegarde fut nommé 
gouverneur de la province de Saluées. 

C'était un homme supérieur aux préjugés de son 
temps. Cette nomination suivit le retour de Henri III 
qui venait de quitter le trône de Pologne , dont il s'é- 
tait enfui comme d'une prison, afin d'arriver au trône 
de France, laissé vacant par la mort précoce , mysté- 
rieuse et cruelle de Charles IX. 

9* 



— 298 — 

Le nouveau gouverneur, par son impartialité envers 
tous ses ressortissants, ne tarda pas d*exciter les plaintes 
du parti catholique, alors tout-puissant à la cour. Mais 
le roi lui-môme se faisait homme de parti; il accep- 
tait d'être chef de la Ligue; c'était donner l'exemple 
de la coalition aux partis opposés. Lesdiguières se 
déclara te chef des réfonmés dans les riches vallées 
de risère et de la Durance. C'est dans ces circon- 
stances qu'on invita le maréchal à résigner son gou- 
vernem^t. Les réformés le supplièrent de ne pas le 
quitter ; de Bellegarde demeura à Saluées. On donna 
Tordre au gouv^neur de Provence de marcher cmitre 
lui; mais Lesdiguières, à la tÔte des protestants du 
Dauphiné, accourut à son secours. 

Les Vaudois de Luzerne et de Pragela se joigni- 
rent à lui , et le gouverneur de Saluées fut main- 
tenu. 

Quelques réclamations eurent lieu^ auprès du duc 
de Savoie, relativement au secours que ses sujets 
avaient prêté à un étranger ; des remontrances furent 
adressées par le duc aux magistrats des Vallées , des 
poursuites s'ouvrirent contre les Vaudois qui avaient 
pris les armes; mais la mort presque simultanée 



— t99 — 
du inaréchai et du prince mit fin k cette affaire (1) . 

Pendant ce temps, néamoins, les Eglises de Saluces 
s'étaient fortifiées. I^e pasteur de Saint-Germain (2), 
qui avait déjà déterminé les catholiques de Pramol à 
embrasser le protestantisme^dans son ardeur militante 
et active, avait suivi les milices vaudoises passées 
dans le mai^iuisat, et était ensuite resté dans ce pays 
afin de donner aux communautés protestantes qui s'y 
touvaient déjà, plus de consistance et de force, par 
une organisation semblable à celles des Vallées. Un 
synode général se tint à cet effet, le 8 février 1860, à 
Chftteau-Dauphin, où toutes ces Eglises furent repré- 
sentées* 

Dans la vallée de Maira^ les chefe catholiques et 
protestants constituèrent même une alliance com- 
mune, se promettant, dit Gilles, « bonne amitié et 
union , sans injures ni reproches pour cause de reli- 
gion; mais, au contraire, de s'entr'aider réciproque- 
ment en cas de nécessité, contre quiconque les vien- 
drait assaillir. x> 

Le peuple a toujours mieux compris la fi*atemité 
que les rois et les pontifes. 

(1) Le due de Savoie mourat le 30 d'août 1580, et le maréchal de Bel- 
legarde le 4 déeembre de la même aonée. 

(2) Fraoçoifl, Guério, pasteur de Saint-Germain. 



— 300 — 

Tous les systèmes religieux conçus dans un esprit 
de corporation et de formalisme, ne font pas de la 
firaternité, mais de la confrérie. 

Aussi, les Eglises de Saluées étaient-elles alors pai- 
sibles et florissantes. Les fruits nombreux que nous 
avons rapportés , montrent assez que ce beau pays 
n'était point hostile à la réformation, et que nulle 
part peut-être elle ne se fût plus rapidement étendue, 
si la pensée humaine avait été respectée dans son im- 
prescriptible liberté. Mais pour combattre la pensée, 
on prit le glaive, les chaînes et le feu. Ce sont les 
armes de l'Eglise romaine mais non pas celles de TE- 
vangile. La liberté n'a jamais été mieux servie, par 
les pontifes ni par les rois, que la fraternité. 

Il est probable que les Eglises réformées de Saluces 
subsisteraient encore aujourd'hui, comme celles du 
Dauphiné et des Cévennes, si cette province était de- 
meurée à la France. Henri lY venait de monter sur 
le trône ; pendant quelques années, ces Eglises con- 
tinuèrent de s'agrandir et de se fortifier. L'édit de 
Nantes, rendu en 1598, parut leur donner une stabi* 
lité durable. Mais la guerre existait alors entre la 
France et le Piémont; le marquisat de Saluces fut 
successivement pris et repris par les deux puissances. 



— 30< — 

jusqu'à ce qu'il demeura définitivement au duc de 
Savoie, par le traité du 17 janvier 1601, conclu à 
Lyon entre Henri IV et Charles-Emmanuel. Par ce 
traité, le roi de France cédait au duc ses possessions 
en Piémont , savoir les provinces de Saluées et de 
Pignerol , en échange de la Bresse et du Bugey . On 
dit, à ce propos, que le roi de France avait fait une 
paix de duc, et le duc une paix de roi. Mais il faut 
observer que, douze ans auparavant (en 1588), Char- 
les-Emmanuel s'était déjà emparé du marquisat, à la 
faveur des guerres intestines par lesquelles la France 
était alors paralysée. A peine fut^il maître de cette 
province que, fidèle aux engagements qu'il avait pris 
avec ses alliés , il commença d'inviter les Eglises ré- 
formées de Saluées à se ranger au culte catholique. 
La lettre qu'il leur écrivit pour cela est datée du 27 
mars 1597. 

Les évangéliques répondirent respectueusement 
qu'ils étaient reconnaissants de l'intérêt que son Al- 
tesse Royale témoignait à leur état spirituel; mais 
qu'ils le suppliaient de vouloir bien respecter leurs 
convictions , et les maintenir dans l'état où ils les 
avaient reçus. Notre religion est fondée sur la sainte 
Ecriture, disaient-ils en terminant, comme aussi 



— 3oa — 

notre fidélité et notre conduite; et nous espaçons que 
votre Altesse Royale nous reconnaîtra toujours pour 
des sujets fidèles, des citoyens intègres et des cioé- 
tiens sérieux. 

Le duc ne poussa pas plus loin ses instances dans 
cette occasion, d'autant plus que la province de Sa* 
luces lui était alors disputée. Mais après le traité de 
Lyon, lorsqu'il s'en vit le maître incontesté, il rendit 
un décret par lequel tous les refigionnaires étaioit 
tenus de quitter ses Etats dans Tespace de deux moisy 
ou d'abjurer dans le délai de quinze jours (i). 

Les récalcitrants devaient être pimis par la perle 
de la vie et la confiscation des bi^as. 

La plus considérable des Eglises protestantes qiM se 
fusssent élevées, était alors celle de Dronier (Dronèro), 
située à l'entrée de la vallée de Mayra (valle di Magra)^ 
dans un des plus riches bassins de ce fertile pays. 
A peine, dit Rorengo, y voyait-on quelques vestiges 
de catholicisme (S). 

On commença par y envoyer des misâonnaires, 
qui firent peu de prosélytes; et c'est alors que Charles- 



(1) JuUlet 1601. 

{%) Memorm itimehi p. 149, 



— 303 — 

Emmanuel fut sollicité d'employer des moyens plus 
expéditifs. L'Eglise romaine n'a jamais triomphé que 
par des secours étrangers à la puissance des convic- 
tions et de la vérité. C'est une preuve qu'elle ne peut 
se défendre elle-même, ni triompher par la parole et 
par la foi; il lui faut la violence et la servilité : pour- 
quoi l'appelle-t-on une Eglise? 

Après redit de proscription, d'apostasie ou de mort 
rendu par le duc de Savoie, l'Eglise de Dronier re- 
garda à Talliance de son Dieu. 

Une supplique pressante, respectueuse et fortement 
motivée, fut adressée au souverain de la part des 
Vaudois et des réformés. 

En attendant ils priaient avec plus de ferveur, et 
comme on leur faisait espérer la révocation ou du 
moins l'adoucissement de cet édit barbare , ils se ber- 
çaient de ridée que ce ne serait là qu'une secousse 
d'orage, après laquelle le repos leur serait rendu. 

L'image menaçante des calamités qui venaient d'ap* 
paraître à l'horizon de leur bonheur, était un aver- 
tissement pour mieux servir Dieu et non pour l'aban- 
donner. 

Au milieu de ces pensées, ils laissèrent s'écouler le 
terme indiqué dans i'édit, sans avoir vendu leurs biens 



— 304 — 

ni fait leurs préparatifs de départ; je ne dis pas sans 
abjurer : aucun n'y avait songé. 

Au bout de deux mois ils reçoivent, l'ordre inexo- 
rable de se conformer sans délai, aux dispositions de 
redit clérico-ducal. 

Alors, pleins d'effroi, d'anxiété, prisa l'improviste, 
hors d'eux-mêmes , entourés des plus pressantes sol- 
licitations de la part des moines et des magistrats, 
tremblant pour leur famille et ne sachant presque ce 
qu'ils faisaient, on vit un grand nombre des membres 
de cette Eglise désorganisée et surprise , entrer dans 
les rangs de l'Ëglise romaine. 

C'était à contre-cœur ; mais qu'importe au papisme? 
n s'applaudissait de ces conversions extérieures, com- 
me il s'applaudit encore de son unité tout extérieure 
et matérielle. L'hypocrisie lui a toujours souri. 

Ceux qui trouvèrent assez de force dans leur foi 
pour renoncer à toutes les douceurs de la fortune et 
de la patrie, se retirèrent soit en France, soit à Ge- 
nève, soit enfin dans les vallées vaudoises, où ils ob- 
tinrent un asile malgré les termes de l'édit qui les^ban- 
nissait de l'Etat. 

Ils n'ont plus rien ! disait le monde. Mais n'est-ce 



rien que les trésors d'une bonne conscience et de la 
paix de Dieu ? 

On est surpris néanmoins de ce que tous les réfor- 
més et les Vaudoisde la province, n'aient pas agi avec 
plus d'énergie et d'ensemble, pour s'opposer par une 
résistance courageuse à ces iniquités* * 

Leurs adversaires même l'avaient craint; aussi 
avaient-ils répandu partout et ne cessaient*ils de ré« 
péter que, malgré sa généralité , cet édit n'avait pour 
but que de frapper les (Mrotestants de la plaine, et que 
ceux des montagnes ne seraient point inquiétés, pour- 
vu toutefois qu'ils se tinssent tranquilles pendant les 
poursuites dirigées contre les premiers. Celui qui veut 
se sauver seul se perdra, dit la Bible; car étant tom- 
bé, il n'aura personne pour le relever. 

Les habitants des montagnes abandonnèrent leurs 
coreligionnaires de la plaine à leurs propres épreuves, 
et ils n'eurent point d'appui à leur tour dans celles 
qui les attendaient. 

A peine eut-on réussi à se défaire des protestants 
répandus autour des grandes villes, qu'on intima à 
ceux des villages plus retirés l'injonction formelle de 
se conformer à Tédit. 

L'influeuce.sous laquelle cet édit était éctos, agran* 



— 306 — 

dissait son cercle de dépopulation et de mort. 

Jusque-làpourtant aucune menace n'avait été adres- 
sée aut Yaudois de Praviglelm et de toute la haute 
vallée du Pô où ils avaient exercé le culte évangélique 
depuis un temps immémorial. Ils en considéraient le 
maintien comme un droit acquis à son antiquité j et 
ne pensaient pas qu'on pût jamais le contester. Mais 
rinjustice criante dont leurs frères étaient victimes 
eût dû les éclairer : car, si la justice et l'humanité 
n'étaient pas respectées dans la plaine , pourquoi 
Feùssent-elles été dans leurs rochers? et s'ils trou- 
vaient tolérables les injustices qui ne les touchaient 
pas, pourquoi n'auraient-ils pas été exposés à en souf- 
frir de pareilles? 

Mais leur logique n'allait pas jusque-là, et comme 
on leur disait que cet édit ne les concernait point, ils 
vivaient aussi tranquilles que s'il n'eût pas existé. 

Enfin tous leurs frères ayant été bannis ou disper- 
sés, on leur fit entendre à leur tour qu'ils devaient 
fléchir aussi bien que les autres. 

Alors ces apathiques montagnards, voyant se dres- 
ser devant eux une question de vie ou de mort per- . 
sonnelle, transportés d'une indignation peut-être de- 
puis longtemps contenue, s'armèrent sans s'être cou- 



— 307 — 

certes, se jurèrent aide et courage, et par leur union, 
leur énei^ie et leur valeur , sauvèrent, pour quelque 
temps du moins, leur cause menacée. 

Abandonnant leurs troupeaux, leurs maisons, leurs 
familles, ils se réunissent en armes et menacent les 
catholiques, au milieu desquels ils demeuraient, de 
mettre tout à feu et à sang parmi eux s'il arrivait mal- 
heur à leurs femmes ou à leurs enfants. Puis ils des- 
cendent dans la plaine, marchent contre leurs op- 
presseurs, s'emparent de la place de Château-Dau- 
phin et menacent encore de tout ravager si on ne ré- 
voque pas à leur égard les mesures qui ont déjà causé 
tant d'infortunes. 

Les catholiques , qui n'avaient jamais souffert du 
voisinage des protestants et qui devaient comprendre 
la cause de leur irritation, furent les premiers à inter- 
céder pour eux, moins par désir de justice que par 
crainte de leur colère. 

Des requêtes nombreuses furent adressées à Char- 
les-Emmanuel ; les magistrats du pays conseillaient 
eux-mêmes de ne pas réduire au désespoir une trou- 
pe aussi déterminée ; l'un des anciens pasteurs de 
Praviglelm, Dominique Vignaux, qui était alors pas- 
teur au Villar dans la vaUée de Luzerne , et qui avait 



— 308 — 

conservé des relations avec le gouverneur de Saluées, 
joignit ses instances à celles des habitants du pays, en 
faveur de ses anciens paroissiens ; et enfin les Vau- 
dois de ces profondes vallées où le Pô préhd sa source, 
obtinrent de rentrer dans leurs demeures et d'y con- 
server leur religion. 

Ce succès fut obtenu sans effusion de sang, tant il 
est vrai que l'énergie en épargne bien plus que la 
faiblesse. Combien de martyrs qui ont péri les uns 
après les autres, dans les plus cruelles souffrances, 
et qui tous ensemble se fussent sauvés par une sim- 
pie manifestation de courageuse résistance ! 

Mais malgré leur triomphe actuel, les Vaudois de 
Praviglelm, pour s'être abstenus devant les proscrip- 
tions de leurs frères, tombèrent plus tard dans cet 
isolement qui tue; et comme les autres Eglises de 
Saluées, les leurs sont détruites aujourd'hui. Nous 
verrons dans les chapitres suivants une partie des 
événements qui amenèrent leur extinction. 



CHAPITRE Xn. 
APERÇU DES VICISSITUDES 

SOtJTFSETES PAR LS8 GHBÉTISNS BIS TAILÉS8 
SITUÉES AUX ALENTOURS DES VALLÉES TAUDOISES ; 

PARTICDLIÂREaBKT DE BtBUHB, LtZSBHE, GAXPILLON BT FENIL. 

(De 1560 à 1630.) 



Soimcn ST AvromiTis : — Les mêmes qu'au chapitre IX. 

Nous avons vu déjà qu'au commencement de l'an- 
née 1560, le duc Emmanuel-Philibert avait défendu 
à tous les habitants de ses Etats , d'aller entendre les 
ministres protestants dans les vallées vaudoises^ et 
de célébrer le culte réformé en dehors du territoire 
de ces vaUées(l). 

(1) Edit de Nice, 15 fétrier 1560. 



— 310 — 

Mais cet édit ne spécifiait pas jusqu'où devaient 
s'étendre leurs limites. 

Des commissaires furent nommés pour en juger ar- 
bitrairement, selon les cas qui se présenteraient, et 
poursuivre les auteurs des contraventk)ns qu'ils au- 
raient reconnues. 

Or, comme les contrevenants étaient passibles d'une 
amende décent écus(l), et que la moitié de cette 
somme devait être remise à leurs dénonciateurs, on 
était sûr de trouver toujours, aux abords des vallées 
vaudoises, quelques zélés partisans du culte catholi- 
que, et de l'argent des réformés, qui se tenaient aux 
aguets pour épier l'humble pèlerinage des chrétiens 
de la plaine se rendant aux assemblées de la monta- 
gne. Les moines de l'abbaye de Pignerol prirent 
même à leur solde une troupe de spadassins qui par- 
couraient le pays pour faire des prisonniers parmi 
ces pauvres gens. Bien que cette troupe agît sur- 
tout dans la vallée de Pérouse, elle poussa ses 
tentatives et ses ravages jusqu'à Briqueras, Feuil et 
Campillon. Là, du reste , le comte Guillaume de Lu- 
zerne la remplaçait surabondamment. Homme vani- 

(1) Ed irertu de l'édit précité. 



— 341 — 

teux et nul y qui aimait à se pavaner sur son cheval 
richement harnaché, à étaler de clinquantes parures, 
à poursuivre le faste et les plaisirs. H avait dissipé 
sa fortune, et cherchait à la relever par le salaire de 
Fespionnage. C'est lui qui conseilla au duc de Sa- 
voie de bâtir le fort de Mirabouc (1). 

a En ce temps-là, dit Gilles, les principaux habitants 
et les plus riches des villes de Garsiliane, Fenil , Bu- 
biane, et autres bourgades situées aux alentours des 
Eglises vaudoises, étaient de la même religion que 
nous et fort diligents pour se iiendre à notre culte. 
La plus grande partie de la population de Fenil et de 
Campillon était même protestante. » 

Le comte de Luzerne réunit autour de lui quelques 

brutaux gentilshommes de son aloi qui, avec des do- 

« 

mestiques bien armés , formèrent une petite troupe 
de brigands, ou plutôt de sbires, dont les exploits se 
bornaient à surprendre et à arrêter les protestants qui 
se rendraient dans les Vallées pour assister aux assem- 
blées religieuses. Ces nobles aventuriers espéraient 
s'enrichir des dépouilles de leurs victimes, et ils s'é- 



(1) Par lettre datée de Bubiane, le 34 octobre 1560. Se troure aux Ar- 
chiTei d'Etat dans la eorretpandanee ^Emmanuel Philibert avec iet mtm't- 
tret, (Hait le dac de Savoie était alori Charles III.) 



— 342 — 

talent même rép&fti d'avance tes biens de la plupart 
d'entre elles* Le capitaine Scatamuzsa eut les biens 
de Claude Got de Yigon, qui se retira dans la vallée 
de Luzerne en 1560. Le comte Guillaume obtint une 
assignation de mille écus ^ dont huit cents devaient 
être pris sur la commune de Rora et deux cents sur 
ceHes de la plaine; mais la persécution générale qui 
s'embrasa alors contre tous les habitants des Vallées, 
et qui se termina par le traité de Gavour (conclu le 5 
de juin 1567), mit à néant ce titre spoliateur^ et dé- 
truisit tout Tavenir des projets de ces bandits* 

Par ce traité, en effet, tous les protestants de Bu- 
biane, Fenil, Briqueras et autres villes contiguês au 
territoire des VaUées , étaient autorisées à s'y rendre 
librement, pour assister aux {prédications. La liberté 
de conscience venait d'être conquise par les Yaadois, 
au prix des plus généreux efforts et des plus héroï- 
ques exploits. 

Les habitants des villes que nous venons de nom- 
mer, dont les biens avaient été confisqués, ou qui 
avaient été oUigés de prendre la fuite, purent rentrer 
librement dans leurs possessions. De ce nombre furent 
trois notaires deCampillon; le podestat d'Ângrogne, 
qui était de Bubiane; le médecin Clareton et le notaire 



— 343 — 

Beinier de la même ville ; Antoine Paie , qui se livra 
plas tard à la carrière pastorale ; Daniel et Baptiste 
Florins, ainsi qu'un grand nonibre de négociants, d'a- 
griculteurs et d'industriels de toute sorte. 

Les villes précitées , eurent alors quelques années 
de véritable tranquillité, grâce à l'énergie du peuple 
vaudois qui la leur avait conquise. 

Sans avoir le droit d'ouvrir des temples , leurs ha- 
bitants avaient celui de se rendre dans ceux des Val- 
lées, et de célébrer leur culte domestique. Ils pouvaient 
même réclamer auprès d'eux les pasteurs en cas de 
maladie, ou pour les services funèbres de leurs core- 
ligionnaires. En 1564 cependant, le dominicain Ga- 
rossia voulut leur appliquer les dispositions d'un édit 
de l'année précédente , relatives seulement à d'au- 
tres villes du Piémont, par lequel il était interdit aux 
catholiques d'entretenir aucun conmierce avec les « 
protestants. H voulut aussi leur enlever les Bibles et 
les livres religieux dont ils faisaient usage; mais ap- 
puyés sur les conventions de Gavour, ils se mirent à 
Vabri de ses projets, et par la confirmation de tous 
leurs privilèges, accordés en 1574, aux Vaudois, au 
prix de quatre miUe écus, ils jouirent encore d'un 
^oucissement nouveau. 



9 



A* 



Hais peu à peu les tracasseries cléricales reprirait 
le dessus. En 1565, Casfrocaro^ alors gouverneur des 
Vallées, fit fermer le temple de Saint-Jean; et la com- 
tesse de Cardes , la baronne de Termes y ainsi que 
d'autres personnes d'un rang élevé , qui venaient, 
selon leur habitude y du fond de leurs chftteaux as- 
sister dans les Vallées à la célébration de la sainte 
cène selon le rit des réformés , reçurent Tordre 
de ne plus s'y rendre désormais. Les pasteurs vau- 
dois se réunirent et résolurent de résister aux pré^ 
tentions du gouverneur. Ils en écrivirent à la dudiesse 
de Savoie^ et par son entremise, ils obtinrent encore 
d'Bmmanuel-Philibert une nouvelle confirmation de 
leurs libertés. Cependant les intrigues et les vexations 
46 toute nature continuaient à circonvenir les pny- 
testaûts épars dans le Piémont. On avait confisqué 
les biens de Claude Cot, riche bourgeois de Vigon. 
L'ambassadeur de l'Electeur Palatin se trouvait 
alors à Turin. Le doc de Savde. voulut lui offrir 
un présent. -* Que Votre Akesse m'accorde la mai- 
son confisquée à Vigon. — Elle lui fut donnée en 
toute propriété, par patente ducale du 12 avril iS66. 
Le digne ambassadeur Junius, la restitua immédiate- 
ment à la famille persécutée. Mais Castiocaro, alors 



g^nveroeiir des vaBées vandoises, fit défendre immé- 
diatement après le départ de Junius à tous les réfor- 
més deijuzeme, deBubianeetdeCampillon, d'assister 
m culte protestant des YaUées, sous peine de la vie (1 ) . 
n fit arrêter ceux qui n'en tinrent compte; ces der- 
niers eu appelèrent au duc; puis les Vaudois envoyé-^ 
rent eux-mêmes deux députés , pour lui représenter 
que redit de Gavour autorisait leurs coreligionnaires 
de la plaine à assister à leur culte. Une nouvelle au-» 
torisation vint confirmer ce privilège, et tous les pri* 
sonniers faits à cette occasion durent être relâchés, 
par l'entremise de la bonne duchesse. 

Ces foyers lumineux d'indépendance et de vérités 
évang^iques se rétrécirent par degrés, et enfin, par 
redît du 25 février 1602,, les villes de Luzerne, de 
Bubiane, Gampillon, Briqueras, Fenil, Montbrun, 
Garsiliane et Saint*Segont, furent définitivement dé^ 
tachées du territoire des Vallées, les seules où la li- 
berté religieuse fdt maintenue. 

On espérait, en rompant ainsi le lien qui rattachait 
les iM*ote^ants de la plaine à ceux des montagnes, 
briser également leur unité de foi, leurs relations 
ccouniiaes et leur fraternité. 

(1) Cet ordre est du SI d'avrU 1566. 



— 346 — 

Aussitôt le gouverneur de la province et Tarchevè- 
qtfe de Turin se rendirent dans ces contrées, accom- 
pagnés d'une grande suite de moines prêcheurs , de 
clercs polémistes, de capucins, de jésuites et de mis- 
sionnaires, dans l'espérance d'y opérer d'un coup la 
conversion de tous les protestants. Lorsque, sur un 
arbre dépouillé, quelques feuilles tremblantes ver- 
doient encore au sommet des rameaux , un léger 
souffle suffit à les abattre. Mais la sève dont ces 
Eglises s'étaient nourries conservait toute sa puis- 
sance. 

Le prélat, arrivé au commencement du mois de fé- 
vrier, avait établi sa résidence dans le palais des 
comtes de Luzerne. Après avoir tenu quelques confé- 
rences particulières avec le comte et le gouverneur, 
il commença par faire appeler auprès de lui tous les 
chefs de familles protestantes établies dans Luzerne, 
ails y étaient en bon nombre, dit Gilles, et des prin- 
cipaux du pays , qui de mémoire d'homme l'avaient 
toujours habité. » 

Son Altesse Royale, leur dit-on, ne veut plus souf- 
frir deux religions dans cette ville, et nous vous avons 
fait venir dans votre propre intérêt, afin que vous vous 
décidiez à vivre en bons et fidèles catholiques , faute 



— 347 — 

de quoi vous serez otdigés de vendre vos biens et de 

vous expatrier. 

On conçoit que ces insinuations ne demeurèrent 
pas sans réponse; mais un langage plus énergique fut 
alors employé. 

— Vous ne pouvez résister aux ordres du souverain 
sans être taxés de rebelles^ et alors vous serez traités 
comme tels; tandis que si vous rentrez dans le devoir 
(c'est-à-dire dans TEglise romaine), non-seulement 
tous vos biens vous seront conservés , mais vous ob- 
tiendrez de grandes récompenses. 

— Si c'est un devoir, répondirent fermement les 
plus résolus, pourquoi parler de récompense? sinon, 
pourquoi chercher à nous en faire sortir ? 

— On récompensera ceux qui se rendront agréables 
à leur souverain. 

— II doit trouver pour agréable notre fidélité ; et il 
aurait lieu d'en douter si nous étions infidèles à notre 
Dieu. 

La plupart d'entre les protestants de Luzerne de- 
meurèrent donc inébranlables devant les o&es et les 
menaces qui leur furent faites; mais quelques-uns ce- 
pendant fléchirent dans leur résolution. Aussitôt on fit 
publier qu'une exemption d'impôts était accordée aux 



— 348 — 

nouveaux catholisés et à ceux qui annonceraient l'in- 
tention de les suivre (1). 

L'archevêque , le gouverneur et le comte se ren- 
dirent ensuite à Bubiane, où personne ne put être 
fléchi. 

Attribuant cette résistance unanime aux chefs de 
quelques familles éminentes , qui étaient aussi zélés 
pour leur culte qu'influents et honorés par leur 
position , on les fit citer à Turin , devant le duc de 
Savoie, Ce furent Pierre Morèse, Samuel Falc et les 
frères Boulles, nommés Mathieu et Valentin. Ce der- 
nier avait épousé une jeune femme née catholique, 
mais convertie au protestantisme et qui était la fil- 
leule du comte de Luzerne, Dès leur arrivée à Turin, 
ils se virent circonvenus par des courtisans aflSdés^ 
qui leur dirent : u Prenez garde! car le prince est fort 
irrité de ce qu'à vous quatre, vous ayez empêché tous 
les protestants de Bubiane de se convertir. Il veut 
vous parler à l'amiable 3 mais si vous vous avisez de 
le contredire , vous pouvez vous attendre à un rude 



(1) Ces exemptions sont du 22 février. Elles ont été renourelées le 10 de 
mai : se trouTent aax Archives de la cour des comptes à Turin. Reg. i*a- 
(^(f e eoncestioni, qo XXVI hU 198 et 268. 



— 319 — 

• 

affiront. o Les voyageurs tinrent peu de compte de ces 
insinuations et se rendirent ensemble au palais , où 
Son Altesse leur fit déclarer qu'elle les recevrait iso- 
lément et en particulier. 

Yalentin Boulles fut le premier introduit. Le duc 
lui parla avec bonté. Je désire, dit-il, que mes sujets 
soient unis dans une même religion; et, sachant com- 
bien vous pourriez être utile à ces vues dans le pays 
que vous habitez, j'ai voulu vous voir, pour vous ex- 
horter moi-même à suivre la religion de votre prince 
et à*y gagner vos alentours. Soyez persuadé, ajouta- 
t-il, qu'en agissant ainsi, outre l'avantage spirituel 
qui en résultera pour vous, il vous arrivera d'autres 
bénéfices par lesquels vous pourrez connaître le grand 
plaisir que vous aurez fait à votre souverain. 

— Après le service de Dieu, répondit le chrétien, 
il n'en est point auquel je m'honore de porter plus de 
dévouement qu'à celui de Votre Altesse ; et je suis prêt 
à y employer de bon cœur 'et ma vie et mes biens; 
mais ma religion est encore plus que ma vie. Je la 
crois la vraie, la seule fondée sur la Parole de Dieu, 
et je ne pourrais l'abandonner sans perdre tout repos, 
toute consolation. Que Votre Altesse veuille bien s'as- 
surer de mon dévouement à son service, mais qu'elle 



« 

daigne me laisser ma religion, sans laquelle je ne 
pourrais vivre. 

— Et moi, reprit le duc, croyez*vous que je n'aie 
pas souci du salut de mon âme? Si je n'étais persuadé 
que ma religion est la vraie, je ne la suivrais pas, et 
je n'engagerais personne à la suivre. An reste, je sau- 
rai faire connaître à ceux qui l'embrasseront combien 
cela m'est agréable; mais je ne veux violenter la 
conscience de personne. Vous pouvez vous retirer. 

On fit sortir Valentin Boulles par une antre porte 
que celle de son arrivée, et Ton vint dire à s^ tom- 
pagnons qu'il avait cédé aux instances du prince et 
s'était fait catholique. 

Ceux-ci ayant donc été successivement introdoits, 
répondirent au duc qu'ayant vécu jusque-là dans la 
religion protestante, ils eussent considéré comme une 
précieuse faveur de pouvoir y mourir, mais que, si 
Son Altesse exigeait autre chose, ils étaient prêts à 
faire tout ce qui lui serait agréable. 

Gela m'est agréable, en effet, dit le duc, et je sau- 
rai, en temps et lieu, vous le faire connaître. 

Malgré ces paroles favorables , ils ne sortirait pas 
consolés de leur faiblesse; mais quelle ne fut pas leur 
douleur lorsqu'ils eurent apinris la fermeté de leur 



— 324 — 

frère, et les paroles plus bienveillantes que le duc lui 
avait adressées en le laissant libre de sa conscience. 
Ces pauvres gens furent tellement navrés de leur 
chute que, loin d'attendre les faveurs du prince, à 
peine de retour aux Vallées ils firent pénitence pu- 
blique, pour expier cette faute et pour rentrer au 
sein de leur Eglise. La promesse contraire leur avait 
sans doute été arrachée par ime sorte de surprise, 
mais on s'en prévalut pour représenter au duc que 
la conversion des Vaudois n'était pas une chose si dif- 
ficile à obtenir. On ne se faisait pas faute de dire que, 
pareils aux moutons de leurs parcs , ils passeraient 
tous où le premier aurait passé. 

On a fait croire à ceux-ci^ que le premier s'était 
fait catholique, et les autres ont consenti à abjurer; 
puis ils apprennent qu'il est resté dans ses erreurs, et 
ils y reviennent aussitôt. Que votre Altesse déploie 
donc un peu d'énergie dans l'œuvre qui vient d'être 
entreprise, et lorsque deux ou trois familles se seront 
converties, tout le reste suivra comme un troupeau, o 

Telles furent les irréparables conséquences causées 
par cet instant de faiblesse. Le relèvement, il est vrai, 
fut aussi prompt que la chute avait été imprévue, le 
repentir aussi profond qu'elle avait été grave ; mais 



— sy- 
rien De pat défvuire l'impression reçue dans cet in- 
stant. 

L'honorable fermeté de Yalentin Boulles avait 
été respectée par le prince , et les Yaudois respectés 
eussent trouvé dans sa justice des motifs d'espérer un 
meilleur avenir; car on a plus de ménagements pour 
ceux que l'on respecte que pour ceux qu'on méprise 
ou qu'on espère ébranler, et depuis lors les habi- 
tants des vallées furent traités avec une sorte de dé- 
dain et de rigueur bien éloignés de la modération ha- 
bituelle de Charles-Emmanuel. 

Ah I si chacun d'entre les prévenus de Bubîane ne 
s'était préoccupé que de sa conscience, et non de sa 
position , ou de ce qu'un autre avait pu faire avant 
lui ; si chacun d'eux avait répondu au prince avec 
cette noUe et respectueuse fermeté du premier com- 
paru, peut-être leur Eglise eût-elle été sauvée. Mais 
. on vit jour à l'entamer, ei l'on n'y faillit pas. 

Immédiatement après, en effet, fut publié un ordre 
à tous les protestants de Luzerne, de Bubiane, de 
ClampiUon et de Fenil, de se catholiciser ou de vider 
le pays dans cinq jours, sous peine de la vie et de 
la confiscation des biens. 

Aussitôt les Eglises de la Vallée adressèrent une 



— 32à — 

supplique motivée au souverain , pour obtenir la ré- 
vocation de cet édit. On rappelait au duc qu'en re* 
venant du fort de Hirabouc y enlevé aux Français en 
4S95, il avait dit aux protestants qui vinrent le com- 
plimenter à YiUar : « Je n'innoverai rien dans votre 
religion ; el si quelqu'un veut entreprendre de vous 
molester, j'y remédierai au premier avis. » 

Le duc leur fit répondre qu'il n'avait point changé 
de sentiment à leur égard, mais qu*il s'agissait seule- 
ment ici de religionnnaires établis en dehors des li- 
mites de leur Vallée. 

Le gouverneur de Pignerol , renouvelant alors ses 
ordres antérieurs , enjoignit aux protestante qui se 
trouvaient dans ce dernier cas, de quitter leurs do« 
meures dans deux jours, à moins qu'ils n'obtinssent 
de l'archevêque une permission spéciale d'y rester. 

Quelques-uns se rendirent auprès du prélat pour 
l'obtenu*; mais comme on le pense bien, il voulut avant 
tout obtenir d'eux une abjuration. 

Nous ne voudrions pas abjurer sans savoir en quoi 
notre religion est mauvaise , répondit le simple bon 
sens du peuple. 

Aussitôt voilà les clercs, les moines, les jésuites, qui 
leur enchevêtrent les uns dans les autres une foule 



— 324 — 

d'aifiuments théologiques auxquels la lecture de la 
Bible ne les avait pas préparés. 

Nous ne pouvons discuter avec vous, répondirent- 
ils, mais si vous voulez conférer avec notre pasteur , 
et lui prouver que la messe et autres cérémonies de 
votre culte ne sont point contraires à la Parole de 
Dieu, nous vous promettons d'y aller sans tant de 
peine. 

L'archevêque, se croyant déjà sûr de la victoire, se 
hâte d'envoyer un sauf-conduit au pasteur Auguste 
Gros, qui lui avait été désigné, et qui était lui-même 
ancien moine augustin de Ville-Franche, converti au 
protestantisme. Mais celui-ci , rappelant la décision 
du concile de Constance , qui sanctionne le manque 
de foi de la part d'un catholique envers des hommes 
d'une autre communion , refusa de se rendre à Bu- 
biane et proposa Saint-nJean ou Angrogne pour cette 
réunion : a Ne me refusant, pas dit-il, de conférer avec 
le prélat, ou avec ceux d'entre ses théologiens qu'il lui 
plairait d'envoyer, avec les armes de la Parole de 
Dieu, et moyennant les conditions requises à une 
conférence modeste et bien réglée. » 

L'archevêque accepta cette proposition et désigna, 
pour entrer en lice, un professeur de Turin, nommé 



Antoine Marchés!, qui était docteur en théologie et 
recteur des jésuites dans cette capitale. L'ouverture 
des conférences fut fixée au IS de mars. Elles com- 
mencèrent, du côté des catholiques , par le dévelop- 
pement de cette thèse : La messe est instituée par Jé^ 
sus^krist et se trouve dans t Ecriture sainte. Le jésuite 
mit un grand talent à la développer. Mais le pasteur 
exposant ensuite en détail et, Tune après l'autre, 
toutes les parties de la messe, demanda qu'on lui 
montrât tout ce cérémonial dans la Bible. Marchés! 
dut alors convenir que la plupart des rites établis l'a- 
vaient été par l'Eglise romaine , en divers temps et 
en diverses circonstances. 

Eh bien! dit alors le pasteur, je promets d'aller 
moi-même à la messe et d'exhorter mes auditeurs à 
s'y rendre, pourvu qu'on la dépouille de toutes ces su- 
perfétations humaines, et qu'on la rétablisse telle que 
Christ l'a instituée. 

Le jésuite baissa les yeux; les assistants gardèrent 
le silence, et le président de la conférence déclara 
que cette première question étant vidée, on renver- 
rait au lendemain pour traiter celle de la confession 
auriculaire. 

Chacun se sépara , mais les papistes ne reparurent 

10 



« M.Z 



ptii8« A quelque temps de là, Augustin Gros apprit que 
le jésuite se vantitit d'avoir eu l'avantage daûs cette 
conférenee. 

Je serais fort étonné qu'il parlât autrement^ répon- 
dit le pasteur^ il n'a pas eu le courage de confessa 
la vàrité contenue dans la Parole de Dieu; ne doit^m 
pas s'attendre , à plus forte raison, à ce qu'il nie la vé- 
rité sortie de la bouche des hommes. 

L'archevêque, avec toute sa suite, de retira devan 
le mauvais succès de cette conféreiu^e^ et mille vexa- 
tions partielles contre les protestants, remfdacèrent 
alors les grands succès de conversion dont on s'était 
flatté. 

Le premier d'entre les prévenus de Bubiane qui 
avait paru devant le duc de Savoie, et que l'on accu- 
sait d'avoir déu^uit par sa persévérance tous les bons 
effets de cette tentative, Yalentin Boulles, fut surtout 
exposé à d'incessantes récriminations. Sa fi^Bme, qui 
était née catholique, subissait chaque jour de vives 
sollicitations par lesquelles elle était pressée de ren* 
trerdans l'Eglise où elle avait été baptisée. Lassés en- 
fin de cette vie d'oppressions perpétuelles, ils prirent 
le parti de s'y soustraire en allant cacher leur existetioe 
|dus tranquille, leur foi paisible, et leur union bénie, 



— 3^7 — 

dans une retraite éloignée de toutes ces tracasseries. 
Ils quittèrent donc Bubiane et allèrent s'établir au 
fond de la vallée de Luzerne, dans le petit village de 
Bobi. 

En 1619, un menuisier protestant étant mort à 
Campillon, le seigneur du lieu s'opposa à ce qu'on 
Fensevelît dans le cimetière habituel des protestants, 
qui était contigu à celui des catholiques, prétendant 
que la proximité des dépouilles mortelles d'un héré- 
tique souillait la terre de sainteté consacrée aux cer- 
cueils des fidèles papistes. 

Hélas! ils mettent la sainteté dans la terre plus que 
dans le cœur; un cimetière est l'emblème de leur 
Eglise : c'est l'immobilité de la mort. Pourquoi faut- 
il que l'orgueil et le fanatisme des hommes poursui- 
vent leurs divisions jusque dans les tombeaux? 

n faut observer que depuis peu de jours un édit 
défendant aux Vaudois de se trouver plus de six per^ 
sonnes h un ensevelissement, avait été secrètement 
pobriè. Je dis ^ecrëtement publié, parce quHl ne con- 
centaR que les protestants, et qu'on n^eù avait donné 
lecture qn% la sortie du culte catholique. 

La plupart des intéressés Tignoraient donc com- 
plètement. Le seigneur de Campillon, pour s'opposer 



— 388 — 

à ces funérailles , réunit ses gens en armes. Les pro- 
testants, de leur côté, s'armèrent sous la conduite du 
capitaine Cappel. Les obsèques eurent lieu sans col- 
lision, grâce à la ferme contenance des Yaudois; mais 
tous les assistants furent dénoncés comme ayant en- 
freint redit. Le jugement de cette cause revenait au 
podestat de Luzerne; mafe par une infraction aux lois 
juridiques d'alors, on saisit le prévôt général de 
justice, qui lança ses limiers à la poursuite des Vau- 
dois. Ceux-ci furent bientôt enlacés dans les inextri- 
cables filets de ses assignations, protocoles, com- 
parutions , interrogatoires, confrontations et procé- 
dures, au point que nulle affaire criminelle n'avait ac- 
quis d'aussi formidables proportions que celle-là. Un 
juge inique est le fléau des peuples ! 

La plupart des prévenus furent condamnés par 
contumace; mais il s'agissait de s'en emparer. Le 
plus diflScile à saisir était le capitaine Cappel; homme 
terrible, dit Gilles, et qui se faisait fort redouter. 

La trahison vint en aide à l'injustice. Le colonel 
d'un régiment fit oiïnr une compagnie à ce terrible 
capitaine, et l'invita à se rendre pour cela auprès de 
lui à Pignerol. Souviens-toi de ton Virgile, lui dit un 
de ses amis auquel il communiqua cette proposition, 



— 329 — 
Timeo Danaos et dona ferentes (1). 

Mais sa propre hardiesse remporta sur la prudence 
de ce conseil; il se rendit àPignerol, fut introduit dans 
le château et retenu prisonnier. De là transféré à Tu- 
rin, on le jeta dans un cachot et il fut condamné à 
mort. 

Deux Vaudois, beaux-frères de Lesdiguières^ Sa- 
muel Tnichi et le ministre Guérin, prièrent Filluslre 
général d'intercéder pour le malheureux capitaine; et 
en septembre 1620, Lesdiguières étant venu à Turin, 
obtint la grâce de Cappel. 

Cependant il était dans sa destinée de mourir en 
prison; car en 1630, il fut de nouveau arrêté, et 
mourut de la peste dans les prisons de Pignerol. 

Après sa première arrestation toutefois, le prévôt 
criminel avait fait assigner les autres protestants qui 
s'étaient trouvés aux funérailles du pauvre artisan de 
Campillon, à comparaître devant lui, dans le teme 
de trois mois. C'est alors que n'ayant pas comparu , 
ils furent tous condamnés par contumace et déclarés 
bannis des Etats de son Altesse Royale. 

Aussitôt leurs coreligionnaires de toutes les vallées 

(1) ie crains Ici Grecs même dans leurs présents. 



— 330 — 

prennent parti pour eux , leur ofifrent uu asile, et in- 
tercèdent auprès du souverain. Dans la crainte que le 
duc ne blàmàt les rigueurs injustes dont ils étaient 
victimes et qu'en fin de compte le seigneur de Gam- 
pillon, promoteur passionné de toute cette aflaire, ne 
s'engageât lui-même dans un pas dangereux, ce sei- 
gneur prit le parti de s'entremettre en leur faveur. Le 
faisait-il sincèrement? C'est ce que l'on va voir. 

Son entremise fut offerte aux Yaudois par un pa- 
piste qui se disait protestant. Ce début ne promettait 
pas beaucoup de sincérité. 

L'intermédiaire se fit fort d'obtenir la grâce des 
condamnés, pourvu que leurs coreligionnaires adres- 
sassent au souverain une requête dans laquelle ils lui 
offiîraient de l'argent. 

Cela devait paraître un outrage à S. A. R., mais 
elle l'ignora; car son Excellence seigneuriale de Gam- 
pillon garda l'argent et la requête. 

Pendant ce temps le prévôt criminel poursuivait 
toujours ses exécutions contre les protestants établis à 
Luzerne, sur la rive droite du Pélis. 

Enfin les Yaudois envoient eux-mêmes des députés 
à Turin. Le duc n'y était pas; ses ministres leur de- 
mandent cinq mille ducatous (près de trente mille 



francs) pour faire cesser les vexations dont ils se plai- 
gnent. C'est bien le cas de dire, tels seigneurs, tels 
prévôts, tels ministres ! Les députés n'osent pas s'en- 
gager, rendus timides par les trois mille livres que le 
seigneur de Campillon avait déjà gardées; ils revien- 
nent aux Vallées , et le prévôt continue de plus belle 
ces poursuites, procédures, intimations et sentences, 
qui aboutissaient toujours à d'onéreux dépens. 

Enfin l'on apprend que Charles-Emmanuel est de 
retour à Turin. De nouveaux députés s'y rendent aussi- 
tôt; une nouvelle requête est présentée; de nouveaux 
retards leur sont chaque jour opposés ; finalement ils 
se retirent, chargeant deux délégués à demeure du 
soin de leurs affaires. C'étaient un notaire de Saint- 
Jean, nommé Antoine Bastie, et le gonfalonier ou 
porte-enseigne du Villar , nommé Jacques Fontaine. 
' Au bout de quelques mois ils obtiennent un projet 
de décret dont voici les principales dispositions : Les 
anciens privilèges des Vaudois seront confirmés, et 
toutes les procédures commencées contre eux, pour 
fait de religion , abolies moyennant la somme de six 
mille ducatons (34,800 fi*.). Il était dit, en outre, que 
les protestants ne travailleraient pas en public les jours 
de fêtes catholiques; qu'ils feraient la révérence aux . 



— 338 — 

processions, ou se retireraient de leur passage ; et en- 
fin qu'ils fermeraient le nouveau temple ouvert par 
eux à Saint-Jean (aux Stalliats). 

6 Altesse Royale, dirent les députés à Charles-Em- 
manuel, depuis longues années Thumble recours que 
vos fidèles sujets de la religion ont mis en vos bontés, 
n'a cessé d'être entretenu par de belles paroles et de 
bonnes espérances, sans que leur condition se soit 
améliorée. Aujourd'hui encore on veut restreindre no- 
tre culte, et l'on exige de nous un tribut c(Hisidérable 
pour cela. !» Ils auraient pu ajouter, à propos des pour- 
suites qu'on of&ait d'abolir : La cessation d'une in- 
justice doit-elle s'acheter? et sa longue permanence 
ne donnerait-elle pas plutôt droit à des réparations? 

Quoi qu'il en soit, le duc leur répondit avec sa 
bonté et sa douceur accoutumées, disant qu'Un' avait 
plus grand désir que de pourvoir à leur contentement. 

Mais son entourage était moins noble, moins juste, 
et surtout moins désintéressé. Lorsque les députés 
vaudois allaient partir, pour apporter cette réponse 
aux Vallées, le procureur fiscal les fit arrêter et déte- 
nir jusqu'au payement intégral des six mille ducatons, 
que les conseillers de S. À. R. avaient décidé d'im- 
poser aux Vaudois. 



— 3S3 — 

C'était le ii mars 16^; on les retint captifs pen- 
dant cinq mois, dans le chftteau où se trouve aujour- 
d'hui le musée de peinture à Turin^ et le même jour^ 
le gouverneur de Pignerol , nommé Ponte, sur les 
suggestions de l'archevêque de Turin , fit incarcérer 
aussi douze Yaudois qui s'étaient rendus au marché 
de Pignerol. 

Il fallut bien se résoudre à payer le tribut demandé. 
De longues négociations eurent encore lieu, et enfin, 
le 20 de juin 1620, un édil fut rendu conformément 
aux dispositions projetées, sauf qu'il ne contenait rien 
de relatif aux fêtes et aux cérémonies catholiques. 

L'année d'après, au mois d'avril, de nouvelles tra- 
casseries furent suscitées aux Vaudois, à propos d'un 
recensement qui les obligeait de se rendre individuel- 
lement à Pignerol , ce à quoi quelques-uns d'entre 
eux avaient manqué. 

Le grand moyen employé contre les Vaudois , qui 
consistait à faire des poursuites criminelles, sous 
prétexte de rébellions aux ordres du souverain, fut de 
nouveau employé -, et pour s'y soustraire, les malheu- 
reux religionnaires consentirent encore à augmenter 
leur tribut de mille ducatons. 

Cette somme fut répartie entre tous les habitants 

10* 



— 334 — 

des Vallées, quoique ceux de Campillon seuls eussent 
été originairement la cause de ce tribut. La misère 
était grande; plusieurs familles souffraient de leur 
nécessaire et murmuraient contre leur position. 

C'est alors que les moines et les jésuites furent agir 
leurs aflSdés auprès des plus pauvres et des plus iso- 
lés. Cette influence s'exerçait surtout sur la ligne en 
litige, par laquelle le protestantisme était en contact 
avec le romanisme, c'est-à-dire dans les villes de 
Bubiane, Campillon, Fenil, Garsiliane et Briqueras. 

Des agents du clergé, soit régulier soit séculier, 
sous couleur de compatir aux difficultés matérielles 
de ces pauvres familles, vinrent leur offrir, avec toutes 
les apparences d'un généreux intérêt , non-seulement 
de payer leur quote-part de la dette souscrite par les 
Vaudois, mais encore de leur faire obtenir une lon- 
gue exemption d'impôts, et même des récompenses 
immédiates, à condition qu'elles consentiraient à ne 
pas repousser des biens encore plus précieux, sa- 
voir : l'abandon du protestantisme, et l'adoption de 
.l'Eglise romaine. 

Plusieurs se laissèrent gagner , et se vendirent 
ainsi , en cédant aux séductions fallacieuses du ten- 
tateur doré. 



— 335 — 

Ainsi s'affaiblirent, sous de perpétuels assauts, ces 
Eglises éparses et peu nombreuses, toujours exposées 
aux périls de la violence ou de la tentation. 

Et lorsque de nos jours on voit régner tant d'indif- 
férence religieuse au sein des sociétés affranchies et 
comblées de dons, assaillies d'appels au lieu de me- 
naces, entourées d'encouragements au lieu d'ob- 
stacles, honorées dans Taccomplissement de leurs de- 
voirs au lieu d'être méprisées ; lorsque Ton voit s'é- 
teindre la foi et la vie bibliques, sous le souffle de 
régoïsme et de la corruption, par la seule puissance 
des débilités de notre nature ; on a lieu de s'étonner 
encore de ce que ces chrétiens épars de la plaine du 
Piémont aient pu survivre, pendant un siècle encore, 
aux chutes nombreuses qui éclaircissaieut leurs rangs, 
aux coups de la persécution qui cherchait à les 
anéantir. 

Nous ne pouvons raconter en détail toutes les mi- 
sères, les obsessions et les injures auxquelles ils fu- 
rent longtemps en butte. Les dispositions de Charles- 
Emmanuel leur eussent été plutôt favorables qu'hos- 
tiles; mais lorsque la malveillance du gouvernement 
se fut calmée à leur égard , ils durent subir celle des 



— 336 — 

ennemis particuliers. Après les poursuites judiciaires 
vinrent celles des fanatiques. 

En 1624, par exemple^ deux protestants se trou- 
vant sur la place publique de Bubiane, quelques-uns 
des nouveaux convertis leur reprochèrent de demeu- 
rer fidèles à une religion qui n'avait fait que des mar- 
tyrs. —-vSi j'étais à la place du prince, dit l'un d'eux, 
je vous ferais bien abjurer.—^ Et comment? — Par la 
force. — Nous remercions Dieu de nous avoir donné 
un prince plus modéré que vous. 

Ce propos est transmis aux magistrats sous la touiv 
nure suivante : Les protestants ont dit que le prince 
était moins zélé pour la religion que les nouveaux 
convertis. 

Le prince est outragé ! crient les catholiques. Les 
magistrats, sollicités par leurs clameurs, font pour- 
suivre les deux malheureux protestants pour crime 
de lèse-majesté. C'étaient non-seulement des héréti- 
ques mais des rebelles. L'un d'eux s'appelait Pierre 
Queyras et l'autre Barthélémy Boulles. Ils parvinrent 
d'abord à se soustraire aux poursuites dont ils étaient 
l'objet, et qui, à vrai dire, ne paraissaient pas avoir 
été dirigées avec beaucoup de rigueur. Cet incident 
semblait oublié, lorsqu'un jour Queyras fut invité à 



— 337 — 

diner chez un seigneur de la Vallée. Etait-il noble? 
Qu'on en juge par sa conduite. Ce seigneur le feit ar- 
rêter par ses gens et le livre aux sbires de Luzerne. 
On le jette dans les prisons, et Boulles, cet innocent 
complice du langage qu'on lui reprochait, prend alors 
la fuite dans les montagnes de Rora. 

Queyras est conduit dans les cachots de Turin. On 
réclame vainement sa liberté. L'inquisition sentait ve- 
nir une nouvelle victime. Alors la femme du prison- 
nier prend son enfant dans ses bras , va se jeter aux 
pieds du prince, lui fait connaître que les paroles de 
son mari sont un hommage rendu à la sagesse du 
souverain, et non pas une injure; le supplie en faveur 
du père de cet enfant, lui demande sa grâce et a le 
bonheur de l'obtenir. L'épouse fidèle, dit la Bible, est 
un trésor de l'Etemel. Les princes de la maison 
de Savoie ne se montrèrent presque jamais injustes 
ni cruels , à moins qu'ils ne fussent sous l'influence 
de l'Eglise romaine. 

L'année suivante (en 1625), un sénateur vint à Bu- 
biane, muni de secrètes informations , par suite des- 
quelles il fit opérer de nombreuses arrestations dans 
le pays. On adressa une requête à Charles-Emmanuel 
pour obtenir l'élargissement des captifs. Le duc ré- 



— 338 — 

pondit que cette affaire concernait le juge Barbén , 
délégué pour en informer; mais sa clémence ne Tou- 
blia pas, et, au bout de quelque temps, ils furent mis 
en liberté. 

Ainsi les protestants de Bubiane et des villes envi- 
ronnantes conservaient encore, à cette époque, quel- 
que liberté de conscience, due à la tolérance du sou- 
verain ; car, d'après Tédit du 28 septembre 161 7, leur 
religion ne devait plus être tolérée que pour trois ans, 
en dehors des limites établies par Tédit de 1602. Ne 
résidant pas dans Tenceinte de ces limites , il fallait 
qu'ils abjurassent ou vendissent leurs biens pour se 
retirer ailleurs, à moins d'encourir les peines portées 
par redit. Quelques auteurs disent même qu'il ne leur 
fut laissé que trois mois pour cela ; et déjà huit ans 
s'étaient passés sans qu'ils eussent abjuré ni vendu 
leurs domaines. Hs pouvaient donc espérer le main- 
tien durable de cette faveur, dont la bonté du souve- 
rain leur accordait tacitement la prolongation. 

Les moines et les inquisiteurs n'en furent que plus 
ardents à les poursuivre ; ils voulaient des victimes 
et non des graciés. 

Un jour dix jeunes gens furent arrêtés en se ren- 
dant à Pignerol -, les moines de l'abbaye en firent leur 



— 339 — 

profit. Plus tard, un homme et une femme, déjà âgés, 
sont saisis à Briqueras et conduits à Cavour. L'inqui- 
sition en fait sa proie. Par intervalle, enfin, des voya- 
geurs ou des marchands forains étaient surpris en 
route et jetés dans les cachots, d'où souvent on n'en 
entendait plus parler. 

En d627, plusieurs arrestations eurent lieu simul- 
tanément à Bubiane, à Campillon et à Fenil. Les pri- 
sonniers furent d'abord conduits à Cavour , puis au 
château de Yillefiranche, où l'on cessa d'avoir de leurs 
nouvelles. 

Leurs parents , leurs amis, tous leurs compatriotes 
s'émeuvent douloureusement. Des sollicitations pres- 
santes sont adressées au comte Philippe de Luzerne, 
qui parait n'avoir pas été étranger à ces violences, et 
dont on ne peut obtenir que des réponses évasives. 

Les Vaudois adressent alors une requête à leur 
prince, et envoient des députés pour la lui présenter. 
Un gentilhomme leur of&e son entremise auprès du 
souverain ; elle est acceptée ; ils partent : les voilà à 
Turin. 

— J'ai un parent fort bien en cour, leur dit leur 
récent protecteur; confiez-moi votre requête pour la 
lui présenter, et je vous promets son appui. — La re- 



— 340 — 

quête est cédée, mais non rendue; les Vaudois la ré- 
clament. 

— Je l'ai présentée au duo, répond le gentilhomme, 
mais Son Altesse était fort irritée , d*un rapport qui 
vous accusait d'avoir pris les armes pour délivrer les 
prisonniers de vive force. Je Tai assurée que ce rap- 
port était faux, et j'espère la calmer complètement; 
mais vous serez obligés de faire quelques concessions, 
et vous n'oublierez pas surtout de me défrayer des 
grandes dépenses que j'ai faites à votre occasion. 

Les Vallées furent fort mécontentes de la tournure 
que prenait cette affaire, et reprirent sévèrement leurs 
députés sur ce qu'ils s'étaient dessaisis de la requête 
que leur devoir était de présenter eux-mêmes au sou- 
verain. Enfin une réponse est obtenue, et Ton apprend 
que cette affaire a été remise au jugement de l'arche- 
vêque de Turin et du grand chancelier. C'est alors à 
ce dernier que l'on s'adresse; mais il répond que Son 
Altesse et l'héritier présomptif de la couronne veulent 
s'en occuper. Voilà donc les malheureux captifs 
transférés à Turin, après une détention préventive de 
plusieurs mois, ignorant même le crime qu'on leur 
impute. Le frère de Sébastien Bazan , dont il sera 



— 344 — 

question dans le prochain chapitre des martyrs, était 
au nombre de ces prisonniers. 

Plusieurs'semaines se passèrent encore pendant, les- 
quelles Tarcbevéque mourut; après quoi, sur de nou- 
velles instances desYaudois,le duc ordonna au chan- 
celier de terminer cette affaire* 

Le vingt-un de juillet, Barbéri, abusant de sa haute 
position, se rend à Luzerne escorté d'une troupe d'ar- 
chers et de gens de justice, ou plutôt de brigands; car 
se jetant sur les maisons des réformés, il les pille, 
dresse inventaire de ce qu'il laisse, va à Bubiane où 
il renouvelle les mêmes opérations, et les poursuit jus- 
qu'à Campillon et à Fenil. Puis il publie un ordre 
ordonnant à tous les notaires et syndics de ces com- 
munes de lui rendre un compte exact des posses- 
sions des protestants, qui, disait-il, étaient tous cou- 
pables d'une manière ou d'une autre, et méritaient 
universellement d'être condamnés à mort et d'avoir 
leurs biens confisqués; mais que, par clémence, on 
leur ferait grâce delà vie, à condition qu'ils payeraient 
une forte rançon. Quelle justice ! quel sénateur! 

Les Vaudois indignés refusèrent de payer ce révol- 
tant tribut. Alors on fit courir le bruit qu'une armée 
s'approchait pour les exterminer. Les habitants de Bu- 



— 342 — 

biane et des autres villes de la plaine se bâtèrent d'em- 
mener leurs familles vers les montagnes, en emportant 
ce qu'ils avaient de précieux. Les montagnards, à leur 
tour, descendirent en armes et allèrent se poster en 
face de Luzerne, afin d*être prêts à recevoir l'armée 
dont on parlait. Mais un autre sénateur, nommé Syl- 
lan, se trouvant alors à Luzerne pour des affab!*es par^ 
ticulières, envoya des émissaires, afin de rassurer les 
Vaudois à cet égard. Puis il leur fit dire que s'ils vou- 
laient payer les dépens de la troupe Barbéri , elle se 
retirerait et que les meubles enlevés seraient rendus. 
Payer les dépens des injustices subies paraissait un 
peu dur; mais les catholiques de Bubiane et autres 
villes précitées offrirent aux Vaudois de payer la moi- 
tié de cette somme, afin d'être délivrés de cette horde 
désastreuse pour tous. Cet acte de fraternité de la part 
du peuple est plus chrétien que tous les actes de per- 
sécution de la part de l'Eglise. L'ofire fut donc accep- 
tée ; et Barbéri s'en retourna avec le tribut qu'il avait 
désiré. Mais on apprit bientôt qu'il n'avait reçu du 
prince aucun ordre contre les Vaudois : ces derniers 
alors dressèrent un mémoire détaillé de toutes ses 
vexations, et l'on parlait encore de les faire financer 
pour y mettre un terme , lorsque des circonstances 



— 343 — 

inattendues vinrent changer complètement la physio- 
nomie de cette affaire. 

De nombreuses arrestations avaient été effectuées 
à Luzerne, à Garsiliane et à Briqueras ; mais souvent, 
lorsqu'il s'agissait d'insfaraure la cause de Tun des pri- 
sonniers, on. ne le retrouvait plus. 

D'un autre côté , les dénonciations par lesquelles 
différentes personnes étaient accusées de se rendre 
au culte protestant dans les Vallées, se multiplièrent 
tellement que les autorité' s, supérieures ne purent con- 
cevoir que les Yaudois eusseni un aussi grand nombre 
d'adhérents en Piémont. 

Ce qui rendait plus incompréhensible encore toutes 
ces circonstances, c'est que plusieurs des captifs dis- 
parus des prisons avaient été revus en liberté dans 
les montagnes. 

Disons tout de suite le mot de ce mystère. Les dé- 
nonciateurs recevaient une récompense des magis- 
trats, et ces magistrats subalternes recevaient une 
rançon de l'accusé , trop heureux d'échapper ainsi à 
d'injustes, mais cruelles poursuites. 

L'appât de ces rançons et de ces récompenses avait 
livré tous les alentours des Vallées à une véritable cu- 
rée de dénonciateurs. Mais le méchant fait une œu- 



— 344 — 

vre qui le trompe* Ces dénonciations s'élevèrent jus- 
qu'à des personnages puissants qui, loin d'entrer en 
composition, prouvèrent la fausseté de raccusation et 
firent punir l'accusateur. 

Alors les autorités supérieures, dont la droiture est 
une des gloires du Piémont, suspendirent toutes les 
poursuites commencées. On ouvrit une enquête sévère 
sur la direction antérieure de ces procédures, et l'on 
découvrit beaucoup de faux témoins qui avaient fait 
condamner des innocents et qui furent à leur tour 
condamnés aux galères. Mais TEglise romaine qui 
attaque la vérité évangélique , devait défendre la 
calomnie^ et, par l'entremise des jésuites, plusieurs 
de ces faux témoins purent échapper à la peine 
qu'ils avaient encourue. 

Les Yaudois ne s'en plaignirent pas ; ils étaient trop 
heureux d'avoir retrouvé leurs frères. Les prisonniers 
de Yillefranche avaient été remis en liberté. Ceux de 
Gampillon et de Bubiane, de Fenil et de Briqueras ne 
tardèrent pas à rentrer dans le sein de leurs familles. 
Les atteintes dirigées contre eux avaient tourné con- 
tre leurs ennemis. Le pied des malintentionnés fut 
pris dans le filet qu'ils avaient dressé, et l'éternelle 



— 345 — 

sagesse d'en haut ne cesse d'être justifiée à cet égard 
par rétemelle folie des hommes. 

Par suite de cette réhabilitation, les chrétiens de 
Bubiane, Campillon et Fenil, où les réformés, dit Gil-' 
les, étaient plus nombreux que les catholiques (1), 
obtinrent de pouvoir continuer, seconda il solifo (selon 
Fusage), à professer librement leur culte domestique, 
ainsi que la faculté de se rendre dans les Vallées au 
culte public, et même d'appeler les pasteurs vaudois 
en cas de maladie ou de mort. Le droit d'avoir un 
maître d'école protestant leur fut aussi reconnu. 

Ce n'était là du reste que les dispositions des édits 
du iO janvier et du 5 juillet 1561; mais c'était une 
grande victoire de les avoir maintenues. Le clergé ca- 
tholique ne tarda pas de leur en disputer les fruits, et, 
sous les prétextes les plus futiles, ils intentaient, aux 
Vaudois des poursuites dont le dernier mot était tou- 
jours l'apostasie, ou la rançon; à tel point, dit l'auteur 
précité, qu'il n'y avait si petite faute qui ne fUt rendue 
très difficile à accorder sans cette condition , ni faute 
si énorme qui ne fût trouvée de facile pardon p our 
ceux qui abjureraient leur foi. 

(1) Gilles, p. 403. 



— 346 — 

Les moines surtout ne cessaient de se plaindre des 
prétendues vexations des Vaudois. A La Tour , par 
exemple, où leur couvent aboutissait à un ancien ci- 
metière protestant clos de murs, et dont pour cela 
lusage avait été interdit (\) à notre culte, il arriva 
que les reclus mirent à découvert des ossements^ en 
creusant les fondations d'une muraille. 

Une femme vaudoise vint recueillir ces ossements 
et les ensevelit. Aussitôt les moines écrivirent à Turin 
que les Vaudois les entravaient dans leurs travaux, 
leur enlevaient des déblais , ae rendaient coupables 
de soustractions furtives... etc. Et c'est ainsi que, sur 
de £aux rapports, des poursuites sévères amenaient 
quelquefois des innocents jusque dans iesprisons. 

La Fontaine n'était pas né; mais il parait que la 
fable du Loup et l'Agneau était déjà connue : car 
le docte et naïf historien qui relate ces faits compare 
hardiment ces moines à des loups criant nani cesse y 
dit-il, que k$ agneaux ieur venaient trovAkr Feau. 

Mais les moines n'étaient pas seuls, et quelquefois 

les autorités séculières, les seigneurs lûême faisaient 
aussi les loups. On en a vu la preuve dans lea em- 

(1) Par let décréta du 3 juillet 1618 et dn SS juin 1690. 



— 347 — 
buscades de Guillaume de Luzerne et les rançons des 
jusi cies. En 1629; par exemple, un protestant de 
Gampillon, nommé Perron, fut assailli dans sa de- 
meure par une troupe d'archers j que repoussèrent 
vaillamment pendant une demi-journée ses quatre fils 
et lui. L'un de ses fils y fut tué et un autre dangereu- 
sement blessé. Mais ces faits de détail sont trop nom- 
breux pour qu'on puisse les indiquer tous. 

Sous le règne de "Victor-Amédée P', des ordres 
souvent réitérés furent donnés aux autorités de Lu- 
zerne, Bubiane, Briqueras, Campillon et Fenil, afin 
de poursuivre Textirpation des hérétiques qu'on n'y 
pouvait déraciner. Ces ordres sont du 9 et du li no- 
vembre 1634, du 6 et du 37 mai 1635, du 10 avril 
1636 et du 3 novembre 1637. 

Mais, soit que les sentiments du souverain fussent 
plus cléments que son langage, soit que l'indulgence 
des juges adoucît la sévérité de ses décrets, les Vau- 
dois continuaient d'exister dans ces villes, ou depuis 
si longtemps ils avaient existé. 

L'édit du 28 janvier 1641 prononça définitivement 
la confiscation de leurs biens, hors des limites des 
Vallées. Le 17 février 1644, on leur défendit même de 
sortir du territoire de ces dernières, à moins que ce 



— 348 — 

ne fût pour aller trafiquer dans les foires; mais il pa- 
raît néanmoins qu'il y avait toujours quelques reje- 
tons des anciennes Eglises évangéliques à Luzerne, 
Bubiane, Campillon, Fenil et Briqueras; car la dé- 
fense faite aux Yaudois de résider dans ces villes se 
trouve encore fréquemment renouvelée dans les temps 
ultérieurs. Elles est reproduite, entre autres, dans les 
édits du 31 mai, et du 15 septembre 1661 , du 31 jan- 
vier 1725 et du 20 juin 1730. 

Il était réservé à notre époque de voir enfin s'éva- 
nouir toutes ces barrières injustes et puériles élevées 
entre les peuples pour circonscrire la pensée. Les 
doctrines de l'Evangile, comme les lumières de la ci- 
vilisation , ne se renferment pas entre des lignes ca- 
dastrales. Qu'ont de commun les bornes d'un champ 
avec les limites de l'erreur ou de la vérité? Puissent 
ces belles contrées retrouver dans la liberté les dons 
qu'elles firent briller jadis pendant leurs jours de 
servitude I 



GHAnrHE xm. 



n^nVAISSANGE 



DES ÉGLISES ÉVAN6ÉLIQUES DE SÀLUGES , 
IT NOUVELLES ViaSSITUDES Qu'eLLES EURENT A SUBIR 

.(DeM0SÀi616.) 



Saim<H.iT- éxnùtiti» : — Les oièmes qu'au .chapitre IX. 

Le nombre des protestants dans la province de 
Salaces ne se bornait pas à ceux des Eglises que nous 
avons nommées -, mais dans les vallées de la Sture, de 
la Vrayta et de Valgrane , les fugitifs des grandes 
villes s'étaient Tetirés'^au sein des villages, plus écar- 
tés. Là, èhaccin d'eux apportait avec^soi une^part du 
flambeau évangéKque de leur EgUse dispersée, /une 
étincelle de la foi commtme quise'prdp^geait 4Uii»i 
dans leur exil. 

Le propre de -la lamièae est id& pouvoir (Seew^ 
iminiqner sams^se resèveiodre , . et d^ s'étendre m >se 



— 360 — 

multipliant. De sorte que le nowbre des âmes éclai-' 
rées s'augmentait autour des proscrits, et que ces 
villages oubliés devenaient peu à peu de nouvelles 
Eglises. 

En outre, plusieurs d'entre les familles qui avaient 
accepté les formes extérieures du catholicisme lors- 
qu'il s'était imposé par la violence, se hâtèrent de re- 
venir à l'expression naturelle de leur foi, dès que 
l'oppression eut cessé. 

Alors aussi se réveilla contre elles l'animadversion 
persécutrice du papisme. L'édit du 25 février 1602, 
qui avait interdit le culte protestant hors des vallées 
vaudoises n'avait eu pour but que de le faire cesser 
dans les villes de la province de Pignerol, situées aux 
alentours de ces vallées; mais on s'en fit une arme 
redoutable dans la province de Saluées. 

On commença par y envoyer des missionnaires 
sous la direction du P. Ribotti, afin de pouvoir traiter 
d'endurcis, d'obstinés et de rebelles ceux qui ne se 
rendraient pas à leurs raisons. 

Le gouverneur de Dronéro et le vice-sénéchal de 

Saluées furent invités à l'aider dans son entreprise. 

Les réformés alors adressèrent; une requête à Charles 



— 351 — 

Emmanuel (1) , dans Tespârance d'obtenir quelque 
adoucissement aux dispositions de cet édit qui les 
firappait sans les nommer. Us demandèrent entre au- 
tres grâces qu'on ne les fit relever d'aucune juridic- 
tion ecclésiastique, mais seulement des magistrats 
oivils; et rien n'était plus juste, puisque les tribunaux 
ecdésiastiques appartenant à l'Eglise romaine de- 
vaient, non pas juger, mais condamner les adhérents 
de toute autre communion. 

ils demandaient, en outre, qu'on ne forçât point à 
s'expatrier ceux d'entre leurs coreligionnaires qui 
étaient établis depuis plus de sept ans dans le pays; 
et enfin, que les mariages mixtes, bénis par les mi- 
nistres protestants sous la domination française, ne 
fussent point annulés. C'était là pourtant ce que le 
clergé catholique demandait avant tout, sans égard 
pour les perturbations de tout genre que cette mesure 
allait introduire dans les &milles. 

Ces trois points furent accordés aux Yaudois de 
Saluées. Précédemment déjà, un abbé des environs 
avait pris sur lui de rendre, de son autorité privée, 
un ordre d'expulsion contre tous les réformés de sa 

(1) Le 15 de mai 1603. 



— 3«r— 

paroisse. Cet abuisf de pouvoir flitrdérioncé atf dlic<te*Sa- 
voie, qui fit répondre qu'on en écrirait au gouvénaeul*. 

Les réfortnésr et les Vaudois originaires de déffe 
province , avaient donc lieu d'espérer que des jours 
de tranquillité seraient enfin venus pour eux; tiaais, à 
la sollicitation des capucins et des jésuites, là jusâce 
promise et les concessions obtenues, firent place bien- 
tôt à de nouvelles rigueurs. 

Le i2 juin 1602 parut Tédît suivant : et Ayant twp- 
vaille par tous les moyenô possibles à Texlirpatton de 
l'hérésie, pour le service de Dieu et le salut des âmes, 
nous avons la douleur d'apprendre que, dans le mar- 
quisat de Saluces, dès gens à qui nous avions défendu 
l'exercice de leur culte, vivent sans religion osten- 
sible , et courent par le le risque dé tomber âmns 
Fatfaéigme'. 

« Pour prévenir oet horrible mafiieifir, nous ordon- 
nons à tous les adhérents de la religion prétendue ré- 
formée, qu'ils soient nés dans lé pays ou seulement 
domiciliés, d'embrasser la foi catholique en moins de 
quin^ jours, ou de sortir de nos Etats, et de vendre 
leurs biens dans Fespace de six niois, sous peine de 
confiscation et de mort. » 

Les protestants de ces contrées, préféraint les dou- 



— 353 — 

leurs de Texil à une lâche répudiation de la foi de 
leurs pèreS; sortirent en masse de la province de Sa- 
luées^ et se retirèrent encore une fois dans cet Ephraïm 
des vaUées vaudoises, où toujours les exilés trouvaient 
un asile, les chrétiens des frères, et les affîgés de 
saintes consolations. 

Mais, comme plusieurs d'entre eux s'étaient établis 
sur la rive gauche du Cluson, dans la vallée de Pé- 
rouse, aux Portes, à Pinache, à Doublon et à Pérouse 
même, où, d'après un édit récemment publié (1), le 
culte réformé devait également être aboli, le capucin 
Ribotti, toujours acharné contre les Yaudois, y pour- 
suivit encore ces malheureuses et fuyantes victimes. 

Favorisé par les instances du nonce et les sollicita- 
tions directes de Paul V auprès du duc de Savoie, 
Ribotti obtint un édit (2) par lequel le prince renou- 
velait d'une manière plus générale la défense de cé- 
lébrer le culte protestant dans ses Etats, en dehors 
des limites arbitraires dans lesquelles on avait res- 
treint le territoire des vallées vaudoises. Les protes- 
tants ne se hâtèrent pas d'abjurer, et le duc ne se hâta 
pas de sévir; mais en multipliant ses interdictions il 

(1) Le SS de mai 1609. 

(2) Rendu le 3 iuUlet 1603. 



multipliait lei titrés du papisme à solliciter (l'etfe<^ives ^ 

rigueurs. Le prince, malgré sa bofiité naturelle, ne îs 

put se défendre d'appuyer fa toîse à exécittiân dés or- ! 

dres qu'il avait donnés ; et Ton pént vohf, pstf lés in- ^ 

strucCiotis (lix*\i adressa dans cette circonstance aux eu 
gouverneurs des provinces, que le véritable auteor de 

cèâ cruautés était lé pape et non poitKt hii. fi Désirant, s 

dit-il, que k sainte entreprise d'eitîrpér Fhérééie sW s 

cômplisse dans mes Etats (4), et Sa Sainteté nous ( 

ayant pour cela envoyé des missionnaires dont le chef i 
est le P. Ribotti, nous commandons à tous nos offi- 
ciers de lui prêter main forte. » 

Puis, dans l'abnégation de sa propre clémence, il 
recommande d'avoir des égards pour les Vaudoîs, et 
de leur laisser croire qu'ils étaient dus à la bonté 
particulière du P. Ribotti ; car présumant bien que ce 
moine serait sans pitié, le duc écrivit au gouverneur 
de Saluées une lettre particulière dans laquelle il lui 
disait : a Afin que par ses rigueurs il ne devienne 
pas trop odieux à ces pauvres gens, vous aurez soin 
de leur complaire en quelque chose et de leur âccor- 



(1) Circulaire du 5 septembre 1603. 



— 365 — 

ckr quelques adoœisfliemeilts, Gomme â'ik étaient dus 
à soniiiterce8fflon(i). v 

M«îâle0missk»iiuHpesn'enteiidaâeat pas faire asage 
de cette faculté, el c'est alors que fut envoyée la cir- 
culaire précédente. 

Ce n'était pas le moyen d'adoucir les esprits. Ces 
malheureux campaguards^ si souvent inquiétés^ pro- 
scrits^ dépossédés y chassés encore de leur demeure, 
déjà aigris et exdtés par une foule de mécontents ou 
de bannis comme eux ^ mais qui sans doute éuûeiit 
moins chrétiens qu'eux, se réunvent dans les montai 
gnes en une bande de partisans. 

Ils se proclamèrent les défenseurs des opprimés, 
sans cacher leur intention de résista aux armes même 
du souverain, s'il eût voulu en faire usage contre eux 
ou leurs adhérents^ 

Mais il n'y a pas des magasins de vivres dans les 
montagnes; et pour subsister, cette troupe faisait des 
incursions fréquentes dans la plaine, s'alimentant par 
le pillage, dont les catholiques et les catholisés avaient 
surtout à souffrir. De là, bien des désordres répréhen« 
sibles. 

(1) Cette lettre est datée du 8 juillet 1602. 



— 366 — 

Cette bande affiimée reçut le nom de bande des 
Digiunatiy et par rintimidation qu'elle exerçait, eUe 
força plusieurs protestants récenunent catholisés , à 
revenir à l'Eglise réformée, dont la violence les avait 
fait sortir. 

Tristes et déplorables conversions des deux parts! 
Mais, ce qui n'était qu'une exception dans le protes- 
tantisme, était habituel dans l'Eglise romaine. 

Le duc de Savoie, ayant été informé de ces trou- 
bles, commanda aux magistrats de faire citer devant 
eux les syndics des communes que fréquentaient les 
digiunatiy et de rendre chacun de ces syndics respon- 
sable des désordres conunis dans sa commune. 

En même temps il enjoignit aux protestants des 
villes situées dans la plaine du Piémont, sur la lisière 
des vallées vaudoises, de quitter leurs demeures ou de 
se catholiser dans l'espace de quinze jours (1). 

L'irritation des partis fut portée à son comble, et 
pour surcroit de calamités, une famine générale vint 
encore augmenter la détresse de ces nombreuses fa- 
milles de protestants, qui, sans être sorties des Etats 
de Savoie, vivaient errantes et bannies. 

Les digiunati devinrent des agents de déprédation 

(1) Ordres du 2 man et du 28 mai 1002. 



et de vengeaoce ; et malgré les pounuttes séiifes, 
mais impiiissafites, dont ils étaient y objet, mfdgié h 
défense expresse de leur donner asile, secotvs^ ou 
nourriture, leur nombre ne cessait de s-'accroitre. 
Toutes les victimes fugitives de la persécution' ou de * 
la faim se rendirent auprès d'eux. 

S'excitant à nuire à leurs ennemis daaa cette vie 
vagabonde et sauvage, ils se faisaient de plus en plus 
redouter. Leur présence dans les montagnes était 
comme un asile ouvert à tous les poursuivis; etTexas- 
pération s'augmentait encore de tant de misères et 
d'animosités réunies. 

Quatre jeunes gens de Bubiane ayant rencontré un 
des agents de l'inquisition, le tuèrent comme une béte 
malfaisante , et s'allèrent joindre aux digiunati, 

tJn autre assassinat eut lieu sur la personne d'un 
catholique de Bagnols , qui était venu se joindre aux 
réfugiés afin de les trahir; et en outre, dit Gilles, ils 
commirent encore plusieurs vengeances, qui déplai- 
saient fort aux gens de bien, nonobstant tous les pré- 
textes et toutes les raisons qu'ils opposaient à leurs 
censures. 

Mais le désordre est comme l'incendie , il s'accroît 
de sa propre violence. Et doit-on s'étonner que ces 



— 358 — 

malheureux, dont la téta était mise à prix, cherchas- 
sent à se défendre, ainsi qu'à se venger ? 

En temps de guerre, les peuples s'empressent de 
courir à ce meurtre organisé, qui les décime sans les 
déshonorer; et en temps de persécution, n'est-il pas 
concevable que les proscrits, dont on menaçait la vie 
plus cruellement que dans un combat, aient été en- 
trîdnés à des attentats dont ils eussent été incapables 
en d'autres circonstances? 

Ce qui est dit du scandale s'applique aussi à ces 
excès : malheur à ceux par lesquels ils arrivent ! 

Les populations, du reste, les catholiques même, 
quoique soufirant de cet état de choses, trouvaient 
naturelle la défense de ces infortunés , poussés au 
désespoir; et tous leurs vœux étaient, non pour leur 
mort, mais pour un arrangement qui permît aux pro- 
scrits de rentrer dans la vie commune. 

« A peine fûmes-nous arrivés à Luzerne, riKtonte 
un voyageur de cette époque, que nous fûmes envi- 
ronnés d'hommes et de femmes, nous priant à mains 
jointes que l'accommodement se fit. En cela nous 
remarquâmes le jugement de Dieu : car on avait fait 
sorth* les bannis de Luzerne , pour cause de religion. 



— 359 — 

et maintienant c'étaient les papistes qui n'osaient 8oi^. 
tir à cause des bannis, d 

Ce fut le comte de Luzerne qui s'entremit pour eux, 
et particulièrement pour ceux de Saluées, depuis plus 
longtemps dispersés. 

II demanda qu'une requête lui fût remise. 

Toutes les Eglises \audoises et réformées, depuis 
Suze jusqu'à Coni, faisant, disaient-elles, un même 
corps en Christ, se hâtèrent de la signer (1). 

Pendant ce temps^ les digiunati continuaient leurs 
expéditions. Six d'entre eux étant descendus à Lu- 
zerne pour acheter des vivres (2), le chevalier de 
Luzerne (3) et le capitaine Crespin de Bubiane, aidés 
d'une centaine d'hommes armés, résolurent de s'en 
saisir. On leur coupa le passage aux deux bouts d'une 
rue étroite, dans laquelle ils s'étaient engagés; et 
alors, traqués comme des bêtes fauves, sachant que 
leur tête était mise à prix, n'ayant de salut que dans 
la fuite et se voyant cernés , ils s'élancent avec le 



(1) En mars 1603. La réponse de Charles Emmanuel était du 9 aTril. 

(S) C'était le 6 de mars 1603. 

(3) Frère du comte qui s'était offert en qualité d'intercesseur pour les 
Vaudois auprès du souTerain. Le eheiralier se nommait Emmanml , et le 
comte Chariei. 



— :S60 — 

cowage en désespoir eantre lears ennemis, renver- 
sent les soldats, tuent le capitaine et passent an tra- 
vers ^B craquante lionnnes qu'il commandait, sans 
laisser un prisonnier. 

Les soldats se mettent à leur poursuite; lesêégitt' 
nati prennent des routes différentes et s'échappent 
tous, àlVrxcepliBn d'un seul, qui, ayant sauté du haut 
d'une muraille, se cassa la cuisse en tombant, «et^ne 
put se sauver. H fotpris, attaché à quatre chevaux et 
dédiiré vivant. Ce ri'étaSt pas le moyen d'apaiser les 
esprits. 

Enfin la requête des 'Vaudois fut présentée k Char' 
les-Emmanuel. Le duc comprit combien il y avait de 
danger, soit pour les cathoïiques, soit pour les pro- 
testants, à perpétuer les causes de ces fatales divi- 
sions, et il décida (1)^ que tous les bannis pourraient 
rentrer dans leurs demeures; que les confiscations 
opérées sur leurs biens -seraient anmilécs , et raême^ 
que tes protestants cathôlicrsés auraient le droit tié* 
rentrer dans l'Eglise qu'ils avaient quittée, si leur 
conscience les y portait. 

Cependant un certain nombre d'entre les digiunati 

(1) A Coni , le 9 avril 1603. 



— JMM — 

furent exceptés de ces dispositions^ et Ton renou- 
vela Tordre de les Uvrer morts ou vifs. 

Mais ce n'était plus qu'une fraction perdue dans ce ^ 
grand peuple, qui de partout se releva pour acclamer 
le culte de ses pères, au point que , dans ce pays où 
la veille tout était catholique, en apparence du moins, 
une multitude de fieunilles protestantes repoussèrent 
tout à coup ce voile des superstitions reçues, et pro- 
clamèrent au grand jour leur respect pour la Bible. 

Ainsi se relevèrent rapidement les Eglises de Savi- 
glano, Levadiggi, Demont, Dronéro et Saint-Michel. 

Leurs éléments n'avaient pas besoin de se former, 
ils n'avaient qu'à se r^oindre. Quelques-unes d'entre 
elles se trouvèrent plus fortes à leur réveil que la 
veille ; telles furent celles de Saint-Damien, de Yerzol 
et d'AceiL Hais comme ces migrations de dévorantes 
sauterelles, que Ton voit revenir à un champ qui re- 
pousse et verdoie, les jésuites et les capucins repa- 
rurent dans ces contrées refleuries. 

, • • • 

On n'en eût pas tenu compte s'ils n'avaient fait que 
prêcher et discuter. Les doctrines bibliques n'eussent 
pu qu'y gagner; c'est dans la lutte qu'elles se forti- 
fient. Oui , daqs la lutte : intas non pas dans le sang. 

il 



Cm Muvéauat noteâloini&iii» (i) eurent d'abord de 
nombreuses cdlifétDnôés ûv&6 leis pasttiim. h& goo- 
Ternebr de la province se plaisait à les réimîr dans le 
même repas poi» as»ster à leiâ?s discusaions. Plu- 
aieim moiœa et prAtres c^oliqorea fiumt cottdttitâ, 
par oes disenssioiis arec les piotestaitts^ à enArasser 
VVimBfjà^f qBt faisait la bote àâ oés derniafcs. Amsi> 
TEgUse fétcmM reennait de nouveltes fioroea daiis 
lea tiàng» même d« cétit qui tenaiem piem? la eofia- 
iMMtrev Céirt dans là ^aUécf da la Yraytar^ ipii apf»ar- 
tenait alors à la Fraïk^e, que éééte Eigtiëé éévtt le 
pbn rapMet&eiil éicftïâuë^ «r Les protostanta, dit Ro- 
imgd, atnieitt là dés asiemUées et de jour et de 
Huit; leitr ealtm était public ^ et les pauvres catbo^ 
fiqueâ eux-Hnènièa it'osaiifiit plus ae momrer pour al- 
ler k li'mease^ craime de s'entendre erîeir iâoUinslw 

Vm dëâ^ mittiàtreis de cette vallée était tm ptëtee 
Coiiterti; et son exemple avait été suivi par plaideurs 
de ses paroissiens (^. Pour peu qu'on éfit l^dssé le 



|Me« eo 1596. 
(S) Rorengo attribue sa contenioo à an motif si songent reproduit qn'il 



— 363 — 
champ libre à la réforme , elle s'établissait partout^ 
avec le seul appui de la Bible, plus fort que le bras 
séculier. 

C'est en 1603 que les missionnaires capucins vin- 
rent dans la vallée de la Vrayta^ afin de préparer les 
voies à de nouvelles rigueurs. 

Ils parurent d^abord à Château-Dauphin, séjour aus- 
tère, environné de montagnes démesurées. 

On distinguait parmi eux leur supérieur, nommé 
Joseph de Tenda , et le frère Zacharie , auteur de 
quatre volumes polémiques contre la réformation. 

De Château-Dauphin ils se rendirent dans le val de 
Grano, et étal)prent des missions à Garail , à Âceil et 
à Yerzol, aux portes de Saluées. 

Us rouvrirent les églises abandonnées, ranimèrent 
les pompes du culte catholique, et les vexations contre 
les protestants. 

Quant aux jésuites, ils avaient une résidence à 
Aceil, une autre à Dronier, une autre à Saint-Damien, 
et une quatrième dans la châtellenie du Château- 
Dauphin. 

de rompre le célibat, anqnel le prêtre i'éUit engagé ea entrant dani les 
ordres; et comme ti ce n'était pai awei de lui (aire un crime d'avoir prit 
une épousé, le digne Rorengo l'accuie encore de bigamie. — • Toat cela 
tau preuTeii.eomme d'ordinaire. JiMioris uivriM, p. 178. 



— 364 — 

Qu'on se représente Tactivité tracassière de tous 
ces hommes J|>ostés en des lieux divers et réunie pour 
la même cause, se piquant d'émulation dans leur 
œuvre commune, se stimulant les uns les autres à dé- 
truire rhérésie, convaincus peut-être de leur foi, mais 
animés d'un zèle amer bien éloigné de4'Evangile. 

N'était-ce pas pour le protestantisme une véritable 
plaie, analogue à celle de cette nuée d'insectes qui 
frappa l'Egypte de désolation et de mort? 

a n est impossible de dire tous les efforts que firent 
alors ces missionnaires (i). d Ces paroles de Rorengo 
donnent beaucoup à penser. Nous ne connaissons 
pas les efforts dont il parle ; mais on juge de Farbre 
par les fruits^ et à cette époque, dit Perrin (2), a non- 
seulement le libre exercice de la religion fut interdit 
à Saluées, dans la vallée de la Mayra, qui contenait 
Verzol, Saint-Damien, Acêil et Dronéro, mais encore, 
par un nouvel édit, tous les protestants furent tenus 
de se catholiser. On envoya des inquisiteurs de mai- 
son en maison , et plus de cinq cents familles durent 
s'expatrier. Elles se retirèrent sur les terres de Fran- 

(1) L$ diligenze as PaâH mtMtonarv, UmXo getviti chs eopucoim, /W- 
rono indieibili. Rorengo, p. 179. ~ 

(S) P. 184. 



— 3«5 — 

ce, moitié en Provence, où eUes allèrent relever les 
anciennes Eglises vaudoises du Léberon , moitié en 
Dauphiné, où elles étendirent les EglisM du Pragela, 
qui Élisait alors partie de «ette province, d 

Ainsi , comme des eaux qui se déversent toujours 
dans les bassins où les attire leur pente, ces popula- 
tions évangéliques ne sortaient pas de leur patrie spi- 
rituelle en quittant l'horizon de leurs demeures natales. 

Mais avant de se répmidre ainsi, avant de se désu- 
nir, avant d'être exilées, elles firent un manifeste, 
que signèrent également toutes les autres Eglises des 
vallées vaudoises , pour faire connaître les causes de 
cette proscription. 

« Qu'il soit notoire à chacun , disaient-elles , que 
ce n'est point pour crime ou rébellion que^fsonque 
que nous sommes aujourd'hui dépouillés de nos biens 
et de nos maisons. Cela est venu par suite d'un édit 
d'abjuration ou d'exil, que Son Altesse royale, trom- 
pée sans doute par de faux rapports, a rendu contre 
nous. Mais nos aïeux et nos familles ayant été élevés 
dans la doctrine professée aujourd'hui par l'Eglise ré- 
formée, nous sommes résolus d'y vivre et d'y mourir. 
En conséquence ;' nous déclarons et afiSrmons que 
cette doctrine qu'on veut nous interdire , est tenue 



— 366 — 

par nous pour la seule vraie , la seule approuvée de 
Dieu, la seule qui puisse nous conduire au chemin du 
salut. Et si ^^qu'un prétend que nous sommes dans 
Terreur , loin de nous obstiner à la défendre , nous 
nous déclarons prêts à l'abjurer incontinent, pourvu 
qu'on nous convainque par la Parole de himi. Mais 
si, par la seule force et la contrainte, on veut nous 
faire changer de croyances , nous aimons mieux re- 
noncer à nos biens, et même à notre vie, plutôt qu*au 
salut de notre âme (1). » Ces nobles et iipourageuses 
paroles devaient concilier aux proscrits toutes les 
sympathies des âmes généreuses. Mais elles irritèrent . 
encore davantage le clergé catholique et le portèrent 
à sévir, en faisant connaître son impuissance à con- 
vaincre. Or, comme plusieurs de ces familles expa- 
triées tendaient à revenir en Piémont, en y rentrant 
par les vallées vaudoises, on obtint de Charles-Em- 
manuel un édit par lequel il était défendu à tout étran- 
ger de venir s'établir dans les Vallées, et à tous les 
Vaudois d'excéder leurs limites (2). Mais il paraît que 
ces mesures, dont jj^ était difScile de surveiller l'exé- 

(1) Ce manifeite estpubUé en enUtr pu Perr^ p. i8<»-i89^ et p«r Lé- 
ger, P. I, ch. XVII, p. 111-113. 
(3) Bdit do a juOltt 16M. 



ditîoO} a'affdlàront pas le mouvtnimt contu» laquai 
elles étaient dijngées; csti peu de temps après» di 
nouveaux ordres, toujours obtenus à ia sollicitation 
des c^ooios , des jésuites et du noiu^ éveillèreut 
Tatteotioa des gouverneurs de province i non-seole* 
ment sur cet édit, mais sur toutes les dispositions an- 
térieures» prises dans un but d'hostilité contre le pro- 
testantisme (t). L'année d'après (m 1640) le duc de 
Savoie fit alUaj^ce avec Henri IV, contre les Espa* 
gDols I et, en 1613 , commencèrent les guerres du 
Montferrat , ipii durèrent pendant quatre ans ; de 
sorte que Tattention du mcmarque, et les influences 
qui le faisaient agir, se détournèrent momentanément 
des questions reUgieusea. Cette période d'agits^MS 
fut donc UQ temps de calme pour les Eglises de Sa* 
luces. Ce n'était là sans doute qu'une tranquillité re* 
lative, non pas la paix, mais le répit ^ non pas un re- 
pos régulier et durable, mais l'absence momentanée 
de la persécution. 

Et de môme qu'en un joiu* d'orage il suffit d'une 
légère éclaircie dans les nuages pour que l'horizon le 
plus sombré reprenne aussitôt les couleurs de la vie, 

(1) Ordres da 91 noTembre 1600. 



— 368 — 

an air de prospérité subite, comme un précaire rayon 
de soleil , reparut pendant quelques années au sein 
de ces EglisM tourmentées. 

On trouve dans les Cahiers du pays de Provence^ à 
la date du 17 d'avril 1612, une requête au roi ainsi 
conçue : a Qu'il plaise à Votre Majesté de pourvoir à 
ce que ceux du marquisat de Saluées, réfugiés dans ce 
pays, puissent librement aller et trafiquer sur les 
terres du duc de Savoie, sans être n^chercbés pour 
le fait de religion (1) ; d et dans les cahijtfS du Dan- 
pbiné, à la même époque, une demande semblable 
tendant à ce que « Sa Majesté (le roi de France) em- 
ploie son crédit auprès du duc de Savoie , potir 
obtenir dans ses terres le libre cbmmerce en &venr 
des réfugiés de Saluées (2). b L'un et l'autre de ces 
points furent accordés. 

En même temps les Eglises de Saluées encore exis- 
tantes faisaient arriver au duc de vives sollicitations 
par le moyen de la Suisse, pour que la liberté de 

/onscience leur fbt enfin accordée. Et en 1613 , 
les vallées vaudoises ayant dû fournir un contingent 

(1) MSC. de Peyretk, [Bibl. de Carpentrai, Re(pstre XXXI, t. I«r, fol. 361, 
▲rtXVU. 
(S) Id. ib., fol. 371, Art. XXVU. 



de milices, pour la guerre du Montferrat, il arriva 
que ces loilices furent euvoyées en gamiaon dans la 
province de Salucea. Elles avaient la faculté de se réu- 
nir pour leur culte religieux, et leurs ccweligionnaires 
se joignirent parfois à ces petites réunions , de ma- 
nière à les augmenter , tout en créant ainsi des ao* 
técédents favorables à la liberté religieuse. 

Mais alors aussi les . jésuites et les capucins n'en 
mirent que plus d'activité dans leurs surveillance et 
leurs poursuites» Pour donner quelque satisbctiim à 
ces dignes coadjuteurs^ qui m trouvaient si peu dans 
les résultats de leurs prédications, les magistrats fti^ 
saîent de temps i autre de nouveaux prisonniers. 

Ceux que le clergé désignait le plus activement 
à leurs rigueurs étaient les relaps , ou ces catbolisés 
inmiacmmimlia, à qui les superstitions du paganisme 
catholique rendaient plus dière encore la simplicité du 
christianisme évangélique , auquel ils s'empressaient 
de revenir à la première occcasion favorable , avec 
plus d'attachement que jamais* Mais, découverts, ils 
étaient dénoncés au saint ofSce, et souvent disparais^ 
saient sans bruit dans les mystères de l'inquisition (1). 

(1) Si dmiMMava al SamtO'Offizio ,*em h Htê pammMû êtm mêtlè 
quiêiê, COM oeeuUiuima vigUanza. Rorengo, p. 188. 

11* 



— 370 — 

Cependant la guerre continuait ; on avait de plus en 
plus besoin des Yaudois; le pouvoir séculier, moins 
cruel que l'Eglise, se relâcha peu à peu de ses rigueurs ; 
les protestants de Saluées commençaient à se recon- 
naître et à respirer. Mais respirer était pour eux ado- 
rer Dieu et le servir selon l'Evangiie. 

a Ceux de Dronier, dit un ouvrage de Tépoque (i), 
forent les premiers à donner le bon exemple, et dès 
l'an 1616, ils commencèrent de s'assembler, o Ces 
assemblées avaient lieu en secret; mais tous les jours 
quelques nouveaux sujets fidèles y étai^t admis. 
Elles s'augmentèrent rapidement, et bientôt forent 
découvertes. « Les nouvelles en coiururent à Rome: 
le pape en frémit , Son Altesse en fot prévenue et le 
clergé n'omit rien pour s'y opposer (2). b 

Les protestants n'eussent pu éviter quelque nou- 
velle catastrophe, sans une circonstance providen- 
tielle qui vint au contraire leur prêter un appui inat- 
tendu. 

Les événements qui l'amenèrent et la suivirent fe- 
ront le sujet du chapitre suivant. 



(1) Briif dùeoîÊrt dêt per9é<mtioni advMuei $n cê tampt OMOi fiâikê eu 
EfUte* 4» 8akê099* Genète KttO. 
(S) OoTrag« précité. 



CHAPITRE XIV. 



FIN DE t'HISIOIRE 



DES^ ÉGLISES DE SALUCES; 

PÂBTICULIÈBEUERT DE CEIXES d'àCEIL , DE TE&ZOL , 
DE SAINT-MICHEL ET DE PRAYIGLELM. 

(De 1616 à 1683.) 



SouBCM R AVTORiTif : — Lcs m£mei qn'au chapitre IX. 

Nous avons dit que Charles-Emmanuel était alors 
en guerre avec FËspagne, à propos du Montferrat. Il 
demanda du secours à la France qui lui envoya Les- 
diguières. Cet illustre général qu'on regardait alors 
comme le chef du parti protestant en France, entra 
dans la province de Saluées eu 1617. 

Révolté des vexations sans nombre , dont ses core- 
ligionnaires avaient été victimes , il int^ccéda pour ' 
eux auprès de leur souverain. La cour de Savoie com- 
prit aisément que le chef des réformés ne pourrai^ 



— 372 — 

combattre pour elle avec beaucoup de dévouement Sj 
elle persécutait son parti. On jugea donc prudent 
d'accorder quelque repos aux Yaudois de Salaces, et 
le 28 septembre 1617, le duc pétant à Âsti^ rendit un 
décret dans ce but. Il y disait : a En la considération 
expresse d'un grand personnage, nous abcordons aux 

protestants réfugiés et aux bannis du marquisat de 
Saluées la faculté de rentrer dans la libre possession 
de leurs biens et de leurs demeures, pendant trois 
ans entiers (i); d'en disposer et de les vendre à leur 
gré durant cette époque, avec défense pourtant de 

répandre leurs opinions hérétiques ou de dogmatiser, 
sous peiuQ de la vie. Les prisonniers , détenus pour 
cause de religion, seront mis en liberté et jouiront du 
même privilège ; et quant aux biens confisqués ou 
vendus, on les rendra à leurs premiers propriétaires 
moyennant une juste indemnité que nous acoc»dâx>us 
aux acquéreurs. » 

Ces dispositions eussent été précieuses si elles 
avaient duré ; mais en leur assignant d'avance une li- 
mite aussi raprochée, c'était ne rien accorder, ce n'ë« 

(i) BoreUi 4ii tfois noim 



— 313 — 

tait que préparer de nouveaux troubles et de nou- 
velles ruines pour Tavenir. 

Les protestants néanmoins s'en montrèrent fort re« 
connaissants. Leur susceptibilité ne fut éveiUée qu'à 
l'égard d'un seul point , et ils écrivirent aux pasteurs 
de Genève pour savoir s'ils devaient accepter ce dé- 
cret, attendu qu'ils y étaient traités d'hérétiques (i). 

Que n'ont4Is insisté pour 'que ces bénéfices repo- 
sassent sur une base moins précaire. Toutefois Lesdi* 
gnières obtint que le mot d'hérétiques fût retranché; 
et dans leur naïve bonne foi, ces simples montagnards, 
confiants en la justice de leur prince, ne pensaient 
pas qu'il pût revenir sur ces dispositions. Pour eux, 
ce qui était juste et vrai la veille, devait l'être en-* 
core le lendemain. 

Les variations de l'Eglise catholique , en fait de 
loyauté, seraient bien plus nombreuses que celles des 
protestants en fait de doctrine. 

Des changements cruels se préparaient déjà pour 
lesVaudois malgré ces circonstances favorables, que 
le papisme devait subir, mais qu'il comptait bientôt 
détruire. 

(1) Arclir des pasteors <1« Gen* « irol* F, p* 171. 



— 374 — 

Et néanmoins l'heureux effet qu'elles produisirent 
d'abord dépassa toute attente. En quelques jours le 
pays eut changé de fiace. a La veille, disent les capu- 
cins, nous le croyions presque purgé d'hérétiques, et 
dès le lendemain ils surgirent de toutes parts, comme 
ces soldats de Cadmus qui naissaient tout armés du 
sable de la terre. » 

Dans la vallée de la Sture , plus profonde et plus 
étendue que les autres , le protestantisme qui n'avait 
jamais été déraciné refleurit avec plus de vigueur que 
jadis. C'était dans la ville d'Aceil (illustrée de nos 
jours par la naissance du célèbre Cibrario , auteur de 
l'histoire du droit européen pendant le moyen âge) , 
que la réforme avait les plus nombreux adhérents. 
Le village de Pagliéro se joignit à cette profession ou. 
verte de l'Evangile. La ville de Yerzol se déclara cou- 
rageusement pour la même cause , mais s'arrêta en- 
suite. Celle de Saint-Michel, qui parut se prononcer 
plus lentement que les autres , s'enhardit bientôt et 
suivit Âceil avec persévérance. 

Les assemblées publiques étaient cependant défen- 
dues aux protestants; mais le nombre des réunions 
privées remplaçait le culte public; et d'ailleurs ils ne 
tardèrent pas d'avoir pendant la nuit, sous ce climat 



— 375 — 

Aiflâ doux que celui de Nice, des oongr^tions géné- 
rales, dont le seoet fut souvent trahi par la joie qu'ils 
ne pouvaient contenir y soit ayant de s'y rendre^ soit 
après en être revenus. 

Dans la vallée de Hayra, à Dronier et ùlleurs (i), 
ils se montrèrent même en si^rand nombre que les 
catholiques senablaient disparaître parmi eux. 

Plusieurs d'entre eux, au lieu de vendre leurs biens, 
en achetèrent d'autres; l'activité industrielle, le com- 
merce, l'agriculture reprirent en peu de temps un es- 
sor inaccoutumé. Il semblait que l'on n'eût plus rien 
à craindre de l'avenir ; et cette prospérité même eût 
dû engager le duc de Savoie à maintenir les causes 
qui l'avaient produite , au lieu de la détruire en les 
laissant tomber. 

Il est assez remarquable que dans tous les pays du 
monde ob les idées protestantes se sont établies, les 
peuples ont pltospéré comme si une bénédiction invi- 
sible se fût étendue sur eux ; partout où le catholi- 
cisme s'est maintenu avec le plus de puissance, la vie 
s'est éteinte , le bien-être et la moralité ont disparu, 

(i)Pag«ft8M8B. 



— 376 — 

comme si uae malédiction mystérieuse s'étendait avec 
lui. 

Les Eglises de Saluées avaient retrouvé en une an* 
née tout Téclat dont elles avaient brillé un demi^^îè* 

cle auparavant» 

■ 

a Ces hérétiques, dit Rorengo (que nous citons de 
préférence , non pas comme source mais à Tappui de 
nos renseignements), commençaient de seigneurier(i) 
parmi les faibles et désolés papistes y qui se voyaient 
avec terreur sur le point d'être annihilés dans ce 
pays. D 

Ils n'osaient plus faire des processions, et criaient 
à la tyi'annie des réformés. 

Les fêtes de Pâques, en 1618, avaient été célébrées 
à Dronier par une si grande affluence de protestants 
que révêque de Saluées s'y rendit dès la même se- 
maine, pour y rendre quelque splendeur à son Eglise 
abandonnée. 

Malgré sa présence à Dronier, le dimanche après 
Pâques, il y eut encore une assemblée si nombreuse 
de réformés, que toutes les pièces de la maison par- 
ticulière dans laquelle ils étaient réunis se trouvaient 

* 

(1) JWnnqrtè iitoriehit p. 185. 



— 3T7 — 

occupées. La salle, le devant de la porte 5 les degrés 
et jusque dans la rue, disent les témoins oculaires, 
tout était débordant de fidèles qui ne pouvaient en- 
trer (1). 

Le pasteur venait de commencer sa prière d'invo- 
cation; tout le peuple était à genoux autour de lui, 
jusque sur les degrés extérieurs du sanctuaire domes- 
tique. En ce moment Févéque arrive en grand appa- 
reil, escorté de soldats et de gens de justice. 

— Au nom de Son Altesse royale, s'écrie-t-il, ces- 
sez votre congrégation. 

Mais la voix qui priait Dieu, ne s'arrêta pas devant 
celle qui parlait aux hommes. Le pasteur continua 
son invocation et ses actions de grâces; les huissiers 
en dressèrent procès-verbal ; Tévéque attendit la fin 
de sa prière et renouvela ensuite sa sonmiation. 

— An nom de notre autorité apostolique, dit-il, nous 
vous faisons défense à tous, de vous'rassembler désor- 
mais, contrairement aux édits de Son vAltesse Royale. 

— An nom de Jésus, réplique alors le pasteur, 
nous ne reconnaissons d'autorité apostolique qu'à 
FEvangile qu'il nous a adressé par les apôtres et que 

• (1) Arif^ diiMMff, chip. ni. 



— 378 — 

nous prêchons fidèlement. Quant aux édits, nous ne 
les violons point, puisque nous sommes réunis dans 
une maison particulière « 

Cette réponse fut mentionnée au procès-verbal et 
révoque se retira. Mais il consulta les légistes pour 
connaître la portée légale de Tédit, et vit avec une 
satisfaction victorieuse qu'il y était défendu de dog*' 
matiser. En conséquence, il revint trois jours après, 
avec le grand référendaire, nommé Milliot, pour citer 
les protestants à comparaître devant la justice, cooome 
coupables d'avoir dogmatisé, contrairement aux ter- 
mes de redit dont ils se prévalaient. 

Les chrétiens comprirent qu'O y avait là un pré- 
texte plausible à leur condamnation, et pour des 
gens qui s'étaient vus condamnés si souvent sans mo- 
tif, il y avait lieu de s'effi*ayer en face d'un motif spé- 
cieux. Cependant, la défense de dogmatiser aurait pu 
à bon droit n'être considérée que comme une interdio- 
tion aux protestants de chercher à convertir les ca- 
tholiques; puisque , à vrai dire, on ne pouvait les em- 
pêcher de s'entretenir entre eux de leurs propres 
croyances; et puisque le nombre des personnes auto- 
risées à se réunir en particulier n'était pas limité, on 
ne pouvait leur faire un crime d'avoir eu dM réu- 



— 379 — 

Dions plus oa moins nombreuses. Mais œs gens shn* 
{des et bwaç^ ne songèrent pas à ces ressources de 
procédoie; ils avaient des conyictions trop arrdtées 
pour ne pas chercher à les répandre. C'était avoir 
dogmatisé. Et après tant déduis de justice bien plus 
flagrants que celui-là, une favorable interprétation dé 
la loi ne leur serait certainement pas accordée. Ils 
jugèrent donc prudent de se retirer, et se réfugièrent 
dans les bois fîtués au-dessus de Dronier. 

LÀ ils demeurèrent pendant quarante jours, comme 
Jésus dans le désert , jeûnant et priant Dieu , ani* 
mes d'une ardeur croissante, d'une soif inextinguible 
et délicieuse de prières, de cantiques et de médita-* 
tions pieuses , dont leur ftme devenait plus avide et 
plus profondément réjouie, en face du danger, dans 
le calme des solitudes. 

Ce n'était point toutefois pour manquer de cou- 
rte qu'ils* avaient pris la fuite ; car le référendaire 
Milliet ayant procédé contre eux par voie de citations 
individuelles, plusieuj^ protestants qui avaient été 
oubliés, allèrent spontanément se déclarer solidaires 
des mêmes transgressions, c'est-à-dire de la même 
foi, et se plaindre aux juges de n'être pas au nombre 
des proscrits. Ce dévouement d'une foi sinoàre n'est» 



— 380 — 

il pas aussi noble et aussi courageux qu'eût pu l'èii^ 
celui d'une héroïque résistance? 

Les catholiques pourtant, voyant la ville de Dra-i 
nier presque abandonnée, et les fugitifs se condam^ 
ner eux-mêmes par leurs appréhensions , croyaient 
déjà voir leurs biens confisqués et pouvoir se ies 
répartir d'avance comme une chose assurée. 

Mus un si grand nombre de protestants s'étaient 
fait inscrire sur les listes des magistrats, que Cjeux-d 
reculèrent devant la nécessité de sévir sur tant de 
monde, et ils écrivirent au duc de Savoie pour s'en 
remettre à sa décision. De leur côté, les Vaudois priè- 
rent Lesdiguières d'intercéder encore pour eux, et 
Charles-Emmanuel mit fin à ces incertitudes en cou- 
vrant d'une amnistie générale tout ce qui s'était passé, 
après quoi il rétablit simplement les dispositions de 
l'édit du S8 septembre 1617. 

Les fugitifs revinrent donc dans leurs demeures, 
plus unis et plus fervents que jamais ; le clergé ca- 
tholique redoubla d'eiOforts po\^ donner à son culte la 
pompe souveraine qui lui était acquise officiellement, 
et à laquelle il ne manquait qu'un public. 

Les processions, les neuvaines, les pèlerinages se 
multiplièrent. Les curés reçurent ordre de faire des 



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Anfr-éfie B'âjit^ là qn^'ine ri^hs^ 



(1} 



— 3«f — 

deux mtdrloeateiirs. Peut-être même cesparoles, pro- 
noncées d'une manière outn^^te n'étaient-elles pas 
ftnrties de la bouche d'un VaiRmis^ mais des lèvres 
perfides d'un ennemi qui cherchait à les perdre; quoi 
qu'il en soit y cet kiddent , qui paraîtrait puéril au- 
jourd'hui^ excita fort la colère de Tévéque ^ l'indi- 
gnation du clergé. On «a fit un rapport an souverain, 
«t comme l'orgueil blessé exagère toujours ce qui le 
touche, on ne manqua pas d'attribuer à ces paroles 
des intuitions et une portée menaçâmes pour le sidot 
de l'Etat; il fallail du moins qoe la réprobation qu'elles 
avaient soulevée s'étendit sur tous les protestants. 

Le comte Milliet, auquel llristoire donne mainte- 
nant le titre de vice-chancelierySe transporta de nou- 
veau à Bronier, et commença par ordonner (1) que 
tous ceux qui voudraient jouir des bénéfices du der- 
nier édit (2) vinssent se faire inscrire sur un registre 
particulier. 

Le nombre des personnes inscrites fut très consi- 
dérable, car celui des protestants s'augmentait au lien 
de diminuer. Plusieurs catholiques eux-mêmes se 



(1) Le s de juio 1618. 

(9) Celui dtt 98 septembre 1617. 



— 383 — 

rangèrent alors de leur côté. Rorengo cite un doc- 
teur en droit| un capitaine et un médecin (1). 

Ce registre d'inscription fut ensuite envoyé au sénat 
de Turin. 

Pendabt ce temps les catholiques cherchaient tou- 
jours à surprendre les protestants en flagrant délit de 
culte religieux; et ces derniers, se défiant des catho- 
liques, se tenaient sur leurs gardes, marchaient ar- 
més, et n'épargnaient pas à leurs adversaires le dé- 
dain et les récriminations. 

Ainsi les partis s'aigrissaient parleur hostilité même. 
En de pareilles circonstances, il est bien difficile d'é- 
viter les excès, et la moindre étincelle peut allumer 
un incendie. 

Les protestants apprirent qu'un noble personnage, 
appartenant à la famille du cardinal Almandi, avait 
agi contre eux. L'indignation, le fanatisme, l'empor- 
tement sauvage des déserts où on les avait si souvent 
relégués, armèrent le bras d'un assassin. 

Ce crime individuel devint un grief contre tous. On 
se hâta de le dénoncer au souverain, qui renouvela 
immédiatement les mesures de rigueur portées dans 



— 384 — 

ses anciens édits , entie autres, dans celui du 25 fé- 
vrier 1602, d'après lequel le culte protestant, les ma- 
riages mixtes et les acquisitions de biens, de la part 
des réformés, étaient absolument interdits en dehors 
des étroites limites des vallées vaudoises. Les baux ou 
les contrats par lesquels ils avaient affermé ou acheté 
des terres aux catholiques furent donc annulés. 

A Aceil, ils s'étaient emparés des édifices de la con- 
frérie du Saint-Esprit, et y célébraient leur culte. On 
les en expulsa en leur défendant d'y revenir , sons 
peine de la vie. 

Enfin un édit de Charles-Emmanuel , rendu le 
2 juillet 1618, ordonna à tous les chefs de famille pro- 
testants d'apporter chacun la liste nominale des siens, 
aux magistrats de son canton, sous peine de trois 
cents écus d'or d'amende , et de divers châtiments 
corporels, jusqu'à la prison et au gibet. 

L'évéque de Saluées, et les missionnaires capucins, 
veillaient en outre, avec une sollicitude inexorable, à 
ce que nul ne jouît de ses biens au delà des trois ans 
accordés par l'édit du 28 septembre 1617. 

Ce terme fatal allait arriver; les conflits se multi- 
pliaient, surtout à l'occasion des ensevelissements 
pour lesquels l'édit de 1618 avait défendu au^ pro- 



— 385 — 

testants de le féunir au nombre de plus de six per- 
sonnes, ainsi que d'ensevelir leurs morts dans les ^ 
metièrescatholiqiieSyOudansun terrain clos de mors. 

Or, dans la plupart des communes, il n'y avait eu, 
jusque-là, qu'un cimetière commun; et dans les villes 
où les protestants s'en étaient fait un particufier, ils 
Tarraient environné de murailles. On exigeait mainte- 
nant qu'Qs allassent déposer le cercueil de leurs frè- 
res sur le bord des grandes routes, ou dans les ter- 
rains vagues, ouverts à tout venant, à toutes les pro- 
fimations. 

Alors même , fl arriva encore qu'on vînt leur arra- 
cher leur mort pour le transporter dans le cimetière 
des catholiques, si Ton reconnaissait que le défunt 
avait reçu le baptême dans l'Eglise romaine. A Saint- 
Michel on fit bien plus encore. Depuis trois mois une 
femme vaudoisé avait été ensevelie dans le cimetière 
des protestants. Il était clos de murs; le curé ordonne 
rexhumation et fait porter son cercueil, à moitié 
brisé, devant la maison de ses parents. 

Un de ceux-ci rencontrant un soi&le curé sacrilège, 
dans un chemin isolé^ lui donne des coups de bâton 
pour venger cet outrage. 



11 



** 



— 386 — 

Aussitôt cinquante protestants de Saint-Michel sont 
cités à Saluces, et plusieurs d'entre eux retenus pri- 
sonniers. Leur élargissement fut encore obtenu par 
Tintervention de Lesdiguières. 

A Demonty dans la vallée de la Sture^ quelques 
papistes fanatiques^ au sortir d'un souper, animés 
par le vin, jurèrent la mort des hérétiques et résolu- 
rent de poursuivre le premier qui se présenterait. 
Ayant reconnu un Yaudois dans un jeune honune qui 
marchait devant eux, ils mirent Tépée à la main et 
l'attaquèrent. Ce jeune homme portait une petite ha- 
che ; n'ayant pu se soustrsure par la fuite à leurs at- 
teintes, il se retourne et donne la mort au premier as- 
saillant. Les autres prennent alors la fuite; mais quel- 
ques jours après, ils reviennent mieux armés et plus 
nombreux, s'emparent en furieux du village, outra- 
gent les femmes, blessent ou tuent les hommes, bat- 
tent les vieillards, jettent les enfants à la rue et se li- 
vrent au pillage comme des brigancte) puis, chargés 
de butin, ils citent par dérision la population tout en- 
tière à comparaître à Turin. 

Ici se place uii'ffait aussi honorable pour les pro- 
testants que pour les catholiques de Demont ; c'est que 
ces derniers voulurent concourir aux frais de répara- 



— 387 — 

tion causés par ces désordres et à ceux du procès 
qui s'ensuivit. 

Cela montre combien les deux partis auraient aisé- 
ment vécu en bonne intelligence, si le souffle de 
Rome n'avait constamment excité la haine de ses 
sectateurs, qu'elle accusait de se laisser corrompre, 
lorsqu'ils faisaient preuve de charité. 

A Dronier encore , c'est à un gentilhomme catholi- 
que que les protestants du pays durent d'être délivrés 
d'un piège qui leur avait été tendu, et des poursuites 
qui «ussent été la suite de leur imprévoyance» Ainsi, 
partout où ils étaient connus, les Yaudois trouvaient 
des protecteurs, même parmi leurs adversaires; ces 
derniers aussi devenaient plus chrétiens en les fré- 
quentant davantage : car partout où le protestantisme 
à régné, les mœurs se. sont adoucies. Les moines mis- 
sionnaires, qui n'en avaient pas subi l'influence, mon- 
taient quelquefois en chaire, portant une épée nue dans 
une main et un flambeau dans l'autre, pour exhorter les 
peuples à détruire les hérétiques, disant qu'il ne fallait 
les aborder qu'avec le fer et le feu (i) . Gela était plus sûr 
pour le papisme que de les aborder avecla discussion. 

Et voilà pourtant ceux qui se disent les ministres 

(1) Britf éitcowi, ehap. ÏU. 



— 388 — 

de Dieu! ceux qui prétendent absoudre des plus 
grands crimes, mais qui ne pardonnent pas à la lec* 
ture de la Bible et à la prière. 

On conçoit, du reste, ces excès, en se rappelant que 
le palais épiscopal de Saluées était le centre toujours 
actif de perpétuelles vexations dirigées contre les Yau- 
dois. Mais bientôt on alla plus loin, on regretta qu'ils 
eussent été épargnés lors de la Saint-Barthélemy ; 
c'était une faute, disait-on, il fallait la réparer. En 
conséquence on crut devoir organiser le complot d'un 
massacre général contre les réformés dans toute la 
province de Saluées. 

Ici encore , ce fut le peuple catholique lui-même 
qui se montra moins oruel que ses directeurs spiri- 
tuels; car la plupart des habitants du pays refusèrent 
d'entrer dans cette conjuration. 

Cependant on n'y renonça pas ; mais Dieu permit 
qu'elle fût découverte, et voici de quelle manière on 
en eut connaissance. 

Un de ceux qui devaient la diriger, Fabrice de Pé- 
tris , se prît de querelle avec un jeune homme pro- 
testant, il l'attaqua, mais fut tué lui-même; et l'on 
trouva dans ses papiers les preuves écrites de la con- 
sph*ation. 



— 389 — 

Le bruit de cette découverte se répandit oomme l'é- 
clair. Les ferments qui existsrânt entre les deux partis 
n'en prirent que plus de force. De part et d'autrC; ils 
se faisaient par jour de nouveaux excès, dont les 
protestants néanmoins étaient le plus souvent victi- 
mes. Ceux de Saint-Pierre, par exemple , dans la val- 
lée de la Vrayta, furent expulsés de diez eux par le 
curé et le prévôt de la ville. 

Peu de jours auparavant, cinq habitants de Dronier 
avaient également été bannis et s'étment retirés dans 
la vallée de Luzerne. 

On était parvenu à Tannée 1619; la fermentation 
croissait de plus en plus. Les vexations contre les 
adhérents de l'Eglise réformée se multipliaient sous 
toute sorte de prétextes. 

A Demont deux familles protestantes furent cruel- 
lement troublées. Qu'avait-on à leur reprocher? D'a- 
voir contracté mariage à des degrés de parenté , in- 
terdits par les canons de quelque vieux concile. 

Les époux furent séparés, les maris envoyés aux 
galères et les femmes condamnées à recevoir le fouet 
sur la place publique. 

Mais ces juges si cruellement scrupuleux à mainte- 

II*** 



■- 390 — 

nir des ioterdictions arbitraires sur les degrés de con- 
sanguinité , auxquels du reste les catholiques seuls 
auraient dû être soumis, ces mômes papistes qui dis* 
solvaient si promptement des liens de famille, sanc- 
tionnés par une union bénie , quel respect avaient^ils 
pour la vertu? Ecoutez : A Dronier, un apothicaire, 
nommé Marin , avait deux filles d'une rare beauté« 
Vers la fin de juillet, Tun des capucins de la ville fiiit 
demander cet homme : les autres moines entrent dans 
sa demeure pendant son absence ; ils s'emparent de ses 
filles en usant de violence; un carrosse attendait à la 
porte, c'était celui de Tévéque de Saluées : on y jette 
les victimes de cet enlèvement odieux, et elles sont 
conduites à Turin (i), sans qu'on ait égard à leurs lar- 
mes et à leurs supplications, sans pitié pour le déses- 
poir de leur famille. 

Un mois après (2), le même évêque fait arrêter une 
pauvre femme sur laquelle pesaient de singulières ac- 
cusations, ce Elle a reçu de Genève, disaient ses accu- 
sateurs, une grande robe noire, et revêtue de cette dé' 
froque de corbillard, elle monte en chaire au milieu 



(1) Tous ces détails sont tirés da Brief éUioour* mur lé$ penéèutimit 
venues en ce tempe aux EglUe* du Marquùat de Salueet, Ghap. IT. 
(1) le iS d'ao&t 1619. 



— 394 — 

des réformés , pread une corne de bœuf , et , 
souffle au travers de cette corne le Saint-Esprit sur 
les assistants. » 

Le livre dont nous tirons ces détails ajoute naïve* 
ment : a H faut avouer qu^ c'était 1| une invention 
bien cornue ! » 

£t cependant cette malheureuse fenune fut mise 
pour cela, cinq fois de suite à la question; elle fut 
torturée en présence des sommités cléricales et ad- 
ministratives du pays. Il y avait là le préfet^ Tévéque 
et l'inquisiteur; et Ton était au dix^septième siècle ! 

Oui! mais aussi sous l'empire du catholicisme. 

Et dans le dix-neuvième siècle lui-même, en i845, 
là oii le papisme règne encore, ne Ta-t-on pas vu con- 
damner une femme à mort pour crime d'hérésie (1)? 

Ainsi se passaient ces jours sombres et agités, en 
attendant que l'orage éclatât. Vers la fin de l'année 
1619, une réunion extraordinabe de prêtres, de moi- 
nes et de zélateurs papistes de toute confrérie , fut 
convoquée à Saluées, pour aviser aux moyens d'en 
finir une fois pour toutes avec les hérétiques. Après 



(1) C^tie coQdftmnatioo a eu lieu dan» Tile de Madère , en août 1849. 
fVoir les journaux du mois de septembre, même année, entre autres les Dé- 
<Uf, U $iMê, Y Sipér9M€ etc« 



— 392 — 

le repas de corps qui réunit tous ces dignes convives, 
on fit brûler en effigie les principaux d'entre les pro* 
testants, en attendant de pouvoir les atteindre dans 
leur personne. 

Ces passe-temps du clergé catholique montrent bien 
de quel esprit il était animé. EUen de sérieux, ni d'hu- 
main. Cruels ou grotesques, ignobles ou barbares, tels 
étaient ces prétendus ministres d'un Dieu de per- 
fection et d'amour. 

Du cdté des réformés, le mécontentement ne faisait 
qu'augmenter ; une lutte était imminente : le plus 
faible devait périr. 

Les habitants d'Aceil , qui se trouvaient presque 
tous de la même communion, et qui n'avaient jamais 
cessé de tenhr des assemblées évangéliques, se préva- 
lurent de leur nombre pour les continuer. 

Le gouverneur de Dronier, Andréa délia Negra, fut 
envoyé contre eux ; il arrêta et conduisit dans les 
prisons de Saluées , les deux notables de l'Eglise qui 
présidaient habituellement à ces réunions de prière. 

L'un se nommait Pierre Marquisy, et l'autre Maurice 
Mongie. L'arrestation du premier eut lieu en juin , et 
celle du second en septembre 1619. L'un et l'autre ne 
tardèrent pasd'étrecondamnésàmort par l'inquisition. 



— 893 — 

Ils interîetèrent appel de ce jagement devant le 
sénat de Turin. On espérait pouvoir faire auprès du 
duc de Savoie quelques démarches pour les sauver ; 
mais ce prince était alors absent (il était allé en Sa« 
voie pour recevoir Christine de France qui venait en 
Piénoont). Le sénat se trouvait ainsi abandonné à lui* 
même, ou plutôt aux suggestions du haut clergé, tout* 
puissant à la cour. Par une circonstance aggravante 
pour le sact des prisonniers d'Aceil, un nouveau sou* 
lèvement eut lieu dans cette vilUe. Le gouverneur de 
la province, comte de Sommariva, fut tué d'un coup 
d'arquebuse, sur les coteaux de Mongardino , où il 
avait poursuivi les récalcitrants. Et par une suite ir- 
réfléchie de ces idées païennes si familières au catho- 
licisme, on fut porté à immoler Maurice et Marquisy 
comme des victimes expiatoires aux mânes du gou- 
verneur. 

Ces courageux directeurs de ri^lise d'Aceil furent 
immédiatement exécutés à Saluées (i), vers les quatre 
heures du matin ; ce qui n'empêcha pas Févéque du 
diocèse d'assister à leur supplice, sur le lieu duquel il 
s'était fait conduire en carrosse. 

(1) Cette exéootion eut lieu le SI d'octobre 1619. 



— 394 — 

Toutes les circonstances de leur fin courageuse et 
édifiante ont été conservées dans une lettre écrite de 
Saluées le lendemain de leur exécution^ et publiée à 
Genève quelques jours après. 

Nous en reproduirons une partie dans le chapitre 
destiné à l'histoire des martyrs. En échange de tant 
' de concessions aux exigences de Rome , le nouveau 
pape, Grégoire XV, venait d'accorder au duc de Sa- 
voie , par son bref du 27 mai ^621 , la faculté de 
retenir pendant six ans la dtme des revenus ecclé- 
siastiques, à condition qu'il consaorerait ces fonds à 
l'extirpation de l'hérésie. 

Le duc toucha l'argent, et le clergé le pressa 
d'agir. 

En février 1622, on commença d'employer ces res- 
sources, ou de montrer du moins qu'on les utilisait 
pour l'œuvre demandée, en reprenant les poursuites 
déjà si souvent dirigées contre les Vaudois et les ré- 
formés du Piémont, qui ne s'étaient pas restreints 
dans les étroites limites où l'on avait circcAscrit le 
' territoire des vallées vaudoises. 

Au mois de mars suivant, les fidèles de Praviglelm 
et des communes environnantes furent cités à com- 



— 396 — 

paraître devant le préfet de Saluées , sous peine de 
mort et de confiscation* 

Ils eussent pu s'y rendre en assez grand nombre 
pour que la fermeté de leur attitude eût imposé à 
leurs ennemis. Nulle peine n'était portée encore 
contre ceux qui eussent obéi. Qui les fit hésiter? 
L'exemple peut-être de ceux qui avaient été empri- 
sonnés à la suite d'une comparution; cette espèce de 

■ 

force d'inertie, qui retient le campagnard à sa chau- 
mière; une crainte irréfléchie et vague de ce tribunal 
de Saluées si fatal aux protestants* 

Quoi qu'il en soit , ils s'abstinrent. Au lieu d'agir 
avec vigueur, de se montrer unis et résolus, de sou* 
tenir leurs droits avec fermeté, on vit de la mollesse 
et de l'indécision dans leur conduite; un jugement 
sévère pourrait même dire de la lâcheté : car c'est 
être lâche que d'abandonner la défense d'un droit, 
aussi bien que de manquer à celle de la patrie. 
N'ayant donc pas comparu dans le terme prescrit, les 
habitants de Praviglelm et de Paêsane furent tous 
condamnés par contumace à être bannis des Etats de 
Son Altesse Royale , et pendus s'ils tombaient enai} 
les mains de la justice. Quant à leurs biens, il va sans 



— 396 — 

dire qu'ils étaient confisqués : c'était là, poar le fisc et 
pour Rome, le plus clair de l'affaire* 

Cette sentence fut rendue à Saluces le 15 de mars 
1622, confirmée par le sénat de Turin le 7 de juin et 
publiée à Paêsane le 29 du même mois. 

Ces pauvres gens employèrent le secours de Lesdi- 
guières. Mais voici ce qui s'était passé : Un jour, se 
trouvant avec le cardinal Ludovisio de Bologne, Les- 
diguières lui dit : Quand Votre Eminence portera la 
tiare, j'abjurerai le protestantisme. Or, Ludîvisio ve- 
nait d'être élu pape depuis dix-buit mois, et Lesdi- 
guières avait abjuré à l'époque indiquée. Comme on 
se démet d'mie charge, comme on Kvre une marchan- 
dise & Qne échéance fixe, le grand capitaine avait dé» 
posé ses croyances au signal du calendrier^ Cepen- 
dant il n'avait pu se pénétrer enoore de Tesprit 
inhumain de sa nouvelle Eglise, et Q émvit à Charie»- 
Emmanuel en faveur de ses anciens coreligionnaires . 
des hautes Vallées (1). « Ils ont vécu, dît-il, sans ja- 
mais donner de reproches à pet sonne; ils ont toujours^ 
été maintenus en l'exercice de leur retigion, quelque 
ordonnance que Votre Altesse ait faite pour les autres^ 

\i) Cette Uttre «tt coMfnée par &lk»y p. MU. 



— 397 — 
que V. A. permette qu'ils puissent jouir en repos du 
fruit de ses grâces, puisqu'elles augmenteront en la 
personne de ces pauvres gens les obligations qui n^ 
font être, Monseigneur, votre très-humble, etc. » U 
lettre est datée de Grenoble, 29 juillet 1622. 

Lesdiguières écrivit dans le même sens à l'am- 
bassadeur de France, près la cour de Turinj de sorte 
que les Vaudois, sans obtenir la révocation formelle 
de cette atroce condamnation, reçurent néanmoins la 
promesse qu'il n'y serait donné aucune suite, et qu'ils 
pourraient vivre en paix dans les modestes héritages 
de leurs pères. 

(Juelques-uns d'entre eux, qui s'étaient déjà expa- 
triés, furent cependant saisis à leur retour. 

Ce même pape, qui avait reçu l'abjuration du géné- 
ral français, fondait alors (en 1622) la sanguinaire con- 
grégation de propaganM fide et exHrpaaàù Aœretieù • 
en môtoe temps qu'il béatifiait Ignace de Loyola! 
(^tte cpngrégation fut, pendant près d'un siècle,' 
i'arme la plus redoutable jque le fanatisme et l'erreui 
eussent employée contre le triomphe des doctrines 
bibliques. Mais c'est en Piémont surtout que la Pro- 
pa^arwfe, cette flUe honteuse du jésuitis ne et de l'Iin- 
quisition, exerça ses plus terribles ravages. 

h 



— 398 — 

Nous la verrons bientôt à l'œuvre dans l'es vallées 
Yaudoises. Suivons-la aujourd'hui dans le marquisat 
de Saluées, où elle s'était hâtée de s'établir et où elle 
devint dès lors une source permanente de troubles et 
de persécutions. 

En 1627, la vallée de Sture fut cruellienient tra- 
vaillée par les converti$seur3. 

Les depjuii^ vestige^ de i^otestaoti^me qui restai^at 
à Carail , en furent extirpé^,, «elQH le vûei^ides looinos 
par le fer et Le feu. Il n'était^ plus nécess^aîoe, mainte 
nant d'avoir assisté aux assemblées des réfonnés paur, 
être incarcéré.; il suffi^^it de aepa&aijQr à Lsk mes^^e. 

A Saint-MichelyàPaglierOy àDémMt^les^poufSttites 
ineettantes dont le» Vaudois toenlirobjeC dépouiHè^ 
refit rapidement. €68 boargades,. jadis florissantes^' des* 
citoyens, paisibles qui les aniQiateiit,'pQm peupler lesi 
prisons de victimes^ou les montagnes def>roseiiifs«> 

La plupart d'entre eux se retiraient en France, mais 
elle ne devait pas tarder à leur être tout aussiihhois- 
pitalière. On a retrouvé à Berlin les mémoires d'une 
famille qui sortit à cette époque de Demont, s'établît 
alors en Provence , et fut expulsée plus tard de ce 
dernier pay^'lorë de la révocation de î'édîl de Nantes. 



— 399 — 

Que de malheurs ont été causés par les guerres et 
les haines religieuses ! Et que le monde a dû s'éloi- 
gner de la doctrine du Christ , pour que cette impie 
association de mots ; Guerres et haines religieuses ait 
pu s'introduire dans notre langue ! 

Quelques-uns d'entre les nombreux prisonniers 
que la Propagande fit à cette éppque, rachetèrent leur 
vie au prix d'une forte rançon. La fortune amassée 
par le père pour les enfants, allait enrichir des cou- 
vents, des. geôliers ; des bourreaux. 

Aussi y appauvries, décimées, proscrites ^t pm^tout 
poursuivies, ces malheureuses Eglises de. Saluées al- 
laient s'affaiblissant de jour en jour. Depuis loi^^ies 
années toute manifestation de vie évangélique, autre 
que la patience et la résignation, leur était interdite 3 
et si la flamme sacrée survivait dans leurs membres 
paralysés, c'était comme les dernières pulsations d'un 
cœur lent à mourir, dans le sein d'un patient immo- 
bile, sur lequel s'acharneraient encore les tortures de 
l'inquisition. 

Ah ! faut- il que des congrégations religieuses aient 
agi comme, des bétes féroces,, pour désoler ainsi l'hu- 
manité? 



— 400 — 

Dans les hautes vallées du P6/à Oncino, à Pravi- 
glelm, à Biétonet, le culte proscrit survivait cepen- 
dant encore, dans le secret des pauvres chaumières 
et des alpestres bergeries. Mais Ton ne devait pas 
s'attendre à ce que ces premiers et ces derniers reje- 
tons de la grande famille vaudoisé , dans la province 
de Saluées, fussent constamment épargnés. Lorsque 
le feu a dévoré Técorce, il ne respecte pas le cœur 
du tronc. 

En 1629, le comte de la Mente, qui était lieutenant 
général des armées uu duc dans le marquisat, frappa 
une contribution de quatre cents ducats sur les fidèles 
dePraviglelm. 

Ceux-ci ne se hâtèrent pas de payer. C'était là pro- 
bablement ce qu'il avait attendu ; c'était le triomphe 
des prévisions persécutrices de la Propagande et du 
clergé. 

Aussitôt, le comte de la Mente envoie quatre cents 
soldats à Praviglelm, pour ravager les terres, enle- 
ver les bestiaux et piller les demeures des malheu- 
reux Vaudois. 

Le butin fut transporté à Paêsane, et il fallut payer 
mille ducats pour le ravoir. 



— 401 — 

Jaloux des fruits de cette expédition , un autre sei* 
gneur vint quelques jours après, à la tête de vingt- 
cinq hommes, pour saisir le pasteur de Praviglelm, 
et s'emparer de quelques otages, qu'il n'eût ensuite 
•¥^ehés que sous 'forterançon. 
' €es^ pauvres moitfagnards étaient abandonnés à 
tOBtesles jnoursions, comme un pays sans maître au 
premier occupant. Cette fois pourtant, ils repoussé- 
fCAt fagvesseur avec ses vÎBgt-oinq hommes 3 mais il 
i^vint} èientdt, accompagné non plus <le soldais, 
mais de moines. Quelle devait être cette nouvelle ex- 
pédition? On va rapprendre en peu de mots. 

Le capitaine de cette légion encapuchonnée, com- 
mence par ordonner à tous les habitants du pays ^e 
se rendre aux prédications des missionnaires , sous 
peine d'un écu d^or d*amènde, pour chaque contra- 
vention. Les contraventions furent nombreuses, et 
sous prétexte de faire payer aux Vaudois les amendes 
encourues, on^se^saisît encore de leurs récoltes et de 
teuvsM^s. — 

■\ Atoslës habitabts)ida^4de Luzenbe se décidèveiit 
à prendre les armes pour venir au secours deileafs 
coreligion^ires de. la vallée du Pô ; alors aus^i leur 
pxeiper* spQUateur,;tenaiit à ee que les choses n'allas- 



— i(tt — 

sent pas trop loin, dans la crainte des comptes qa*Q 
aurait eu à rendre lui-même, le comte de la Mente 
mit fin à ces scandaleuses extorsions. 

La peste qui rayagea le Piémont en 1630, n'^aigna 
pas les habitants de ces montagnes^ mais ce fléau du 
moins n'irritait pas les esprits, ne semait pas la divi- 
sion parmi les hommes. 

Une nouTclle recrudescaaoe du zèle papiste le 
remplaça bientôt , en apportant avec lui tons ces tris- 
tes effets. 

Victor Amédée venait de monter sur le trône; le 
nonce , les prélats, les congrégations, tous les repré- 
sentants du papisme se hâtèrent de le circonvenir. 

Quelle gloire pour Votre Altesse de réaliser enfin 
les vues héréditaires de ses prédécesseurs et d'extir- 
per complètement l'hérésie de ses Etats! — C'est 
plus qu'une gloire, c'est un devoir. — ^ C'est la con- 
sécration de votre avènement! — C'est sut votre 
couronne la plus sûre garantie des bénédictions de 
Dieu. 

Tel était le langage qu'entendait de tout côté 
le nouveau souverain alors âgé de quarante trois ans. 



— 403 — 

Malgré la fermeté naturelle et la sage initiative de 
son caractère, qui lui avait valu déjà le traité de Ra- 
tisbonne et celui de Quiérasque (1) par lesquels il 
était rentré en possession de la plus grande partie de 
ses Etats, il finit par céder à ces suggestions. 

Heureusement que les vallées vaudoises de Luzerne, 
Pérouse/ Saint-Martin et Pragela appartenaient alors 
à la France; mais, après ce grand centre du protes- 
tantisme en Piémont, la province de Saluées en con- 
tenait encore les plus nombreux représentants. 

Le duc rendit donc, le 23 septembre 1623, un édit 
dans lequel il s'exprimait ainsi : 

a Les princes de la terre étant établis de Dieu, ne 
doivent avoir rien de plus à cœur que la défense de 
sa religion. C'est pourpuoi, afin de rendre la paix à 
l'Eglise, et de prouver notre indulgence aux héréti- 
ques de Saluées, qui ont encouru la peine de mort 
pour leur obstination continuelle, nous ordonnons 
qu'ils aient à abjurer* leurs erreurs dans l'espace de 
deux mois, après la publication du présent édit^ et 
cela dans les fo.iiii« qui leur seront prescrites par 



(i) 13 octobre leao. 

(S) 6 avril 1631. 



révéque de Saitu^en. Dans ^ 6fts «oas ^Imir lleixms 
.giAca pcwttwtesiles fMMae^r^u'il&iaucaieiitieDooi^ 
Tues; mais s'ils latsaettl^ passer e/^Mvmb sans abjiiner, 
ils msmt èw^ dei s!éi0ignQr éosKios f)taft& ^<msi pmne 
de la vie« i> 

C'«st • atasî' qtf u» souverain ' proiïvaît sa bïcmrëil- 
tenoe à ses sajels; e'esl ^ainsi qu'il prétéBdait servir 
4a> religion chrétienne f 

Dans cet édit, fort abrégé ici, les Eglises deBiolet^ 
Biétonef, Crôésio et Pravîglelm^ sont nominalement 
mentionnées. 

Ce fut le coup de mort pour ces malheureuses tri- 
bus, et notre chapitre va se clore par leur dernier 
soupir. 

Diès 1^ ymJl^liimtiQfii^eroeti édit^ .j^kiaieuiB . faHiiBas 
vaudo^es^ ..aei^t^iit 1- agooio: v^nir pour .1^$ M^gàm^ 
évapg^qnesrd/ç leurs Gb^i;e3vV^4)^39: af^ta^Qf «tte^k- 
ci^u;5ea3t^t oix^i^en. I^aiipbi»^- < 

• En tnéirie temps- 'r*^équt6' deHSriuces^ tout rayon- 
nant d'un piiodhrfn'trïottiphéy eftOTgaéillf^de l%ipo(r^ 
tance que Tédit luf avait donnée, arrivait dans ces 
pauvres villages, escorté de moines et de solçla^^ X/rul- 



— 405 — 

tima ratio regum est aussi Yultima ratio Bomœ, Di- 
rons-nous comment le prélat put se vanter d'avoir 
converti plusieurs de ces indigentes familles y aux- 
quelles même eût manqué le denier du voyageiu*, si 
elles s'étaient expatriées? 

Non; mais nous dirons que d'autres, abandonnant 
leurs biens, s'étaient retirées dans les montagnes; 
et que là errantes et bannies , elles laissèrent s'é- 
teindre dans la misère et les tourments de l'exil les 
derniers restes de cette Eglise vaudoise si longtemps 
florissante sur les sources du Pô. 

Leurs maisons furent incendiées et démolies, leurs 
biens confisqués, leurs troupeaux saisis et vendus au 
profit de l'évéque, des moines et du fisc. 

Que l'on compare aujourd'hui l'élat moral et maté- 
riel des vallées vaudoises où l'Evangile s'est maintenu, 
avec le dépérissement obscur dans lequel sont tom- 
bées celles de la Sture et du Pô, où l'on a employé 
tant de temps et d'efforts pour l'en bannir, et l'on 
verra si le catholicisme est favorable à la prospérité 
des nations. Si le champ de cette comparaison parait 
trop rétréci en étant limité à ces humbles vallées, 
qu'on poursuive le même parallèle dans tous les 



—-406 — 

pays du .monde entée les contrées protestantes et 
les contrées catholiques ^ et Ton arrivera au môme 
résultat* 

Ainsi f se sont éteintes ces intéressantes commu- 
nautés vaudoises , dont nul jusques ici , n'avait éerit 
rhistoire. Mais Tesprit qui les animait n'a pas 4lis- 
çaru. Puisse-t-il animer constamment, ce qui reste 
de risraêl des Alpes , dans ces montagnes depuis si 
longtemps arrosées par le sang des martyrs. 



FIN DU PREMIER VOLUME. 



TABLE DES MàTltKES 



Note ior ïvOénopÊé ées Taudois à Taidob. mi 

flFMïFHF PâniE. 

Histoire det YmÊiei» degma lemr migutt jmafÊ^à fe jw yK 

ok Us fmremi àretmaarits dsms Us /«niitet 

des seules wniiéet du 
CHAiim 



I. Origine, mceors, doctrine et organisation de 

FEglîse ^aodoîse, dans les anciens temps. . . i 
IL Prennète persécotion : Yolande et Cattanée. SS 

III. Histoire des Yaodois da Yal-Looise, depuis 

leor origine josqn^àteor extinction 5t 

lY. Histoire des Yaodois de Barœlonnetle, da 

Qneyras et de Freyssinières. .••••» 67 
Y. Histoire des Yaodois de Provence , Mérindol 

et Gabrières •••••• 9ft 

YI. Les Yaodois en Galabre .117 



— 408-7- 

Chapitre 

Pages. 

. VII. Influence de la réformation dans les vallées 

vaudoises, (le Synode et la Bible) 175 

VIII. Histoire de divers martyrs 199 

IX. Histoire des E|flises évangélifoes de Paêsane, 
Praviglelm et Salaces 251 

X. Histoire des progrès et de Textinction de la 
réforme, à Coni e* dans les filaines du Pîémon t. 267 

XI. Histoire des Eglises réformées de Garail, de 

Gbiéri et de Dronier 283 

XII . Aperçu des vicissitudes souffertes par les chré- 
tien s des localités situées aux alentours des val- 
lées vaudoises, particulièrement de.Bubiane, 
Luzerne, Gampillon et Fenil 309 

XIII. Renaissance des Eglises évangéliques de Sa- 
luées, et nouvelles vicissitudes qu'elles eurent à 
subir. . BV9 

XIV. Fin de l'histoire des Eglises de Salaces, par- 
ticulièrement de celles d'Aceil, d« Vierzol, ée 
Saint-Michel et de Praviglelm. , 371 



Fm DE LA TABLE DU PREMIER VOLUME» 






SIIjOR llte AWBw . ou «<..ina»ïi 



« do In grtce, J«lUIA«âUl«_^^ 

la r^foroBlloo 
LES TlîMOms IIL' SEir.NKnH ET l.X JBSTlfilC "™A"**^^-|| 

Irt^oire 9e IMlal)li»«mi<nl Am Vimiloi* lU Pi*»«il Bf^^-jy 
V(«*aM«, Ht lie la r..mUa [«-rtWuUon H«'"» dira " ■-■- 



ISUAËl, AL' liÉSEHT, ou noiilo .-xiwtoion .U» l«lilt»nU. de» ^ 

,ail^M Viiailois«8 Pi. 'OM. «v« le umlMu oas colwilw qiilU 
itllfiroot [nrnlBr eu Allflinli«BC dniiE |.;! pi^s iWpiniplé» J«»r 
lu içnon'c de Irante ans. 
I.E BKAB l'E niEll DANS LA l'ERSfiCtiTlOK : HWoire M 

l'iiérolqiie d^rcnac dw Vmt.Vi5 ï«>lJi.1«ct. |* hmtt- J«- 

iiOïcl, de 16SS a 1863, 



^^Wl'IUMF.mR Dt MAKC iHIGLOlJX ET COMPAOMK 




THE NEW YORK PUBUC LIBBARV 

HEFERBNCB DEPARTMENT 



taken froin tbe Buildiatf 



j\^h y 1926 



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